La bataille de la Lys au coeur d'un surprenant roman
Ce pays vit dans une manière de présent perpétuel (Xavier Hanotte, De secrètes injustices, Belfond, Paris, 1997)
So secretly like wrongs hushed-up, they went.
They are not ours:
We never heard to which front these were sent.
Wilfred Owen, The Send-Off
[Ainsi, telles de secrètes injustices, ils s'en allèrent.
Ils n'étaient pas des nôtres:
Jamais nous n'avons su quel front les attendait.]
Cette entrée en matière est on ne peut plus juste. Dans tous les écrits de soldats, sous-officiers et officiers qu’il m’a été donné de lire, ce dégoût de la guerre revient tout le temps. Et non pas de combattants lâches ou sans convictions, mais peut-être surtout de soldats wallons déterminés à lutter contre l’envahisseur et encore plus haineux de la guerre que de l’attaque brutale et injuste de l’armée allemande. Joseph Marlaire raconte sa campagne des dix-huit jours d’une manière extraordinairement juste et en même temps subjective :
« A l’époque, bien sûr, j’étais jeune. J’avais des idéaux, comme on dit […] Ils n’étaient pas tous idiots. Ils ne sont même pas tous démodés, je crois […] Servir… La patrie, le roi, le droit, la liberté, la démocratie, la nation ou quoi que ce soit d’autre. On était comme ça, en ce temps-là. On croyait aux grands principes, on aimait les grands mots […] Mais je m’écarte… Pour faire court, qu’il me suffise de vous dire, monsieur Dussert, que jusqu’à la Lys, jusqu’à Vinkt donc, nous ne nous étions jamais battus que pour dégager presque aussitôt. Après des mois d’attente, nous faisions la guerre, mais à reculons – ou plutôt que la faire, nous la subissions […] Pourtant – eh ! oui – le régiment ne demandait qu’à en découdre. On nous l’avait assez dit, que nous étions un corps d’élite. On nous l’avait tellement répété que bous avions fini par le croire […] »
On se sent obligé peut-être, ici, de tempérer la modestie de Joseph Marlaire en indiquant que son régiment, le 1er de Chasseurs ardennais n’étaient pas un régiment d’élite par foi de ses composantes, mais réellement comme toute la 1ère Division de Chasseurs ardennais, entièrement motorisé. Qu’il s’agisse des fantassins ou de l’artillerie ou du Génie, soit 17.000 hommes avec, dans le même sens, une autre Division d’élite, la 2e Division de chasseurs ardennais, moins fortement équipée mais redoutablement armée également et d’élite aussi. On sait d’ailleurs qu’une petite Compagnie de 50 chasseurs ardennais, au village de Bodange, face à la frontière avec le Luxembourg dirigée par le commandant Bricart arrêta à elle seule (sans son artillerie ni ses armes anti-chars, l’artillerie toute entière de la Division étant en appui de la 7e Division d’infanterie sur la Canal Albert), l’essentiel de l’armée allemande. Soit ces divisions blindées, qui allaient remporter la bataille de France dès le 13 mai en passant la Meuse à Houx et Sedan, parvenir à Abbeville le 21 mai. La défaite fut annoncée en quelque sorte par Gamelin dès le 16 mai.1
Or, le 10 mai, les 50 hommes du commandant Bricart avaient dû être réduits par trois bataillons de soldats allemands et un groupe d’artillerie (soit entre 3 et 4000 hommes, des dizaines de canons). Qu’aurait-il fallu à l’armée allemande pour vaincre une Division de troupes wallonnes 300 fois plus nombreuses et trois fois mieux armées ? Il est légitime de poser cette question qui permet de mieux mesurer la très relative supériorité de l’armée allemande qui renvoie elle-même à la faiblesse française et anglaise, des armées qui seront vaincues en mai 1940. Et d’ailleurs aussi à la stupidité de cette guerre dont toutes les armées européennes furent, en réalité, vaincues. Joseph Marlaire évoque aussi le combat de Temploux où périrent 50 Ardennais dans un combat avec la Lutwaffe.
Joseph Marlaire décrit alors la retraite de son régiment jusqu’à la Lys et précisément à Lotenhulle, un village flamand 3 km au nord de Vinkt, ce village lui-même à deux km au sud-ouest de Meigem qui est un peu plus haut sur la carte au nord de Deinze (orthographié Deynze à l’époque et sur le croquis ci-contre extrait de Général Michiels Dix-huit jours de guerre en Belgique, Berger-Levrault, Paris, 1947), tout cela un peu en retrait de la Lys et du Canal de la dérivation. Comme on peut le voir sur le croquis qui décrit la situation à la veille de la bataille, la 1ère Division de Chasseurs ardennais [l'espèce de cigare dessiné en pointillé et légendé 1 II.Ch..A.: rappelons qu'une division compte trois régiments] et notamment le régiment de Joseph Marlaire est en retrait de la 4e Division d’infanterie [légendée 4 DI.] constituée de troupes flamandes qui allaient se rendre aux Allemands sans combattre dans la nuit du 24 au 25 mai. Les Allemands percent à Meigem, grâce principalement à la complicité du 15e Régiment flamand d’infanterie. Laissons parler Jospeh Marlaire :
« Très vite, l’état-major de la division a appris la mauvaise nouvelle. Les Boches avaient percé la ligne du canal à Meigem. Les rumeurs allaient bon train. Une division d’infanterie avait mis bas les armes sans presque tirer un coup de feu et les chasseurs à pied s’étaient fait tailler en pièce pour rattraper le coup [il s’agit de la 5e Division d’Infanterie constituée de troupes wallonnes originaires du Hainaut]. Devant Vinkt, Le Premier régiment était isolé. En catastrophe, l’état-major a monté une opération ”coup de balai”, vers le sud. La nuit venue, tout le régiment est parti à l’assaut. On allait leur montrer… A force, les Allemands avaient dû perdre l’habitude des contre-attaques. Quand on leur est tombé dessus, ils n’ont pas eu le temps de dire ouf. Au petit matin, on avait fait notre jonction avec les autres. La partie était gagnée. Avec les side-cars du bataillon-moto, on aurait pu les poursuivre jusqu’au canal et les accompagner de l’autre côté mais on ne l’a pas fait. Au lieu de cela, on s’est retranchés dans le village [Vinkt] et aux alentours, et on a attendu qu’ils reviennent. Car ils reviendraient personne n’en doutait […]Les Allemands, il n’a pas fallu les attendre longtemps. Ils avançaient sur la route de Nevele [plus grosse localité au nord de Meigem] Une division fraîche nous attaquait. Des Hambourgeois [le 225e Régiment d’Infanterie]. Des bleus qui ne comprenaient pas. On leur avait assuré que les petits Belges, c’était du tout cuit. On n’avait pas dû leur dire lesquels. Ils avaient eu beaucoup de morts. Beaucoup trop… »
Ces mots « beaucoup trop » annoncent la suite : il ne faut pas oublier que malgré les efforts du commandement allemand, les soldats allemands ont gardé le complexe du franc-tireur lourd de conséquences si sanglantes en 1914. On en fait état dans plusieurs combats le long de la Lys, notamment face à Wielsbeke défendu par le 13e Régiment de Ligne de la Huitième Division d’Infanterie. Les Allemands sont donc repoussés. Joseph Marlaire continue son récit :
« Ils ont contre-attaqué. Plus nombreux. Plus prudents. Plus déterminés, aussi. Plus hargneux. La haine était partout, on pouvait la sentir, la palper dans l’air. Ils avaient changé de tactique. Ils infiltraient les lignes, tâchaient de nous isoler [tactique allemande bien connue]. Alors, on s’est battus partout, de toutes les façons possibles. Dans les haies, dans les jardins, dans les vergers. Autour des maisons, des hangars, des étables. Derrière les talus, les murets, les abreuvoirs… Malheureusement, on les prenait à revers ou de flanc, on les canardait puis on disparaissait dans les fourrés. Pas étonnant qu’ils aient cru à des francs-tireurs. »
« Francs-tireurs », le grand mot est lâché. Le 225e RI allemand perdit plus de 1500 hommes dans le combat de Vinkt (morts ou blessés). C’est la population civile qui est visée. Joseph Marlaire en parle aussi d’une façon qui va mettre en lumière le drame wallo-flamand de Vinkt et auquel les Allemands sont mêlés :
« Ils n’avaient pas voulu partir. Dans la région, c’était chaque fois pareil. Tous des fermiers, des gens de la terre, comme beaucoup d’entre nous d’ailleurs, et sur ce point au moins, nous les comprenions. Alors on se disait qu’au lieu de défendre nos fermes – elles étaient si loin, nos fermes -, nous défendrions les leurs. Et puis, nous étions chez nous après tout … […] Du moins on le croyait. »
Le 27 mai au matin, deux jours après la trahison de la 4e Division flamande d’Infanterie, vers midi, les chasseurs ardennais songent au repli, d’autant plus que la puissante artillerie belge commet l’erreur de bombarder trop près et atteint des soldats de son camp. Marlaire est blessé, non pas gravement mais douloureusement à l’épaule. Il parvient un moment à échapper aux Allemands, s’étend à l’ombre d’un bosquet et s’endort :
« Un craquement m’a réveillé en sursaut. Tout près dans la haie derrière la chapelle, quelque chose remuait. Il me restait une grenade. A tout hasard, j’ai voulu la prendre. Mon épaule m’a rappelé à la réalité, j’ai crié comme un goret. Puis j’ai entendu une petite voix fluette : ”Tu n’es pas mort, monsieur ? ” Accroupi sous les branches, un gamin m’observait. Manifestement il crevait de frousse. J’ai essayé de lui sourire. Tout de suite, j’avais remarqué son petit costume de communiant. Il n’y manquait rien : nœud papillon, veston de serge noire, chemise blanche, culotte courte, bas blancs et souliers à boucle […] A vue de nez, ce gosse pouvait avoir dans les cinq ans. Il avait les yeux immenses. ”Et où sont tes parents ? ” Son veston était déchiré au coude, gris de poussière. Il devait y avoir un moment qu’il errait à travers champs. ”J’ai peur…”. D’abord, je n’ai pas fait attention à ce qu’il me disait, mais plutôt à son accent. ”Ils tuent tout le monde !” C’était un petit Flamand. Il parlait bien le français. Très vite, j’ai appris qu’il venait d’Anvers, qu’il avait perdu ses parents dans la bataille, lors d’un raid de Stukas, et qu’il s’était égaré […]”Ils tuent tout le monde, vous savez” De la main gauche, je lui ai fait signe d’approcher. Mais il ne voulait pas. Tout en mâchant le caramel, il répétait la même chose… ».
Joserph Marlaire s’évanouit terrassé par la douleur. Il est réveillé par des soldats du 225e Régiment hambourgeois d’Infanterie. Ils veulent le tuer, le soupçonnant d’être aussi un franc-tireur ou par haine. Une cartouche est mise dans le fusil allemand :
« Je voulais garder les yeux ouverts. Les défier jusqu’au bout. Ma mort, je voulais la voir et je voulais qu’ils la voient aussi. Pourtant, quand la rafale a claqué, j’ai fermé les yeux. Ça gueulait toujours mais la voix avait changé. En rouvrant les yeux, je vis qu’un feldwebel à lunettes les injuriait. »
Ces deux Allemands (le feldwebel Kleiberg est accompagné d’un soldat) sont des hommes de cœur : « Ces deux types m’ont sauvé la vie, monsieur Dussert. Eux, du moins, s’obstinaient à rester des gens ordinaires. N’empêche, il fallait le faire. Sans eux j’aurais pu être le troisième [deux chasseurs ardennais prisonniers seront exécutés à Vinkt contre toutes les lois de la guerre] Comme je pouvais marcher, nous nous sommes mis en route. Depuis quelques heures, Kleiberg cherchait son peloton. Il avait eu six hommes tués pendant l’attaque du matin. Les autres avaient disparu et ça le tracassait … » Dans ses pérégrinations avec Kleiberg, Joseph Marlaire revient à Vinkt et aperçoit des dizaines de civils devant un mur de café :
« Ils se tenaient en rang devant un mur du café. Un mur à soubassement de grosses pierres grises, je les vois encore. On leur avait lié les mains dans le dos. Derrière eux, un groupe d’Allemands grillaient des clopes. Tous très jeunes. Kleiberg s’est arrêté. Il a jeté sa cigarette à terre dans l’herbe. Nous nous sommes regardés. Pas longtemps. Malgré le bronzage, son visage était blême. Il a baissé les yeux derrière ses lunettes. Il avait compris ce qui se passait […] Nous avons pressé le pas puis nous sommes passés derrière le groupe de civils, comme si c’avait été le plus court chemin vers on ne savait quelle sortie. Mais il n’y avait pas de sortie, Monsieur Dussert. Car c’est alors que ça s’est passé… »
En fin narrateur, Xavier Hanotte suspend, ici, le récit quelques instants, par une parenthèse sur des détails de la conversation entre l’ancien combattant et l’inspecteur de la Police judiciaire. Puis il redonne la parole à Joseph Marlaire :
« Au moment où je passais derrière lui, un des civils s’est retourné. Un homme jeune. Il avait reconnu mon uniforme. Son regard m’a arrêté. Rien que son regard. Kleiberg l’a vu, lui aussi. Il a eu l’air de s’excuser, a posé une main sur mon épaule – la bonne. ”Avancer. Schnell. Es ist besser so.” Mais moi je ne pouvais m’arracher à ce regard […] Alors, très vite, l’homme m’a parlé d’une voix claire , et il m’a semblé que sa vie entière passait à travers ses paroles. Il ne lui restait pas beaucoup de temps. Il avait tant de choses à me confier. C’était lourd, c’était précieux… »
Nouvelles interruption du narrateur, très brève, puis :
« Je…je n’ai pas compris ce qu’il me disait… »
Nouvelle interruption encore plus brève. Puis :
« Kleiberg, lui, avait saisi, je cois. C’est du moins ce qu’il m’a semblé. La parenté des langues, j’imagine… Mais ce n’est pas à lui que l’homme avait parlé… rien qu’à moi… »
Nouveau silence puis
« J’ai failli, monsieur Dussert… Je l’ai brisé la chaîne… Comme un facteur qui brûlerait ses lettres au lieu de les porter… »
Silence plus long puis :
« J’étais sa chance. La seule. La dernière… »
Un livre unique
Il arrive que devant de grands livres, un compte rendu soit inopérant. J’interromps ici la lecture prolongée d’extraits les plus longs possibles du livre De secrètes injustices. Et j’ ai procédé à une citation si longue, non par paresse évidemment, mais en désespoir de trouver un autre moyen de faire pénétrer au cœur du drame wallo-flamand qu’il met en intrigue d’une façon qui surprend et qui est cependant terriblement juste. Unique aussi. Car ce n’est pas seulement un défaut de compréhension linguistique qui est en jeu dans ce récit fictif et par là plus signifiant encore.
La fin du récit de Joseph Marlaire insiste encore sur la complicité - humaine - qui demeure entre lui et Kleiberg, le signe d’adieu et d’amitié que ces deux soldats - ennemis - se font quand Marlaire est embarqué dans un camion vers l’Allemagne où il subira le sort des soldats wallons. Peut-être chaque lecteur de la revue aura-t-il compris à quel point d’intensité tragique, cet incident, sans doute imaginé, mais plus vrai que la réalité elle-même, résume tout le drame entre Wallons et Flamands, au cœur d’une guerre, plus vaste Drame encore.
Une partie des troupes flamandes se rend le 25 mai au matin, mettant en danger l’armée belge et hâtant plus que probablement sa défaite et la capitulation honteuse face à une armée derrière laquelle il y a le Monstre nazi. On peut comprendre à certains égards le comportement des hommes du 15e Régiment de Ligne. Ces Flamands participent de la Mémoire collective de 1914-1918 qui est celle de la souffrance insigne des soldats en général dans la grande boucherie, mais exacerbée par l’humiliation liée au refus belge et du roi des Belges de flamandiser l’armée. Ils n’ont donc pas la même motivation que les soldats wallons qui participent d’une autre Mémoire collective, plus patriotique. Et d’autant plus fermement patriotique que le souvenir le plus écrasant pour les Wallons est le souvenir des atrocités allemandes bien plus concentrées en Wallonie qu’en Flandre (par l’effet du plan d’invasion allemand qui passe principalement par la Wallonie) : une centaine de localités sur tout l’espace wallon où tombent, en trois semaines (5 août-26 août), plus de 5.000 hommes femmes et enfants (le huitième des morts militaires de la Grande guerre en Belgique), où sont détruites 15.000 maisons.
Des soldats wallons colmatent donc la brèche créée par la reddition sans honneur de la 4e DI flamande (une division de soldats professionnels). Ils peuvent avoir le sentiment – ce sont des ruraux – qu’ils défendent les fermes de Vinkt comme ils défendraient les fermes de l’Ardenne. Malgré la difficulté militaire de la manœuvre, ils infligent des pertes énormes aux Allemands repris par le complexe du franc-tireur qui les habite depuis 1870. A cause de ce complexe, les Allemands croient bon de massacrer une petite centaine de ces fermiers flamands de Vinkt, qu’ils imaginent leur avoir tiré dessus, objets de la fureur teutonne comme Dinant en 1914 où, dans cette ville, c’est la résistance de l’armée française qui avait été à l’origine de l’hallucination sur les francs-tireurs.
Les soldats wallons se battent aussi contre le souvenir de Dinant et les villes en flammes où coule le sang du terrible été de 1914. Ils se battent contre ça. Ils colmatent la brèche. Leur résistance efficace fera que les Allemands de Vinkt reproduiront le ça d’août 14 – le seul d’ailleurs : toute l’armée allemande sait qu’elle ne peut plus reproduire ce qui a fait perdre aux Allemands la première bataille morale de la Grande guerre. Au moment de l’exécution des civils de Vinkt, un Flamand crie quelque chose à ce soldat wallon qui ne comprend pas sa langue et ne peut donc lui porter un secours qu’il n’était peut-être pas impossible qu’il lui porte. Il est un soldat régulier, il n’est pas impossible que son intervention aurait pesé, on peut imaginer tout : que, par exemple le fermier a quelque chose à dire pour sa défense que pourrait utiliser le soldat wallon/belge même prisonnier, mais encore soldat. L’entente n’aura pas lieu. Xavier Hanotte ne le sait pas, mais il est quasiment certain que des officiers wallons furent tués, par leurs propres soldats, au sein de la capitulation du 15e de Ligne où certains commandaient. Xavier Hanotte ne le sait peut-être pas, mais ces événements qui ont pesé bien lourd dans la rupture entre Flamands et Wallons pendant la guerre et sont l’une des explications de l’âpreté de la question royale, elle-même initiée en partie par les redditions flamandes (Léopold III a capitulé, nous l’avons rappelé, en partie parce qu’il ne pouvait pas se trouver face aux Allemands à la tête d’une armée où le comportement flamand et wallon avaient tant divergé). Il me semble que Xavier Hanotte sait que ces événements, au lieu d’être discutés, débattus, par les deux peuples – car il y a quelque chose d’inévitable dans le conflit des deux peuples, le conflit étant la trame même de la vie - ont été férocement dissimulés par la propagande belge, unitariste et royaliste. La preuve, c’est que son livre est une des rares sources qui nous permette de comprendre et de comprendre par le récit infiniment plus fort d’un écrivain que par celui plus technique d’un historien. Les contentieux entre nous, nous ne les connaissons pas assez, nous ne les traitons pas assez. Si nous les avions mieux connus, peut-être la Flandre et la Wallonie pourraient-elles se regarder libres et indépendantes, mais les yeux dans les yeux. Au lieu de quoi, du moins en Wallonie, trop de gens pensent encore que le fédéralisme a été « une invention de politiciens pour nous diviser », alors que, peut-être, il est un pont jeté entre les deux peuples au risque, certes, de mettre en cause l’Etat belge, mais non la démocratie ni la paix. Au lieu de quoi, trop de Wallons se culpabilisent de la rupture de l’unité, comme cela arrive en chaque couple qui se déchire et où c’est le plus faible qui s’estime le plus coupable. Il est aussi absurde, humainement et politiquement, de haïr que de se sentir coupable.
Voilà le commentaire que je ferais de ce livre somptueux, réédité cette année. Certes, les lignes qui concernent le sujet traité dans cette revue ne sont qu’un des chapitres du roman qui par ailleurs est un polar passionnant. Comme ce sont ces lignes qui livrent la clé de l’énigme de ce livre, il faut évidemment le lire, toutes affaires cessantes. Je n’ai pu reproduire en effet toute l’intensité vraie de la tragédie de Vinkt, emblématique de nos conflits, emblématiques de tous les conflits européens, dans leur horreur stupide, mais aussi leur grandeur , car nous pouvons toujours dépasser les conflits, si nous ne les taisons pas, si, du moins, nous ne taisons pas les « secrètes injustices ».
Bataille de la Lys (1940)
- 1. Pour tout ceci voir - pour un exposé beaucoup plus développé et sourcé - Régiments wallons et flamands en mai 1940