"La Belgique endettée" (II) : ruine économique et néolibéralisme
Nous poursuivons la lecture du livre de Xavier Dupret La Belgique endettée. Couleurs livres 2012 (où on peut se le procurer pour la somme de 14 euros).
La fausse comparaison entre la dette de l'Etat et celle d'un ménage
Cette comparaison est en effet fausse, malgré le fait que dans les années 1970 et surtout les années 1980 il ait été fait grand état de la dette de ...l'Etat, comme si celui-ci pouvait se retrouver en défaut de payement. A l'époque aussi on y a abondamment recouru dans les sphères gouvernementales. C'est ce qui se fait encore aujourd'hui, comme l'écrit Xavier Dupret « ad nauseam » (jusqu'à en avoir la nausée) (p.129). Il semble aller « de soi » que les dépenses de l'Etat ne peuvent dépasser ses recettes. C'est une mauvaise comparaison et même une comparaison malhonnête. Comme le démontre X.Dupret cette comparaison ignore « le « saut qualitatif » résultant du passage d'une analyse centrée sur l'individu à une description portant sur un fonctionnement global, structuré » (p.129).
Sur un plan individuel, l'épargne est une bonne chose, mais au niveau d'un Etat une épargne abondante des citoyens a comme conséquence que les entreprises n'anticipent pas sur une consommation possible, ce qui grippe la croissance. L'Etat peut « en s'endettant poser les conditions de son désendettement futur en réalisant les investissements qui donneront un coup de fouet à l'activité économique. Ce qui engendrera des revenus supplémentaires pour la puissance publique si la fiscalité remplit correctement son rôle. » (p.130), Une grande part des dépenses de l'Etat sont des salaires ce qui contribuent à soutenir la consommation et donc la croissance du PIB. Une autre sont les dépenses en matière de sécurité sociale. Elles permettent à la population de jouir de soins de santé bien moins coûteux que dans un pays comme les USA. Et beaucoup plus efficace à nouveau qu'aux USA où il est le fait d'acteurs privés.
Le rapport au temps d'un Etat n'est pas le même que celui d'un ménage. Un ménage devra un jour ou l'autre payer sa dette sous peine d'aller à la ruine. Au contraire « un Etat souverain, en raison de ses prérogatives et de sa durée d'existence sans limitation de temps, échappe à la règle commune. Et ce, d'autant plus que c'est lui, justement, qui définit les règles en vigueur, et dispose en dernier recours de battre monnaie. Voilà pourquoi il est parfaitement normal qu'un Etat ne rembourse jamais sa dette, car il peut maintenir constant dans le temps son ratio d'endettement, alors qu'un ménage doit normalement se désendetter au fur et à mesure qu'il vieillit. » (p. 131)
La comparaison entre l'Etat et les ménages est lourd d'une tendance idéologique qui est l'individualisme méthodologique qui consiste à considérer que la société n'agit pas de manière différente des individus. Dans cette idéologie, l'Etat est alors considéré comme un gaspilleur de ressources précieuses et doit nécessairement réduire les dépenses budgétaires. Dans cette idéologie encore, il n'y a pas de bonne dette publique.
Un raisonnement néolibéral ruine l'Europe
Il est vrai qu'il peut y avoir une mauvaise dette publique celle où le taux d'intérêt de la dette est supérieur à la croissance de l'économie. Le discours néolibéral occulte le fait que cela se produit en fonction des taux d'intérêt et, de plus, ce discours néolibéral rend illégitime le recours aux impôts pour les pouvoirs publics.
Xavier Dupret met en cause l'équivalence entre les impôts ou les emprunts que soulignent les néolibéraux en évoquant la théorie ricardienne, qui établirait que le revenu disponible des ménages baisse de la même manière. L'arbitrage que fait l'Etat entre le recours à l'emprunt ou le recours à l'impôt ne concerne pas tous les ménages dans la mesure où les baisses d'impôts favorisent les hauts revenus qui peuvent en profiter pour augmenter leur épargne qui peut s'investir en obligations publiques. Il faut aussi mettre en cause l'idée que ce seront les générations futures qui rembourseront la dette, car on doit bien dire que la dette « est remboursée chaque année , au profit de quelques rentiers, c'est-à-dire la minorité, à l'échelle du pays, des hauts revenus qui ont bénéficié d'allègements d'impôts et auprès de qui l'Etat s'endette . Dès lors, on peut établir que ce n'est pas la croissance des dépenses qui a alourdi le fardeau de la dette mais un mécanisme de transfert des richesses au bénéfice des détenteurs de la dette, par prélèvement d'un tribut. » (p.134) Les détenteurs de hauts revenus préfèrent prêter à l'Etat que de lui payer des impôts mais c'est alors l'Etat qui paye tribut aux hauts revenus, ce qui amène Xavier Dupret à conclure :
« La libéralisation financière des années quatre-vingt et nonante est intervenue pour sceller cette politique fondamentalement opposée aux intérêts des couches populaires. Car la dette publique est intégrée dans les portefeuilles de placement au titre de placement sûr. Dès lors ce sont les pays ayant le meilleur profil de solvabilité, c'est-à-dire ceux qui corsètent le plus leurs dépenses qui seront réputés être les plus fiables. Au total, ce sera la dette publique de ces pays qui sera prisée. Et partout ailleurs, l'investissement public sera pénalisé. » (p. 135). La finance libéralisée et la tendance universelle à diminuer les impôts sont deux politiques qui nuisent au plus grand nombre.