La fausse réalité des transferts flamands [ un article de 2006 demeuré actuel]

Toudi mensuel n°72, septembre-octobre 2006

Trois économistes, Giuseppe Pagano, Miguel Verbeke, Aurélien Accaputo ont analysé le manifeste In de Warande qui a « établi » de manière plus ou moins scientifique les transferts de la Flandre vers la Wallonie: Le Manifeste du Groupe In de Warande in Courier hebdomadaire du CRISP 1913/1914 (2006).

Les auteurs reproduisent de manière circonstanciée tous les chiffres du « Manifeste ». Ils ont été cependant obligés de demander à l’un des auteurs quelle était sa définition du « transfert » (étonnant). Qui a répondu:

« La somme qu’une Région reçoit en plus (ou en moins) que ce qu’elle recevrait si sa part dans les dépenses était égale à sa contribution aux recettes. »

Cette définition s’applique dans quatre domaines. Notons que la notion de transfert est discutable en plus d’un cas. Il faudrait plutôt parler de transfert quand le flux est sans contrepartie directe, ce qui modifie sérieusement l'idée que l'on peut avoir de ces choses.

Les transferts en Sécurité sociale

En Sécurité sociale, les transferts sont évalués à 2,1 milliards en faveur de la Wallonie, ce qui correspond aux chiffres que nous donnions selon l’étude de Cattoir et Docquier 1 pour 1999 (1,71 milliard). On peut faire remarquer que lorsqu’un salarié a versé des cotisations pour s’assurer contre le chômage, la somme qu’il reçoit n’est pas un transfert, mais quelque chose qui lui est dû, sauf dans la mesure où les sommes qu’il reçoit excèderaient le montant des versements antérieurs dûment capitalisés.

Yves de Wasseige a fait remarquer que les seuls transferts véritables sont les indemnités de chômage. Il est plus difficile de dire la même chose des pensions par exemple. En outre, la Sécurité sociale a été instituée bien avant que Flandre, Wallonie et Bruxelles ne soient définies comme des Etats fédérés. On pourra donc mettre avec réticence au titre des « transferts » une partie seulement des « transferts » en sécurité sociale, soit une partie de 2,1 milliard d’€.

La dette fédérale

En matière d’intérêts de la dette fédérale, la définition du transfert ne vaut déjà plus. « Alors que dans les cas précédents, le transfert résulte de la différence entre la part reçue par une Région et sa part dans les recettes fédérales, le groupe procède, dans le cas des intérêts de la dette, à un calcul visant à imputer aux régions les charges qui auraient résulté d’une scission de la dette opérée, fictivement, en 1990. »

Le groupe fixe donc une scission hypothétique survenue en 1990 pour calculer ces transferts. Mais comme le remarquent les auteurs, la dette a été contractée par l’Etat fédéral et les Régions n’ont aucune part dans cet engagement. La dette a été contractée sous des gouvernements paritaires et avec une majorité de parlementaires flamands.

Ils ajoutent aussi: « Il y aurait transfert en défaveur de la Flandre uniquement dans l’hypothèse où les prêteurs flamands recevraient une part des intérêts de la dette inférieure à la contribution aux recettes fédérales, ce qui n’est pas démontré. » (et ce qui est sans doute invraisemblable, la Flandre étant la plus riche et la clamant haut et fort). Dans ce domaine, les transferts atteindraient (soi-disant), 2,8 milliards d’€.

Les dépenses de l’Etat fédéral

En matière de dépenses de l’Etat fédéral, les auteurs estiment les transferts à 1,9 milliard d’€ (vers la Wallonie). Mais comment ? Ils considèrent comme un transfert « le fait que la part des rémunérations versées aux agents wallons et bruxellois excède la part de ces deux régions dans les recettes fiscales totales de l’Etat ». Le problème c’est que lorsque quelqu’un travaille pour quelqu’un d’autre, il a droit à un salaire. Ce n’est donc pas un transfert. La même chose vaut pour ceux qui fournissent des marchandises à l’Etat fédéral : on pourrait se demander si, dans ce cas, les transferts ne vont pas dans le sens inverse : que l’on songe par exemple aux bus des TEC. Certes, il n’y a pas de chiffres dans ce domaine, mais on peut simplement supputer que la Flandre fournit beaucoup plus (proportionnellement), à la Wallonie, notamment en emportant, même pour la Wallonie elle-même, bien des marchés publics. Evidemment, elle y parvient sur la base de la concurrence et donc sur des bases objectives. Mais tout aussi objectivement, elle profite des dépenses effectuées par la Wallonie en vue, par exemple, d’entretenir ses autoroutes le cas écéhant. Il y a déjà un certain nombre d’années Hugo Schiltz avait calculé que la Flandre exportait en Wallonie autant qu’en Allemagne (RFA). Certes, ces chiffres sont anciens.

En matière de solidarité entre Etats fédérés

En matière de solidarité entre entités fédérées il y a ici effectivement 1,4 milliard de transferts à la Région wallonne et à la Communauté française. Au fond, seule cette somme peut être considérée comme un vrai transfert. On peut s’interroger sur la raison pour laquelle le transfert dans le Courrier du CRISP est imputé totalement à la Wallonie. Mais enfin, admettons le fait malgré tout et le chiffre. Il reste que ces transferts ne concernent qu’un pourcentage minime du PIB wallon et encore plus minime du Produit Régional Brut wallon, quelque chose autour des 3 %.

2,1 Milliards en Sécurité sociale (en partie non pertinents) + 2,8 milliards pour ce qui est du service de la dette (non pertinents), + 1,9 milliard (les dépenses en salaires de l’Etat fédéral : non pertinents), + 1,3 milliard dans les mécanismes de solidarité entre entités fédérées (pertinents) = effectivement 8,1 milliards de transferts vers la Wallonie (et il y en a 2,3 vers Bruxelles).

Ceci signifie que tous les raisonnements politiques du Vlaams Belang, de la NVA dont se réjouissent les unitaristes (cela « prouve » que la Wallonie ne peut pas être indépendante), sont faux.

Il est clair que si l’Etat belge se rompait brusquement en deux comme la glace d’un fleuve gelé, cela poserait des problèmes à la Wallonie, mais tout autant à la Flandre car, en cas de cette rupture brusque, des tas de questions ne se résoudraient en effet pas facilement tant du point de vue économique pur que du point de vue juridique pur ou politique et jamais dans le sens des arrière-pensées des ultras flamands ou de certains unitaristes qui tentent de nous faire peur. Nous ne devons pas avoir peur. Cet ouvrage bien documenté le montre de manière lumineuse.

Il faut rappeler aussi que les entités fédérées ne fonctionnent qu’avec leurs ressources propres, hormis ces transferts objectifs fixés par la loi spéciale de 80 revue ensuite successivement. Ce mécanisme de solidarité existe dans tous les Etats fédéraux. Il faut le redire, car la pollution des esprits est telle avec les transferts que certains imaginent réellement que la Wallonie ne pourrait plus du tout fonctionner sans la Flandre.

Le Groupe In de Warande estime donc, sur la base d’appréciations erronées que la Flandre transfère 8 milliards d’€ à la Wallonie alors que ce n’est que de deux à trois milliards.

Il ne tient pas compte du tout du fait que ces transferts peuvent bénéficier à la Flandre qui exporte autant en Wallonie qu’en Allemagne et dont les entreprises investissent également considérablement en Wallonie (la Flandre est le principal investisseur en Wallonie).

La conclusion, c’est que les transferts n’ont pas la portée que leur notion même tend à fonder à savoir que la Wallonie « vit aux crochets de la Flandre » comme on le disait (déjà), dans les années 80. Pour la part d’indépendance que nous avons déjà, nous, Wallons, contribuons quasi entièrement aux dépenses que cela nécessite. Et Leterme a souvent dit que le financement de la Sécurité sociale demeurerait global. Il resterait à établir – mais personne n’y songe – quel bénéfice la Flandre tire des commandes qu’elle reçoit de l’ensemble des pouvoirs publics en Belgique et dans quelles difficultés la mettrait l’interruption de ce flux.

  1. 1. Ph.Docquier et F.cattoir, Sécurité sociale et solidarité interrégionale in F.Docquier (ed), La solidarité entre les Régions. Bilan et perspectives, Deboeck, Bruxelles, 199, pp. 51-98, TOUDI n° spécial, mai 2004, p. 6.