La percée du PCC au Québec: Il faut pratiquer un souverainisme d'ouverture
Le Devoir lundi 30 janvier 2006
(Les notes sont de la rédaction de la revue TOUDI)
Comment réagir à l'élection du PCC et à sa promesse de corriger le déséquilibre fiscal1, de respecter les compétences du Québec et de permettre une délégation internationale québécoise à l'UNESCO?
Il se peut que cette conjoncture nouvelle change la donne pour certains militants actifs au sein du mouvement souverainiste, et qu'elle les désarçonne quelque peu. Car qu'arriverait-il à la cause si le PCC réalisait ces promesses? Une telle éventualité les inciterait peut-être à regretter d'avoir stratégiquement choisi de critiquer le fédéralisme tel qu'il est pratiqué à Ottawa.
D'autres militants souverainistes, qui refusent toujours de justifier leur cause en s'appuyant sur l'intransigeance de la fédération canadienne, se sentiront confortés dans leur point de vue que c'était une erreur de parler des défauts structurels de la fédération canadienne. Ils se diront que c'est toujours une erreur d'intervenir pour réclamer des réformes au sein du régime fédéral. Il faut rompre, diront-ils, avec le nationalisme réactif, le nationalisme du «ressentiment», et parler positivement en faveur de la souveraineté.
Pourquoi les Bleus à Québec?
Je veux bien, mais la plupart des citoyens ordinaires qui sont tentés par l'indépendance ne réagiront pas de cette façon. Ils sont pragmatiques et ils considèrent depuis toujours qu'une réforme en profondeur de la fédération canadienne serait acceptable. Cette idée est particulièrement ancrée dans la région de Québec et chez les militants de l'ADQ2. Il n'y a pas d'autre explication à la percée du PCC dans le centre du Québec.
Même si plusieurs de ces concitoyens pensent que la souveraineté est en principe préférable au fédéralisme multinational, ils auraient volontiers opté pour le pis-aller d'une fédération profondément réformée. Ils pensent qu'il faudrait reconnaître le peuple québécois dans la constitution canadienne et en accepter les conséquences institutionnelles.
Cette intuition, présente au sein de la population dans son ensemble peut être articulée par les experts qui comprennent le fonctionnement idéal d'un État multinational. Le modèle de l'État-nation n'est après tout pas le seul modèle possible, car la multination existe déjà en Belgique et est peut-être sur le point d'exister pour les Catalans en Espagne.
Un fédéralisme d'ouverture?
En quoi consiste donc cette réforme du fédéralisme? Il faut reconnaître officiellement dans la Constitution canadienne l'existence du peuple québécois, le statut particulier de la province de Québec, le régime de fédéralisme asymétrique pour le Québec, le droit de retrait avec compensation financière pour le Québec, la limitation du pouvoir fédéral de dépenser au Québec, la mise en place de mécanismes pour résoudre le déséquilibre fiscal au Québec, la pleine maîtrise d'oeuvre du Québec en matière de langue, de culture, de télécommunications et d'immigration, la doctrine Gérin-Lajoie en relations internationales pour le Québec3, et le droit du Québec de contribuer à la nomination de trois des neuf juges à la Cour suprême. Il faudrait en outre transférer l'assurance-emploi au Québec et aussi, bien sûr, abroger C-204.
Il ne s'agit pas de placer la barre trop haut dans le but d'obtenir un refus du Canada. Les mesures proposées sont là pour la plupart des revendications historiques des fédéralistes québécois.
En outre, ces changements auraient peu de conséquences pour les Canadiens qui pourraient choisir pour leur propre région entre un fédéralisme centralisé et un fédéralisme décentralisé. Cela équivaut-il à l'accord du lac Meech? Bien sûr que non. L'accord du lac Meech5 était effectivement inacceptable, parce que les cinq mesures proposées étaient insuffisantes, et surtout parce que la clause de société distincte n'avait d'impact que sur la langue, et un impact mitigé en plus.
Un souverainisme d'ouverture
Les citoyens savent qu'il faut une réforme en profondeur pour résoudre la question nationale québécoise à long terme. Les militants souverainistes qui seraient disposés à un tel compromis ne sont toutefois pas légion.
Je suis pour ma part un souverainiste de ce genre, qui aurait fait ce compromis, mais qui croit qu'une telle réforme est désormais impossible. Je ne suis donc pas désarçonné devant l'arrivée au pouvoir du PCC, puisque celui-ci est encore très loin de reconnaître la nécessité d'une réforme constitutionnelle en profondeur de ce genre. Ce fut en effet, une erreur de frapper exclusivement sur le clou du déséquilibre fiscal, sans avoir en tête l'ensemble de la réforme nécessaire.
La solution n'est toutefois pas de faire disparaître la fédération canadienne de notre écran radar et de voir la souveraineté comme une fin en soi ou de la voir exclusivement comme le seul moyen de réaliser un certain projet de société. La solution consiste notamment à placer le Canada encore une fois en face de son incapacité viscérale à reconnaître l'existence du peuple québécois et en face de son incapacité à transformer le pays dans un véritable État multinational.
En faisant cette démonstration, on ne pratique pas un nationalisme du ressentiment. Ce sont les souverainistes qui choisissent d'ignorer systématiquement le Canada qui entretiennent du ressentiment.
La stratégie proposée ne consiste pas non plus à traiter la souveraineté comme un pis-aller. C'est le fédéralisme multinational qui aurait été un pis-aller acceptable. Le «fédéralisme d'ouverture», qui est, il est vrai, encore une nouvelle appellation improvisée pour recycler ce vieux rafiot monarchique qu'est devenu le Canada, ne peut se faire que par une réforme constitutionnelle profonde. Le Canada est-il disposé à une telle ouverture? Nous savons bien que non. Alors pratiquons un souverainisme d'ouverture et faisons plutôt la démonstration de cette incapacité. Il n'y a pas d'autres moyens de convaincre les Québécois indécis de prendre le beau risque de la souveraineté.
Il y aura certes de la «turbulence». Mais ceux qui prennent l'avion régulièrement savent que le pilote nous annonce très souvent que nous sommes sur le point de traverser une zone de turbulence. Cela les empêche-t-il de voyager? Qui refuserait de prendre l'avion pour cette raison?
(*) Michel Seymour a publié un excellent livre sur le problème québécois où il redéfinit la nation Le pari de la démesure, L'Hexagone, Montréal, 2001
- 1. C'est-à-dire, en résumé, la répartition des ressources fiscales
- 2. L'Alliance Démocratique du Québec, parti souverainiste plus modéré et moins influent que le PQ (Parti Québécois), qui avait cependant fait alliance avec lui lors du référendum de 1996. L'ADQ est aussi un parti beaucoup plus à droite que le PQ.
- 3. Cette doctrine est tout simplement le régime qui gouverne l'Etat fédéral belge : les Etats fédérés y sont compétents non seulement à l'intérieur de la fédération, mais également sur la scène internationale, où leur liberté, par exemple en matière de traités ou en matière de présence au sein du Conseil des ministres européens est celle d'un pays souverain. Cette disposition est unique au monde et on estime souvent qu'elle relève non du fédéralisme mais du confédéralisme.
- 4. La « loi sur la clarté » votée par la Chambre des communes et qui spécifie que la Chambre des communes peut, en cas de réponse affirmative à une question référendaire québécoise sur l'indépendance, décider de la validité du résultat en fonction de la clarté avec laquelle la question a été posée. Nous en avons publié le texte dans le n°36/37 de TOUDI (année 2001).
- 5. Accord reconnaissant le Québec comme société distincte, lui permettant de désigner trois juges (sur les neuf qu'elle comporte) de la Cour Suprême du Canada. Il fut rejeté par deux Provinces canadiennes, ce qui le rendit inopérant.