La statue de Léopold II recouverte de sang à Namur

“Mémoire, Vigilance et Résistance” Namur le 16 juin 2011
16 juin, 2011

Au terme de ce long week-end de Pentecôte, les Namurois empruntant le rond-point de la Place Wiertz à Salzinnes ont pu découvrir ce rappel historique, sous une forme protestataire lapidaire incontournable: "ASSASSIN", signé du symbole anarchiste. Quant au peu reluisant monarque, une peinture rouge dégoulinait de ses épaules jusqu'à ses pieds en recouvrant son coeur de pierre. Le symbole du sang africain répandu sous sa responsabilité.

Ce n'est pas la première fois que des citoyens protestent de cette façon contre cette perversion de la mémoire, ce mensonge éhonté officiel en faveur d'un monarque criminel. Déjà le 9 septembre 2008, la statue à proximité de la Place du Trône à Bruxelles avait été couverte de peinture rouge sang. Il s'agissait alors de l'écrivain contestataire Théophile de Giraud, qui déclarait "Non au symbole d'injustice" en qualifiant à juste titre Léopold II de "criminel contre l'humanité" dans sa colonisation sanglante du Congo (1). Le 16 novembre de la même année, c'était un groupe d'action dénommé "De Hand Van De Stoete Ostendenoare" qui recouvrait de peinture rouge le buste du roi Léopold II situé Prinses Stephanie-en Prinses Clementinaplein à Ostende (2). Une fois de plus, au cours de la nuit du réveillon de Noël 2009 cette fois, c'était le tour du buste de Léopold II dans le parc du Musée colonial de Tervuren (3).

Léopold II, le Roi du caoutchouc à la conscience élastique


De nos jours, un tel monarque rejoindrait le box des accusés pour ses crimes contre l'humanité, jugés par la Cour Internationale de Justice à La Haye. On comprend donc que le centenaire de la mort de Léopold II, décédé le 17 décembre 1909, fut "fêté" par une commémoration dans une indifférence quasi totale (3). On comprend également le silence total d'Albert II, lors de cette commémoration séculaire, envers ce grand-oncle si peu recommandable. Malgré cela, cette statue de la honte venu atterrir à Salzinnes à proximité de l'avenue de Tabora, est devenu le lieu privilégié des nostalgiques de Léopold II, qui chaque année en juin ou juillet, viennent y exprimer leurs incantations militaristes et autres fantasmes colonialistes. C'est alors la grand-messe du sabre et du goupillon, initiée par le Cercle royal namurois des anciens d'Afrique, venus "répondre à l'appel lancé par le roi Léopold II" (sic), par un hommage sacralisé au "drapeau de Tabora" (4). Voilà un réel déni de Mémoire et de Justice face à cet "enfer d'atrocités bien réelles", créé sur la terre congolaise en leur nom, enfer qui fut dénoncé à l'époque notamment par Arthur Conan DOYLE: "Il a été créé par un roi belge, par des soldats belges, des financiers belges, des législateurs belges, du capital belge et a été défendu et assumé par des gouvernements belges" (5).

Un autre enfer


Cet "enfer" réveille à ma mémoire un souvenir anecdotique de circonstance. C'était voici déjà pas mal d'années lors d'une "visite archéologique" au domaine d'Argenteuil dont un château était occupé par une famille aristocratique super royaliste comme il se doit, mais plus curieusement en adoration - le mot n'est pas excessif - du roi Léopold II. Quel ne fut pas notre étonnement lorsque nous fûmes invités à parcourir le musée surprenant consacré à ce monarque sur une importante partie de cette demeure. A peu près toute la vie intime de ce roi y était consacrée jusqu'à la reconstitution de sa chambre à coucher avec son lit digne d'un Roi mégalomane, ou plutôt de l'un de ses nombreux lits; mais lequel?
En cours de visite, nous fûmes conviés à franchir une porte mystérieusement fermée à clefs qui s'intitulait: "L'Enfer". Et qui nous fut dévoilée avec complaisance. Enfer, certes en référence à ce "département d'une bibliothèque où sont déposés les livres licencieux interdits au public." (cf "Petit Robert"). En l'occurrence ici notamment toutes les publications d'époque caricaturant et diabolisant un roi visiblement pas apprécié de tous. C'était entre autres, une revue bruxelloise portant le titre "Le Rasoir" (vendue 15 centimes à l'époque) et qui n'y allait pas avec le dos de la cuillère. Enfin, l'aristocratique hôtesse nous offrit à notre curiosité admirative (?) une grosse médaille en or dont la face à l'effigie de Léopld II présentait côté pile, ce qui justifiait son enfermement dans "l'enfer"... un gros plan du supposé sexe royal en érection totale. Ma conclusion à ce sujet: à déposer dans le même étui que la médaille de l'Ordre de Léopold II, où dans la même poubelle. Elles se vallent toutes deux dans un musée de l'Enfer.

En conclusion, tout d'abord les autorités communales de Namur devraient bien comprendre que la "bonne solution" ne consiste pas à rechercher des "coupables" ni à chaque fois restaurer cette statue obsolète et inopportune. Car selon toutes probabilités, ici à Namur comme ailleurs, les récidives risquent fort de se répéter. Ensuite, les hommages à Léopold II et aux nostalgiques des guerres africaines coloniales qui ont eu pour conséquence l'instauration "d'un système d'oppression organisée, de pillage, de massacre, et tout cela afin d'accroître les bénéfices des compagnies..." (5) prendront désormais place parmi les nombreuses raisons d'indignation citoyenne qui s'expriment un peu partout! Avec Stéphane HESSEL (6), face à cette comédie honteuse des nostalgiques, répercutons ce cri: "INDIGNEZ-VOUS!" Et agissons en toute cohérence démocratique pour restaurer la Réalité historique!

Terminons par une suggestion en ce sens: que soit concassé cet objet encombrant destiné à paver le chemin d'enfer des nostalgiques. Et qu'une nouvelle statue, autrement significative de sens humanitaire, soit posée à cet endroit: une sculpture de Patrice Lumumba en côte à côte avec celle de Jean Van Lierde qui fut son ami et allié fidèle dans un combat commun pour l'Indépendance du Congo. Lumumba, alors Premier ministre, assassiné par des officiers et diplomates belges avec l'aide de leurs complices congolais et l'approbation implicite du roi Baudouin au plan conçu pour tuer Lumumba.
Willy COLETTE Un citoyen indigné

Notes:

(1) "La statue de Léopold II couverte de peinture", BELGA, cité par "La Libre Belgique" du 09/09/2008.
(2) "Un buste de Léopold II souillé avec de la peinture"; BELGA, repris dans "La Libre Belgique" du 16/11/2008.
(3) "Léopold II, à nouveau recouvert de peinture rouge", RTL info.be du 26 décembre 2009, 19h 28'
(4) a) "Hommage au drapeau de Tabora" par F.G. in "Vers l'Avenir" du 8/7/2003; b) "En souvenir de la bataille de Tabora" par Fredddy GILLAIN, in "Vers l'Avenir" du 25/06/2004.
(5) Arthur Conan DOYLE: "Le crime du Congo belge", Suivi par"Le Congo français" de Félicien CHALLAYE, Postface de Colette Braeckman; les nuits rouges 2005; page 305.
(6) Stéphane HESSEL: "INDIGNEZ-VOUS!"; Editions Indigène, octobre 2010; 29 pages.
Petite Bibliographie sélective parmi les principaux ouvrages de base

Pour ceux qui souhaitent approfondir lesujet:

1) le livre précité de DOYLE dans la note (5)
2) Isidore Ndaywel è Nziem: Histoire générale du CONGO. De l'héritage ancien à la République Démocratique"Préface de Théophile Obenga; Postface de Pierre Salmon; De Boeck & Larcier, Département Duculot, Paris, Bruxelles1998; 955 pages.
3) Jules MARCHAL: a) "L'Etat libre du Congo: Paradis perdu. L'Histoire du Congo 1876-1900. Volume 1 (397 pages) b) "E.D. MOREL CONTRE LEOPOLD II" L'Histoire du Congo 1900-1910" Volume 2 (463 pages)
4) Auguste Maurel: "Le Congo de la colonisation belge à l'indépendance"; Préfacé par Jean-Philippe PEEMANS; L'Hamattan, Paris 1992; 353 pages.
5) ADAM HOCHSCHILD: "Les Fantômes du Roi Léopold" Un holocauste oublié. Traduit de l'américain parMarie-Claude Elsen et Franck Straschitz; Belfond, Paris 1998; 441 pages.
6) Ludo De Witte: "L'ASSASSINAT DE LUMUMBA"; Editions KARTHALA, Paris 2000;415 pages.
7) Luc De Vos, Emmanuel Gerard, Jules Gérard-Libois, Philippe Raxhon: " Les secrets de l'affaire Lumumba"; Editions Racine, Bruxelles 2005; 494 pages.

Une mine de renseignements sur la page : Histoire de la monarchie belge