Le choix de la France (II) (Paul-Henry Gendebien)
Nous reprenons, là où nous l'avions laissée, la lecture du livre de Paul-Henry Gendebien Le choix de la France. Après avoir tenté de rendre compte des deux premières parties, De l'utilité de l'État belge dans la géopolitique européenne et Des nations à la recherche d'elles-mêmes , nous abordons maintenant la troisième partie Vers une partition à l'amiable qui ne fâcherait pas l'Europe.
L'analyse que fait P-H Gendebien, il a raison de la reprendre souvent quand il s'adresse aux publics divers qu'il rencontre: «Flandre et Wallonie instrumentalisent chacune à sa façon ce qui reste d'État. À côté d'une authentique nation flamande convaincue de ses droits historiques et de ses atouts pour le nouveau siècle, il y a une " population francophone de Wallonie et de Bruxelles " qui ne connaît pas bien son état civil et qui escompte survivre, le temps qu'elle pourra, en s'accrochant à la Belgique. Fédéralisme de dissociation d'une part, de consommation de l'autre.» (p.103). La Flandre préparerait son indépendance en organisant une euthanasie programmée de l'État belge, et la Wallonie pratiquerait l'acharnement thérapeutique en vue de postposer le choix d'un destin. Pour P-H Gendebien, l'hypothèse du confédéralisme est à exclure car la Flandre s'y «comporterait en quasi-État et les francophones se marginaliseraient, divisés ou dispersés entre régions wallonne et bruxelloise» (p.104). P-H Gendebien estime que le confédéralisme n'a pas de consistance juridique ni politique. Pourtant le fédéralisme dont parlait F.Dehousse au Congrès National Wallon de 1945, c'est bien du confédéralisme, comme d'ailleurs aussi le confédéralisme implicite qui résoud la Question royale en 1950, l'affaire des ventes d'armes en 1991 (avec la réunion lourde de menaces sécessionnistes du Parlement wallon de Namur). Et il y a aujourd'hui les rencontres entre gouvernements wallon et flamand ou celles entre le Président wallon et le Président flamand. Des fédéralistes stricts comme F.Delpérée s'alarment que le fédéral soit absent de celles-ci.
Le «choix de la France» est préparé selon P-H Gendebien, le plus probablement, par la sécession de la Flandre. «Une seule alternative» s'offrira aux Wallons: «la République indépendante de Wallonie (avec ou sans Bruxelles) ou la réunion avec la République française». P-H Gendebien pense que l'indépendance ne sera pas du fait «de l'inexistence d'une véritable aspiration nationale qui serait propre au peuple wallon» (p.111).
Les objections contre l'indépendance, les raisons du réunionnisme
Il émet plusieurs objections à l'indépendance: absence d'aspiration populaire, inefficacité du fédéralisme institué progressivement depuis vingt ans, maintien des pratiques clientélistes de la classe politique, son insensibilité aux enjeux culturels et internationaux. Une Wallonie indépendante ne serait pas à l'abri de démembrements divers: Brabant wallon, Tournaisis, Gaume, Luxembourg (dans l'hypothèse d'une Wallonie coupée de Bruxelles). Pour lui aussi, l'État wallon risque de ne pouvoir agir comme partenaire de la citoyenneté et garant des solidarités.
À ces questions de viabilité matérielle, l'État français apporterait une réponse sûre et la Wallonie apporterait à la France ses capacités en aéronautique, espace, sidérurgie, industrie du médicament etc. Les groupes français sont bien présents en Wallonie car ils ont avantage à y investir. Pour l'auteur, la tendance au réunionnisme domine le mouvement wallon. Le PS récupéra la tendance autonomiste wallonne au cours des années 80. Mais cette récupération étant faite, il en est revenu à une vision belge des choses et le courant autonomiste s'y est affaibli. L'auteur cite aussi de nombreuses déclarations de personnalités réunionnistes PS comme Claude.Eerdekens, Yvan Ylieff, Robert Collignon ou PRL comme Louis Michel (se rétractant ensuite), Jean Defraigne... Le projet réunionniste de P-H Gendebien inclut Bruxelles, restant capitale de l'Europe et devenant Région de France au même titre que la Wallonie avec des garanties pour les Flamands signant avec Hollandais et Français un Traité en vue de la promotion du néerlandais.
Les avantages du réunionnisme
D'une part , selon l'auteur, «la Wallonie s'est mise au monde elle-même»(p.124), mais, d'autre part, elle ne peut retrouver le sens de l'État et de la République que grâce à la France: «la réunion aurait le mérite de rehausser le statut des Wallons, sujets belges, à celui de citoyens français. Avec elle, c'est un projet politique novateur qui est proposé aux Wallons et aux Bruxellois. Au-delà de la francophilie, l'idée réunionniste doit être l'instrument d'un changement de régime politique. Que l'on songe à ce que celui-ci apporterait: le creuset républicain, le principe d'égalité garanti par la loi, l'école de tous et pour tous la meilleure possible, la garantie d'une solidarité sociale organisée, la laïcité de la sphère publique combinée avec la liberté des cultes dans la sphère privée, la séparation de l'Église - des églises - et de l'État, le principe de l'intégration des immigrés au lieu du communautarisme promoteur de ghettos, le scrutin majoritaire.» (p.125). Cela faciliterait aussi l'éradication de la hideuse culture du compromis à la belge. L'adhésion à la France repose sur des affinités culturelles évidentes mais elle est avant tout adhésion à la République, une République qui n'interdit pas le développement des identités régionales. Au demeurant, la structure française est en voie d'évolution et «rien n'interdira à des régionalistes wallons devenus français de rejoindre le camp de ceux qui, dans la France d'aujourd'hui, estiment qu'il faut aller plus loin et plus vite dans le mouvement déjà bien engagé de la régionalisation et de la décentralisation.» (p.128).
La réunion à la France signifiera aussi plus d'espoir pour les jeunes de Wallonie et de Bruxelles que l'enfermement dans le réduit belge. Il faudra songer à rapprocher progressivement les deux systèmes d'enseignement. Dans le domaine des pouvoirs locaux, l'auteur montre que le nombre d'élus (Provinces devenues Départements, Parlement devenu Conseil régional), il y aurait autant d'élus ou quasiment ainsi qu'au plan national. La réunion à la France évite à l'Europe l'éclatement en micro-États et signifierait aussi pour la France une sorte d'invitation à réassumer le rôle mondial qu'elle a si souvent joué depuis la Révolution.
Toujours dans l'hypothèse d'une partition imposée par la Flandre, P-H Gendebien écrit: «Plusieurs facteurs détermineront l'attitude française. En premier lieu, l'incertitude croissante qui entoure la construction européenne et, en regard de celle-ci, le rôle confirmé de l'Allemagne comme puissance centrale, feront en sorte que la France y réfléchira à deux fois avant de refuser un accroissement significatif (...) l'intérêt que la France a déjà affiché pour l'économie wallonne via ses grands groupes industriels et financiers, est le signal d'une prise en compte de ce que peut représenter la Wallonie. Si on y ajoute Bruxelles, alors l'intérêt politique, culturel, économique des territoires francophones de l'ancienne Belgique est encore plus appréciable.» (p.137)
Des conclusions à tirer
P-H Gendebien examine encore la réunification allemande et l'éclatement de la Tchécoslovaquie. Il imagine aussi des dérogations appliquées à la Région wallonne et à la Région bruxelloise
Son analyse revient: «Extraordinaire paradoxe: tandis que la majorité flamande s'emploie à éviscérer l'État, la minorité wallonne, égarée dans le labyrinthe de sa propre mendicité, célèbre à tout propos le " nouveau climat communautaire " et la Belgique pacifiée. À court d'argent, hypnotisés par le spectre de la partition, les Wallons et les Bruxellois croient pouvoir le conjurer en lâchant du lest à chaque négociation institutionnelle. Ils voudraient à tout prix sauver l'État, mais ils consentent à ce qu'on lui enlève des organes vitaux sans lesquels il finira par dépérir. La posture est dramatique: pour recevoir des crédits, les francophones sont acculés à dépouiller la Belgique en toute complicité obligée avec la Flandre, sans quoi celle-ci menace de partir. Depuis des décennies, le chantage est permanent.» (p.153). L'ouvrage se termine par un appel aux Français de ne pas refuser l'apport d'un peuple français qui apportera plus de France et plus de République, proposition que l'auteur joint à une revitalisation de la Francophonie, de l'amitié France-Allemagne, des rapports Nord-Sud.
Je crois qu'il faut nuancer l'idée que dans le conflit Flandre/Wallonie, cette dernière aurait toujours été perdante. On peut citer la solution à la question royale en 1950, le triomphe du fédéralisme à trois voulu par les Wallons au détriment du fédéralisme à deux voulu par les Flamands, la crise de la vente d'armes en 1991. La Flandre a pris l'initiative de déclencher la crise de Leuven en 1968, mais la Wallonie n'en est nullement sortie perdante avec sur son sol les atouts de R & D liés à l'établissement de l'Université de Louvain en Brabant wallon. Il y a d'autres scénarios que celui d'une réunion à la France provoquée par une initiative flamande sécessionniste, mais ce scénario est dominant et cela part d'une hypothèse que l'on peut critiquer en se plaçant du point de vue wallon. La Wallonie est-elle si incapable que cela de prendre des initiatives? Les toutes dernières années sont décevantes, certes. Mais la Wallonie est entrée depuis un siècle dans un processus de restructuration qui n'est pas terminé et, elle a dû le subir en même temps que l'hostilité de la monarchie et de la bourgeoisie belge puis flamande. Il est impossible de sortir intact de ces confrontations surtout quand elles se manifestent dans une période de restructuration économique engendrant chômage, perte de confiance en soi collective, développement de mentalités poussant à la dépendance. En outre, dans l'espace wallo-bruxellois, l'un des partenaires, Bruxelles, ne s'inscrit que difficilement dans la perspective d'un projet politique d'autonomie ni même d'un projet de redéveloppement.
Or, malgré ces handicaps, la Wallonie «n'est pas encore morte». Un consultant indépendant comme «Deloitte & Touche» estime que la Wallonie se redresse. Il n'y a pas encore une vraie politique internationale et une véritable politique culturelle, car les mettre en oeuvre se heurte à la nuisance terrible de cette structure politique absurde et néfaste qu'est la Communauté française. Signaler cela, ce n'est pas fermer les yeux sur nos médiocrités. Mais dans la mesure où la Wallonie ne dispose de véritables moyens autonomes que depuis dix ans à peine, dans la mesure où le redressement ne viendra que d'une participation de la société entière, dans la mesure où celle-ci n'a pas encore tout à fait intégré le fait de l'autonomie (et la presse francophone écrite, parlée et télévisée, de même que l'establishment économique et culturel et l'enseignement ont tout fait pour qu'il en soit ainsi), doit-on laisser là le chantier wallon et choisir le redressement dans un autre cadre que celui où s'est inscrit plus d'un siècle un combat wallon opiniâtre, au coeur parfois de batailles terribles? Et qui continue avec le «Contrat d'avenir»?
La solution réunionniste s'inspire d'un mot inédit du général de Gaulle mais qui lui ressemble: «Rien n'est jamais définitivement perdu dans la vie des peuples si ses dirigeants ne s'abandonnent pas au faux fatalisme de l'histoire...». À notre sens, il y a deux manières de s'inspirer de cette parole d'espérance. Elles se contredisent mais au moins les Wallons de tous bords sont maintenant convaincus que la Wallonie s'en sortira d'une manière ou d'une autre.
Voir la première partie Le choix de la France (I) (Paul-Henry Gendebien