Le Gouvernement Di Rupo I

6 décembre, 2011

On se demande bien quelles auront été, ce mardi 6 décembre, les impressions de ceux qui voient leurs allocations filer au-dessous du seuil de pauvreté face aux mines épanouies du roi et de ses ministres prêtant serment dans toutes les langues du pays (Elio), ou dans deux d'entre elles (les ministres wallons, les ministres flamands étant plus rares à le faire).

Ils se seront demandé également pourquoi Di Rupo ne chantait pas l'Internationale au Congrès du PS le samedi 3 décembre. Le vice-Premier ministre D.Reynders ne se gênait pas pour dire, ce soir au JT, que le gouvernement devait avoir une touche libérale. Le problème du mouvement socialiste, c'est que, vu le contexte mondial où n'a pas encore été menée jusqu'au bout l'agonie du système actuel, ce sont encore les prescriptions religieuses des économistes néolibéraux qui l'emportent. Face à ces prescriptions il n'y a pas de demandes socialistes fortes allant vers un mieux au point de vue social, mais une position défensive derrière la ligne Maginot des droits acquis. Quand on est derrière une telle ligne, on ne peut menacer son adversaire que de l'impossibilité dans laquelle il serait de franchir cette ligne, ceci dit en termes militaires.

Et en termes politiques, quand on est sur la défensive (la gauche) et les autres sur l'offensive (la droite), le compromis n'est jamais équilibré pour les partis défensifs (de gauche), qui défendent ceux qui depuis l'invention du mot crise dans les années 70 sont en train de dégringoler sans cesse comme l'expliquait déjà Gabriel Maissin il y a presque vingt ans dans République : 1982-1992 : Dix ans d'austérité, qui en préparent dix de plus ?. Fatalement, il faut un compromis pour qu'un gouvernement se forme. Mais comme les exigences libérales visaient très durement les chômeurs, les socialistes n'ont pas pu faire autre chose que les défendre à demi et les laisser sans doute choir bientôt au-dessous du seuil de pauvreté. Cette situation reportera sur les communes les charges que les Flamands ne veulent plus voir assumer par l'Etat fédéral, et on peut estimer que la majorité d'entre ces communes seront des communes wallonnes.

S'il y a une raison de soutenir ce gouvernement, c'est cependant son programme institutionnel, car la seule façon dont, à long terme, la Wallonie populaire peut se tirer d'affaires, c'est le fédéralisme et le confédéralisme. On le sait depuis André Renard. Il ne faut pas craindre les difficultés d'une Wallonie laissée à elle-même ou dont on supposerait que son autonomie la laisserait seule face à tout.

Il ne faut pas le craindre parce que ce n'est pas ce que signifie l'autonomie. Simplement déjà en raison du fait que les transferts flamands sont peut-être ce qu'ils sont dans la situation actuelle, mais que personne ne sait ce qu'il adviendra le jour (qui n'est pas proche), où la Wallonie devrait se débrouiller seule. En effet - et il est regrettable qu'on entende si souvent parler de transferts flamands et si rare que l'on en fasse valoir l'énorme contre-partie - la Wallonie demeure dans le monde le meilleur client de la Flandre et la Flandre n'a aucun intérêt à ce que son meilleur client se ruine (à supposer que c'est ce qui pourrait lui arriver). « Le nord n'aurait d'ailleurs aucun intérêt à se réjouir de l'appauvrissement du sud, puisque la Wallonie reste son premier partenaire économique. » a écrit il y a quelques mois Giuseppe Pagano en parlant de Autonomie wallonne : chiffres et arguments basiques.

Les possibilités réelles de l'autonomie wallonne sont souvent détaillées sans qu'on dise quoi que ce soit de l'énorme épargne des ménages wallons qui est égale à 160% du PRB de la Wallonie. Rappelons ce qu'a écrit Xavier Dupret dans un article fouillé de la revue Politique et que nous résumons ici :

Xavier Dupret qui se décrit comme un néo-renardiste, rappelle (Stimulation = politique de crédit, pp 43-46), que l'épargne des ménages belges équivaut à 266, 35 % du PIB et que leur endettement représente 54,73% du PIB. Il décrit très pédagogiquement la différence entre PIB et PNB (ou encore PIB régional et PRB): n'interviennent dans le PIB que les activités localisées dans la région, le produit régional brut mesure les revenus du travail perçus par les Bruxellois, les Wallons et les Flamands. En termes de PIB, les parts de BXL, Flandre et Wallonie sont respectivement 19,2%, 57,5 % et 23,3%, mais en termes de PRB 12,8 %, 60,6% et 26,6%. Ceci l'amène à considérer que l'épargne des ménages wallons est équivalente à 224% de leur PRB et leur endettement équivalent à 64 %. Ces calculs ont été rendus nécessaires selon lui parce que les statistiques wallonnes sont muettes sur ces questions. Et ceci contrairement aux statistiques en France qui, elles, mesurent les données financières régionales, avec moins de jacobinisme qu'en Belgique. Il écrit : « La solvabilité des ménages wallons s'établit aux alentours de 160% du PIB local contre 153% aux Pays-Bas, 130% en Allemagne. Il se pose alors la question de savoir pourquoi il n'y a jamais eu en Wallonie « d'entreprise visant à se doter d'un appareil bancaire avec l'objectif de faire fructifier l'épargne des résidents au sein du tissu économique régional » (p. 45) Il montre que si cela a été le cas au Québec avec les caisses Desjardins (96e dans le top 100 des banques mondiales avec des actifs de 118 milliards d'€ et qui, au regard de la crise bancaire et financière est une « bonne » banque), avec aussi une institution publique de crédit la caisse de dépôt et de placement qui gère près de 100 milliards d'€. Mais ces institutions s'expliquent par le passé du Québec vieil Etat autonome dans le cadre de la fédération canadienne. Pour Xavier Dupret, la crise bancaire et financière a ébranlé les dogmes néolibéraux ce qui réactualise l'une des propositions du renardisme à savoir la mise sous tutelle publique des banques et institutions de crédit.1

Il faut d'ailleurs ajouter dans ce contexte que si la Wallonie avait plus d'indépendance, une autre politique aurait pu être menée dans ce contexte de crise. Sans rêver de lendemains qui chantent dans une Wallonie plus autonome, on pourrait pertinemment escompter que les partis (comme certains libéraux et en particulier les libéraux flamands), dont l'électorat hait les chômeurs auraient moins de poids dans une région qui politiquement a toujours été plus à gauche socialement. Car l'avantage arraché par les libéraux sur le compte des chômeurs ne répond à aucune nécessité financière mais à une considération bassement électoraliste fondée sur les fausses informations répandues dans le public sur le chômage et sur la joie mauvaise de certains petits-bourgeois cossus qui rêvent de voir les chômeurs souffrir encore plus que ce n'est le cas.

De nombreux économistes, pas tous de gauche d'ailleurs, savent que les politiques d'austérité compétitives menées par les différents Etats européens pour rétablir les équilibres budgétaires risquent de n'avoir aucun effet parce que le premier effet d'une réduction des dépenses de l'Etat est de pénaliser la croissance qui est la seule possibilité, précisément, de rembourser ou de diminuer la croissance des dettes publiques en Europe qui posent un problème à l'heure où sont écrites ces lignes, à tous les pays d'Europe, pas seulement aux soi-disant mauvais élèves.

Ce gouvernement va donc accroître encore l'écart sans cesse grandissant entre les détenteurs de capitaux et qui en vivent et ceux qui vivent de leur travail dont Gabriel Maissin montrait déjà en 1992 qu'il était intolérable. Paul Jorion attribue à et écart grandissant la responsabilité première de la crise financière. Si le système actuel tend à concentrer de plus en plus d'argent et de biens dans un nombre sans cesse décroissant de mains, le système va nécessairement à la mort parce que les riches - nous reprenons ici les termes mêmes de l'économiste - auront alors de l'argent à ne plus savoir qu'en faire. Car ils n'auront plus d'endroits où le placer c'est-à-dire à le prêter puisqu'il auront ruiné tout le monde autour d'eux. Voilà ce qu'il répétait sur l'antenne de France-Culture et que nous avons déjà résumé 2.

Le gouvernement belge s'sinscrit dans ce programme d'agonie du système.

Il ne faut donc pas craindre de s'opposer aux mesures qu'il propose pour améliorer la position de la Belgique face aux marchés puisque cette politique va non seulement ruiner les plus démunis d'entre nous mais aggraver la crise pour tous les autres.

  1. 1. Plan Marshall: premières analyses et estimations
  2. 2. Critique : Le capitalisme à l'agonie (Paul Jorion)