Le meilleur congrès jamais organisé par l'Institut Destrée

28 mars, 2011

Ce n'est évidemment pas la première fois que l'Institut Destrée convoque les forces vives de la Wallonie et tous ceux qui se soucient de l'avenir de leur pays afin de les amener à se confronter dans une optique constructive. L'Institut fait le pari qu'il est possible de construire une Wallonie ouverte et plus prospère avec l'ensemble de ses habitants. Avec aussi les régions avoisinantes au coeur de l'Europe. Le 4 mars dernier une série de personnalités signaient un appel à accompagner et participer à cette démarche 1, notamment en raison de l'urgence : il est clair que les compétences de la Wallonie vont s'accroître comme jamais et que les ressources liées à l'exercice de celles-ci ne seront plus aussi abondantes que jadis. On a parlé beaucoup de confiance au cours de ces huit heures de discussions intenses, difficiles et passionnantes, seulement interrompues par une pause de midi relativement brève. C'était ce vendredi 25 mars au Palais des Congrès de Namur.

Le territoire

Neuf ateliers étaient constitués 2 . Je ne peux parler que de celui auquel j'ai assisté intitulé Gouvernance territoriale régionale et territorialisation des politiques. D'abord, tout en le suivant attentivement, malgré tout le vocabulaire utilisé qui me tue. Il me fait penser aux réunions pédagogiques dans le baccalauréat en éducateur spécialisé où j'enseigne. Il y a des mots dont j'ai peur comme «transversalité» par exemple. Pourtant, ce simple mot pourrait résumer les travaux de mon groupe, il est l'envers de cette manière que l'on a de travailler seul dans son coin. Par exemple le Contrat d'avenir pour la Wallonie a été adopté sans considération pour le SDER (Schéma de développement de l'espace régional), lui-même étudié par Luc Maréchal et son administration parce que le Bénélux entendait donner à la Wallonie le rôle de merveilleuse terre de vacances de cet ensemble d'une petite trentaine de millions d'habitants. Il a été négligé aussi lors de l'adoption du Plan Marshall. Or, le territoire est évidemment fondamental puisque c'est par lui qu'une collectivité humaine s'identifie, en déjouant le mieux son exclusivisme : tout qui est du territoire est de la collectivité, cela tombe sous le sens. Les autres sont des voisins avec lesquels l'entente est nécessaire.

La Wallonie dans le bassin versant de la Meuse

Pourtant, prospectant l'avenir, le carrefour (baptisé « fabrique » dans le jargon du congrès), n'hésite pas à mettre en avant aussi des hypothèses négatives comme l'éclatement de la Wallonie s'en allant par morceaux s'agglutiner au Luxembourg, au Nord-Pas-de-Calais, à Bruxelles, à Aix et Maastricht et disparaissant, l'Europe elle-même devenant une zone de libre-échange. Les responsables du groupe insistent sur l'absence de statistiques wallonnes liées au territoire. D'autres font valoir que la Communauté française par respect des logiques politiques où c'est la Wallonie qui est compétente, s'interdit de parler et proposer en liaison avec les matières régionalisées, et, bien entendu, du point de vue du territoire. Un consensus se dégage en faveur de l'importance du territoire et de la représentation de celui-ci, notamment à travers l'intervention de deux géographes de l'UCL. Ils insistent entre autres sur le fait que la population wallonne n'a pas l'intelligence de son territoire. D'autres, après la réunion, faisaient remarquer que l'appellation sans cesse utilisée à la place de « Wallonie », le « Sud-du-pays » rendait vraiment mal compte de la réalité puisque la plupart du territoire wallon est à la fois à l'ouest et à l'est ( la météo s'exprime toujours ainsi). Alain de Roover, secrétaire général de Wallonie Développement met en valeur tout le travail qui se déroule dans la Wallonie picarde (voir la carte au début de l'article), une région qui a réussi à bien se définir et à mobiliser dans son cadre les différents acteurs depuis les économiques jusqu'aux politiques en passant par les culturels. Mais au niveau global, il n'y a pas de culture du territoire. Il est vrai que l'enseignement n'y prépare pas et que les cartes de la Wallonie s'avèrent être à peu près toutes rester une demi-Belgique ou donner le sentiment qu'on a coupé le Belgique en deux. Il n' y a pas d'autonomisation (traduction française de l'empowerment) de la représentation du territoire wallon. Il s'agit aussi - c'est sur cela qu'a porté l'essentiel du débat - de bien équilibrer le supra-communal, le wallon et le local.

Un exemple enfin, très frappant, a été donné de la manière dont la manière d'envisager le territoire peut jouer énormément sur le développement. Dans les années 50, la politique agricole belge a réellement divisé le territoire national en deux régions ayant des finalités distinctes, l'une, le sud du sillon Sambre-et-Meuse à qui fut confiée l'élevage de la race Blanc-Bleu-Belge (le nom lui-même montrait bien qu'il s'agissait d'une politique nationale délibérée), l'autre ayant comme spécialité l'engraissement du bétail et sa transformation en vue de sa commercialisation

Les carrefours de l'après-midi

Les participants de la « fabrique » consacrée au territoire eurent la chance de voir leur thème à nouveau traité lors de la première table ronde de l'après-midi puisqu'elle s'intitulait Comment établir un nouveau rapport au territoire.

Comment établir un nouveau rapport au territoire

Le gouverneur Caprasse a participé à l'expérience Luxembourg 2010 (voir carte du début de l'article), ce plan luxembourgeois soutenu par le gouvernement wallon 3. Il se dit satisfait de réalisations, comme par exemple dans le domaine de la sécurité routière, mais beaucoup moins lorsque les logiques de pouvoir ont empêché les partenariats comme dans l'enseignement. Jean-Marc Urbain, secrétaire général de la CSC Mons-La Louvière fait preuve d'une grande intelligence du territoire situant le Borinage par rapport à Valenciennes, le Centre, la Wallonie picarde, Charleroi. Il évoque la nécessité pour la Région wallonne de « consulter » (au sens médical), dans la mesure où elle lance des politiques en matière d'emploi qui viennent contredire ou faire doublon avec les politiques existantes. Alain de Roover regrette aussi que le gouvernement wallon ne se positionne pas dans cette question de la gestion du territoire wallon. Madame Bataille, importante responsable de l'Union des villes et communes de Wallonie (qui remplace son président Jacques Gobert empêché), insiste sur la politique de la ville en raison de son effet polarisant. Le Professeur Bernadette Mérenne est d'une grande brièveté et clarté. Pour elle une politique territoriale réussit si le territoire visé par cette politique est pertinent et quand les acteurs locaux ont la volonté de s'impliquer dans le projet. Il faut ensuite qu'il y ait un moteur à ce projet qui est le politique. Alors les projets réussissent. Pour le Professeur, la Wallonie doit adopter un véritable projet stratégique qu'elle ne peut implémenter qu'en le situant dans l'Europe et le Monde. Elle considère comme anormal que les pouvoirs locaux ne soient pas présents au CESRW. Le recteur de l'UCL, Bruno Delvaux, impressionne par sa clarté et sa détermination. Il souligne l'enracinement de l'UCL dans une ville qu'elle a en quelque sorte cogérée avec le pouvoir politique ou en entente avec lui. Il met en garde contre le sous-régionalisme pour les universités qui risque de les faire périr. Il insiste sur les chances de la Wallonie en raison de sa position centrale en Europe, de ses ressources étendues en matière d'espace, distingue la dérive élitiste de la nécessité de miser en matière universitaire sur les locomotives (ce qui concerne toutes les universités). Il intervient surtout avec une sorte de solennité sur la nécessité pour la Wallonie de s'identifier clairement. Sans un grand soin apporté à son projet identitaire, il y a risque qu'elle meure et vise clairement, pour les condamner, au nom de la confusion qu'elles introduisent, les dérives rattachistes.

Comment stimuler l'implication, l'autonomisation, la citoyenneté ?

Christiane Cornet, secrétaire général de la CGSP-enseignement regrette la dualité institutionnelle qui insularise l'enseignement par rapport au reste des politiques wallonnes. Relevant que l'on parle beaucoup de transversalité, de coopération entre les acteurs, elle regrette que les collaborations entre unités d'enseignement dans ce que l'on appelle les « bassins de vie » se heurtent au fait que les enseignements dans la Communauté française soient en concurrence les uns avec les autres parce que c'est leur mode de fonctionnement, contradictoire du développement régional. Son organisation souhaite l'existence d'un réseau unique, mais pourrait à tout le moins accepter que l'on crée une structure faîtière à même de coordonner les politiques d'enseignement en évitant les doublons et les concurrences stériles. Anne Godenir, directrice de Lire et Ecrire Wallonie rappelle qu'il y a 10% d'illettrés en Wallonie, que les statistiques ne sont pas sûres, qu'il en existe 16% dans le Nord-Pas-de-Calais : l'alphabétisation est par elle-même la voie royale vers la citoyenneté. Il n'y a pas de politique de l'alpabétisation, ni en Wallonie, ni en Communauté française. Michel Molitor , professeur émérite à l'UCL, insiste très fort sur le fait qu'en Wallonie, il existe un désarroi des citoyens parce que, soit les gens estiment que les changements ne sont pas vraiment conduits, soit parce que les critiques qu'on leur fait ne sont pas pas élaborées de manière crédible. On croit moins aux institutions qu'auparavant et, en même temps, les individus s'organisent mieux qu'autrefois pour résister, indépendamment d'elles. La simultanéité des deux phénomènes est intéressante. Les deux tendances ne sont pas contradictoires. C'est dans ce contexte qu'il faut que les institutions apparaissent comme porteuses de sens, crédibles, cohérentes. Cela implique qu'elles posent des questions vraies à la population sans lui donner le sentiment qu'elles ont la réponse à celles-ci. Il donne comme exemple la volonté qu'ont eue toutes les universités francophones de mettre au point une politique commune et coordonnée dans le domaine de la coppération au développement, ce qui a renforcé la confiance des pays avec lesquels on coopère. Pour lui, il faut crédibiliser les cadres de la vie collective, sortir de la logique de lotissement de la société, du cycle de l'idée que l'on fait les choses pour le gens, apprendre à évaluer et à rendre compte.

Thierry Castagne de la Fédération Agoria Wallonie donne l'exemple de la réaction lors de l'année sombre des élections communales de Charleroi en 2006. Patrons et syndicats ont réagi, se sont réunis pour mettre en place un comité de développement stratégique à l'aéroport de Charleroi, lié à la mise en place de formations continues, créant ainsi une recette de développement avec les divers ingrédients de la formation, de l'innovation et de l'entreprise, cela sur le même site, en période de crise, un projet qui a réussi à rassembler pour sa mise en œuvre 47 millions d'€. Marie-Anne Belfroid-Ronveaux qui préside l'Union des clases moyennes et le Conseil économique et social pour la Wallonie fait part de la manière dont son père lui a transmis ce qu'elle juge comme un des fondamentaux de l'esprit d'entreprise : le respect de tous ceux avec qui l'on travaille, y compris les clients. La volonté du partage en temps de réussite (qui engendre des surplus pour chacun) à condition que ce partage obéisse à des règles clairement établies.

Comment prendre en charge les nouvelles responsabilités et solidarités collectives

Basilio Napoli directeur général du Forem Conseil insiste sur le fait ques filets du système social protecteur sont de plus en plus troués et il invite à dépasser la notion classique de l'emploi. Marie-Hélène Ska, Secrétaire nationale de la CSC sur l'idée qui court à travers ce congrès qui est la participation entre acteurs, leur collaboration. Cela suppose dit-elle que chacun sorte de son identité de départ. Elle regrette que dans la discussion nationale sur les pensions, les pensions complémentaires, sur la place du troisième âge dans la société en particulier, on n'ait pas osé venir du côté wallon et que l'on ait laissé tomber ce partenariat avec le fédéral. Marie-Hélène Ska ajoute que les syndicats désirent collaborer au redressement wallon, mais qu'ils ne pourront accepter n'importe quelle politique. Guy Fays qui remplace Michel Mathy, directeur de la FGTB wallonne pense que, présentement, le partenariat avec le politique est souvent un contrat de sujétion (il en donne des exemples concrets). Il ne s'agit pas de contester au politique sa place éminente, mais de lui dire et redire qu'il doit co-construire et non tout planifier. Christophe Schoune, secrétaire général d'Inter-environement Wallonie, rappelle qu'Inter-environnement fédère 150 ONG et regrette les retards de la Wallonie en matière de politique environnementale de même que le fait que son association ne soit pas présente au sein du CESRW.

L'intervention de Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de Lutte contre la Pauvreté a été, peut-être de manière intattendue, l'une des plus significatives. Elle partit du cas concret du squattage ou des domiciliations dans les caravanes résidentielles, comportements mal vus du gouvernement wallon qui tente même de les éradiquer, alors que, manifestement l'offre publique et privée de logements n'arrive pas à satisfaire un grand nombre de personnes. L'esprit du temps, poursuit-elle, souligne la nécesité de se prendre en charge, de se responsabiliser etc. Or c'est ce que font ces personnes proches de la misère. Contrairement à l'idée qu'on s'en fait, ces personnes sont toujours attachées à la réussite et à l'intégration. Rares sont parmi elles, celles qui (selon la représentation commune), ont la propension à se laisser aller. Les familles d'exclus, dans une société qui incite à consommer, soit à se gaver de produits d'on n'a pas besoin, sont aux premiers rangs de la résistance. S'inscrivant à fond dans l'idée de partenariat sans cesse évoquée au cours du coloque, elle invite à considérer les pauvres d'abord comme des acteurs, des partenaires, des gens qui, malgré les apparences, se tiennent debout. C'est la seule intervention qui suscsitera dans l'assistance des applaudissements nourris, spécialement destinés à la personne qui vient de parler, même si toutes les tables rondes ont été collectivement applaudies.

Philippe Destatte

Philippe Destatte rappelle que c'est le 27 mars 1961, en ce même lieu, que se réunit le premier Congrès du Mouvement populaire wallon. Une partie du projet renardiste est acquise, à savoir la fin du déclin. Mais on est loin d'une réussite achevée. Et le directeur de l'Institut Jules Destrée l'explique par le manque de confiance, le manque de confiance entre les institutions et les citoyens, mais aussi entre les institutions elles-mêmes, ce qui a été selon lui, la principale cause de l'échec du Contrat d'avenir pour la Wallonie. Le Conseil économique et social régional pour la Wallonie, s'est défié de ce Contrat d'avenir qui semblait s'appropier certaines des tâches auxquelles il est voué. Mais Elio Di Rupo n'a pas compris que le CESRW ne l'avait pas compris et celui-ci n'a pas su que Di Rupo ne le comprenait pas. D'autres malentendus ont eu lieu.

Il esquisse une sorte de contre-comparaison avec les Régions françaises qui, dans leurs rapports avec l'Etat, proposent des projets que celui-ci soutient parce qu'il fait systamatiquement confiance aux collectivités territoriales.

Destatte en appelle à une co-construction de la Wallonie entre les partenaires sociaux, les associations diverses (celles que l'on a longuement entendues), et le Politique.

Celui-ci brillait par son absence, à l'exception de la Présidente du Parlement wallon, attentive et prenant force notes, mais qui fut quand même obligée de partir avant la fin.

Ce qui me rend cependant enclin à considérer que ce congrès fut l'un des meilleurs organisés par l'Institut Destrée, c'est le fait qu'il y eut plus, cette fois-ci, que, par exemple en 1987 à Charleroi (où l'on sentait malgré tout des divergences entre rattachistes, indépendantistes etc.), une préoccupation commune de la Wallonie. En 1991, en 1998, au début des années 2000, les politiques étaient présents, mais ils semblaient surtout venus pour y parader. Les acteurs de la société civile étaient présents, mais, souvent, soit comme militants radicaux, soit comme militants de leurs organisations.

Analyse

Or, il n'est pas inévitable que les politiques viennent à une réunion seulement pour y parader. Ils auraient dû saisir l'occasion dans ce cas-ci puisque la télévision n'était pas là, ce qui est sans doute un fait important. Il m'a semblé aussi que les partenaires de la société civile n'étaient pas tous là pour avancer les revendications de leurs groupes, exclusivement ou pour faire du militantisme wallon facile et oublié aussitôt dès que témoigné.

L'esprit du congrès vivait chez les membres de la fabrique du « territoire », mais aussi chez des gens aussi différents que Thierry Castagne (patron), Christine Mahy (réseau wallon de lutte contre la pauvreté, celle qui a sans doute le plus fortement parlé de la citoyenneté), Michel Molitor (avec son couplet sur la confiance qui va droit à l'essentiel), Bernadette Mérenne (exposant sereinement la réussite d'une stratégie territoriale wallonne ouverte sur l'Europe et le Monde), Bernard Caprasse (s'expliquant longuement sur le Luxembourg et la Wallonie), Marie-Hélène Ska (CSC) et Guy Fays (FGTB) (montrant du doigt le défaut du Politique qui songe d'abord à assujettir plutôt qu'à coopérer), Christiane Cornet parce qu'elle a mis le doigt sur une autre plaie : le caractère concurrenciel des réseaux en Communauté française, une Communauté qui n'arrivera sans doute jamais à se coordonner avec la Wallonie, mais dont le partenariat avec Bruxelles suppose justement la suppression (s'entendre suppose aussi que l'on élimine les éléments inutiles et nocifs). Le témoignage qui m'a sans doute le plus impressionné, c'est celui de Bruno Delvaux, recteur de l'UCL. Il parle de l'identité et du rattachisme. Evidemment. La Wallonie ne peut être prise en charge par l'ensemble de ses citoyens que si elle décide une bonne fois pour toutes de ce qu'elle veut et de ce qu'elle est. Et cela entre les deux évidences établies parfaitement et normalement de la France et de la Belgique, qui sont des Etats-nations reconnus. Il n'y a d'identification vraiment possible d'une population qu'avec un Etat-nation. Or les deux que l'on vient de citer sont déjà fort anciens, ne serait-ce que depuis la modernité (de ce point de vue, compte tenu de ce que 1830 vit la France se couper de manière décisive de l'Ancien régime, la Belgique est aussi ancienne, car elle opéra la même rupture, peut-être même de manière plus convaincante, en naissant).

La Wallonie entre la France et la Belgique. Rétrospective et prospective

Il ne s'agit pas de dire que la Wallonie doit s'ériger immédiatement en Etat-nation. Mais il s'agit de montrer que son développement ne sera pas assuré dans le cadre belge où le fédéral sera réduit à la portion congrue, d'autant plus que la Belgique est de plus en plus une confédération d'Etats. Et son développement ne risque pas non plus d'être opéré dans le cadre français d'une manière qui pourrait devenir rapidement opérationnelle, parce que personne ne veut la fin de la Belgique, aussi coquille vide que celle-ci devienne. En outre rêver de revenir au cadre belge (comme certains peut-être en rêvaient encore il y a peu), ne serait-ce que le cadre existant (il est caduque), ou rêver de développement dans un cadre français dont nous n'avons aucune expérience directe et que nous ne pourrions d'ailleurs pas rendre opérationnel avant un certain temps, voire longtemps, c'est mépriser l'une des bases de la prospective, c'est-à-dire la rétrospective. Faire de la prospective, c'est vraiment le contraire de l'idée qu'il faut faire table rase du passé. Il y a une « loi du sentier » qui fait qu'une collectivité peut profondément s'améliorer, mais comme on le dit en physique sans modifier par elle-même sa trajectoire. Les institutions politiques de la Wallonie, ses entreprises, ses universités, ses grandes forces sociales organisées, ses villes et ses régions, ses associations pâtissent certes d'un mal survenu dans un cadre belge où la Flandre jouait toute seule et pour elle-même en s'appuyant sur sa majorité politique 4 . Mais tout cela avance. Le Plan Marshall, en dépit du fait qu'il a un peu mis hors jeu les citoyens s'associe étroitement les universités, faisant entrer en jeu un acteur relativement neuf dans la politique de développement de la Wallonie. Les syndicats (de patrons, d' employés, ouvriers, indépendants, classes moyennes, agriculteurs), sont déjà dans ce jeu classique depuis longtemps. Les associations y sont moins : il est assez significatif que les pouvoirs locaux ou Inter-environnement Wallonie aient plaidé pour être associés aux travaux du Conseil économique et social régional pour la Wallonie. La revendication n'est pas platement institutionnelle, car pareille participation implique d'abord plus engagement qu'intérêt. Peut-être les universités devraient-elles y être aussi représentées ?

Et les citoyens ?

La question centrale serait de savoir où les citoyens wallons dans leur ensemble devraient être insérés. Et comment. Les Wallons ne font peut-être pas terriblement confiance à leurs institutions, mais, d'abord ils ne les connaissent pas. Certaines élites médiatiques font fièrement profession d'ignorance à cet égard, ce qui ruine d'avance tout effort pédagogique dans les écoles primaires et secondaires où la Wallonie est peu présente, voire absente et même complètement absente (André Elleboudt en témoigna pour l'enseignement libre lors du Congrès de la Fondation wallonne de l'an 2000). Bien d'autres défauts devraient être reprochés à l'enseignement en Wallonie que celui-là. Pourtant, on a l'impression, en lisant quelqu'un comme Philippe Van Parijs 5, que l'absence de toute référence à une identité collective expliquerait le retard de l'enseignement en Wallonie. A une époque où l'Eglise était plus influente qu'aujourd'hui, quelques prêtres et laïcs de la Commission de pastorale et d'étude ouvrière, dans une étude parue en 1967 et intitulée Le rôle des chrétiens dans l'avenir économique de la Wallonie, posaient notamment cette question, avec l'approbation des évêques wallons : « L'enseignement libre à tous les niveaux ne doit-il pas contribuer dans l'étude et dans son adaptation aux nécessités de l'heure, à la reconversion de la Wallonie ? » Cette question-proposition ne fut suivie d'aucun effet, on de le rappeler (avec la remarque d'André Elleboudt). Mais cela démontre aussi que la mobilisation de tous les citoyens wallons en faveur du redressement wallon est une ancienne idée. Renouvelée par les nécessités de l'heure à la veille de transferts énormes de compétences qui vont faire de la Wallonie une sorte d'Etat en grande partie indépendant, mais qui ne s'en sortira pas aisément, ne serait-ce que sur le plan financier. La société civile wallonne est mobilisable, le congrès de l'Institut Destrée l'a prouvé.

Danger pour la classe politique, la Wallonie et la démocratie

Elle est mobilisable mais la classe politique présete ne donne pas l'impression d'être capable de la mobiliser. Déjà en 1991, Jean-Marc Ferry (qui appelle cela aussi le « post-étatique ») écrivait « Le système démocratique [empêche] le monde vécu social [soit un concept proche de "société civile" note de JF...] d'ouvrir un espace de discussion pour une formation authentique de la volonté et de l'opinion publique. Jusqu'ici, la volonté politique est mesurée par les résultats des scrutins électoraux, lors d'élections générales ou partielles ; elle n'est à ce titre, rien de plus qu'une somme arithmétique de décisions individuelles isolées. Quant à la notion d'opinion publique, elle tend à se confondre avec le concept imposé dans l'expression trompeuse par laquelle les instituts de sondage, forts de statistiques effectuées à partir d'échantillons pris dans la population, désignent des agrégats statiques d'avis privés. C'est l'apparence derrière laquelle la réalité de la volonté politique et de l'opinion publique demeure largement inconnue. Du moins échappe-t-elle aux canalisations que le système démocratique avait prévues pour elle. C'est pourquoi elle se retrouve à l'extérieur du système démocratique. » 6

L'autonomisation de la société civile qui s'est révélée au dernier Congrès de l'Institut Destrée illustre ces paroles perspicaces du philosophe français. Le danger pour la classe politique c'est de ne pas voir que son rôle a profondément changé depuis une cinquantaine d'anbées et que s'attacher à la présidentocratie 7 est la meilleure manière de ne pas répondre à ce défi d'envergure. Car si tout cela se prolonge, la classe politique risque bien d'être placée complètement hors jeu. Et dans ce cas, il serait possible que la société civile en Wallonie relève seule la Wallonie, le monde politique ne lui servant plus que de pot de fleur. Ou alors, que la Wallonie, comme cela a été envisagé, éclate et s'en remette à d'autres pouvoirs politiques comme celui de la Région bruxelloise, du Nord-Pas-de-Calais (de la France...), du Luxembourg ou de Lands allemands. Dans les deux cas, il en va de la démocratie. Jamais l'identité des deux combats - pour la Wallonie, pour la démocratie - n'aura été aussi clairement révélé que lors de ce Congrès 2011 de l'IJD le 25 mars.

(*) Document : La plateforme d'intelligence territoriale wallonne, Feuillets de la Wallonie, Institut Destrée, 09.2007.

Depuis plusieurs années les exercices de prospective territoriale mobilisant les acteurs locaux se sont multipliés en Wallonie. Ils ont permis de dégager des visions communes du territoire dans un horizon de long terme et de construire des plans stratégiques concrets. Ces initiatives ont pu émerger à partir de pouvoirs locaux (Luxembourg 2010 ou Charleroi 2020), d’agences de développement (Liège 2020 ou Prospect 15 - Arrondissement de Dinant), voire au départ des citoyens (Herve au Futur).

L’intérêt de ces travaux réside dans le fait qu’ils se sont inscrits dans une logique de bonne gouvernance et qu'ils se sont appuyés sur les instruments régionaux que sont le Schéma de Développement de l'Espace régional (SDER) et le Contrat d’Avenir pour la Wallonie.

La richesse de ces démarches a suscité l’intérêt des responsables régionaux qui ont décidé d’organiser des échanges d’expériences au profit de nouveaux porteurs d’initiatives à l’échelle communale ou supracommunale. Aussi, le ministre André Antoine, Vice-président du gouvernement wallon, a confié à l’Institut Destrée la mission de structurer une plateforme d’échanges et de capitalisation de ces diverses expériences. Le site internet IntelliTerWal.net relaie ces travaux ainsi que d’autres expériences, provenant notamment de l'étranger. Un guide pédagogique sera préparé pour la fin de l’année 2006.

De manière générale, le projet a pour objectifs :

‑ d’assurer une visibilité des différentes initiatives de construction d’aires de collaborations supracommunales en Wallonie, de leurs cheminements et de leurs méthodes de construction et de développement;

‑ de produire une information sur les avancées de l’intelligence et de la prospective territoriale en Wallonie, ainsi que des expériences significatives dans d’autres pays et régions européennes. Cette information vise à alimenter les processus en cours et en gestation.

Le projet a aussi pour mission:

‑ de construire une plateforme d’information et de réseautage dédiée aux projets de territoires en Wallonie, dans la perspective de la mise en oeuvre du SDER.

‑ d’assurer une information la plus exhaustive possible sur les initiatives de prospective territoriale menées sur les aires de coopération communales et supracommunales wallonnes.

‑ d’importer en Wallonie l’expertise internationale existante dans le domaine de la prospective territoriale.

La plateforme IntelliTerWal est animée par l'équipe de prospective de l'Institut Destrée


  1. 1. Appel pour un contrat sociétal wallon
  2. 2. On trouvera la liste de ces 9 fabriques ici
  3. 3. Réseaulux
  4. 4. Faut-il encore citer Critique : Flandre-Wallonie. Quelle solidarité ? Michel Quévit (Couleurs livres) ?
  5. 5. Philippe Van parijs : « la performance scolaire des enfants n'est pas que l'affaire des écoles (...) est liée à la mise en oeuvre d'un véritable projet collectif qui implique aussi les familles et le monde associatif » in Bruxellois et Wallons, même combat! en particulier le pargraphe Régionaliser le personnalisable
  6. 6. Les puissances de l'expérience, Tome II, Chapitre II, Paris, Le Cerf, 1991, pp. 55-57).
  7. 7. Qu'est-ce que la Présidentocratie?