Le Parlement wallon adopte le principe de Juncker

Le 21 juillet est l'anniversaire du début de l'insurrection contre Léopold III
20 juillet, 2016

Jean-Claude Junker

Jean-Claude Junker : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens.»



La RTBF exclut tous les soirs la Wallonie de l'Histoire. Mais cela ne tient pas qu'à la RTBF. Elle reflète la posture de tous les médias et de tous les dirigeants d'une Wallonie soi-disant autonome. Tant à l'exécutif qu'au législatif, leur projet est de nous nier. Le député Collignon y insistait au JT du 19 juillet : la Consultation populaire ne portera jamais sur des sujets comme les impôts, les électeurs ne pouvant que voter pour leur totale suppression.

Les groupes du Parlement wallon (sauf un), contre les grèves générales, voire contre le référendum

Les opposants au référendum (et à la démocratie), usent toujours de cet argument. Les Suisses donnent pourtant l'exemple de ce ce que ce qu'ils appellent le Souverain (le peuple), même sur des sujets favorables aux démagogues, est capable de voir au-delà de son intérêt immédiat. Collignon, lui, est sûr de l'incapacité des Wallons. Et que leur autonomie régionale ne doit pas « déranger » l'Etat belge ! On limitera donc les consultations populaires aux questions « de compétence régionale » (alors que la ratification des traités en est une), au potopoto namurois, au secondaire. Déjà en 2005, le même Parlement avait refusé qu'on organise un référendum sur le Traité constitutionnel européen (TCE). Avait-il eu le pressentiment du NON du peuple français ? Peut-être. Peut-être pas. De toute façon, même en France, cela n'a rien changé. Aujourd'hui, c'est clair : comme partout en Union européenne, le peuple wallon est prié de la fermer.

Et il est frappant que cette opposition au référendum, sur des questions capitales, aille de pair, dans TOUS les partis politiques (sauf un), à une répugnance profonde aux grèves générales dites « politiques ». En 60-61 des mandataires wallons à tous niveaux soutenaient les grèves. Aujourd'hui on laisse la chose au PTB immédiatement accusé de manipulation. Or la grève de 60-61 en popularisant comme jamais la revendication d'autonomie wallonne, en se prolongeant à travers le Mouvement populaire wallon a pourtant contribué comme rien d'autre -rien !-à installer ce Parlement de Wallonie qui vient de décider de l'oublier.

Un Pays wallon pourtant fondé sur les grèves générales et la consultation de 1950

Il oublie surtout la Consultation de mars 1950 sur le retour de Léopold III. Dès le 26 janvier 1950, Jean Rey Rey exige qu'elle soit régionalisée et elle l'est. Rey, comme ministre de l'Intérieur du premier gouvernement Eyskens, obtient que le dépouillement de cette « consultation » (peu consultative en fait sinon en droit), se fasse par région (Flandre, Wallonie, Bruxelles) et déclare qu'un NON wallon serait une manière de veto 1. Veto opposé effectivement par le vote, puis par un Congrès wallon extraordinaire où Renard annonce le ralliement de la FGTB de Liège au mouvement wallon, prélude à l'insurrection de juillet.

Le Parlement wallon adopte le principe de Junker       Il ne peut y avoir de choix démocratique  contre les traités européens.  (Jean-Claude Juncker, président de la Commission UE  dans Le Figaro du 2 février 2015)  Quand un peuple promet seulement d’obéi

Congrès national wallon extraordinaire du 26 mars 1950 à Charleroi


Le 18 juillet 1950 Léo Collard déclare à la Chambre lors du débat sur la fin de l'impossibilité de régner que la Wallonie est menacée « d'un mouvement incontrôlable et irrationnel de nature morale et psychologique » 2. Incontrôlable ? Etrange qu'un parlementaire juge incontrôlable le peuple qui l'a élu. Puisqu'il doit contrôler le gouvernement. « Irrationnel » d'un point de vue « moral » ? Les Wallons jugent que Léopold III n'est plus moralement digne de régner après ses compromissions avec l'Allemagne : ce n'est pas irrationnel.

Le roi revient le 22 juillet 1950. Dans la ville de Collard, le 21 juillet au matin, les rails des trams vicinaux en face du Vaux-Hall sont rompus par la dynamite 3. Une centaine d'attentats du même genre suivent partout, puis la grève générale. Renard déclare le 27 juillet : « La grève sera générale, illimitée, totale. Aucun soin ne sera pris de l'outillage. Nous laisserons noyer les charbonnages. Les hauts fourneaux n'ont pas été bouchés ; les cokeries sont abandonnées. On ne nous a pas pris au sérieux. Tant pis ! A partir d'aujourd'hui, les mots « révolution » et « insurrection » auront pour nous un sens pratique. Nous les emploierons dans votre vocabulaire de tous les jours. Nous irons jusqu'au bout et nous ne reculerons devant rien. Léopold II a voulu la bataille. Le voilà servi 4! »

Un pays se fonde sur son peuple

Le 1er août la radio annonce que Léopold III se retire. Les 30 et 31 juillet 1950, plusieurs leaders politiques et syndicaux envisageaient la formation d'un gouvernement provisoire qui se serait chargé entre autres de faire appel à l'armée française. Certains mettent en cause la réalité factuelle de cette tentative sous prétexte qu'elle ne serait pas étayée « par des documents probants ». Pourtant, elle l'est. Il ne s'agit d'ailleurs que d'une tentative et seulement envisagée. Mais par des gens sérieux et dignes de foi. Cette semaine-là, le peuple avait opposé un veto sanglant à ce que l'on voulait lui imposer, que ses représentants rejetaient aussi, mais que ces seuls représentants n'auraient pas pu empêcher.

Il n'y a rien -vraiment rien !- dans toute notre histoire qui ait jamais mis à ce point en avant la Wallonie. Elle a commencé d'exister comme jamais dans ces journées où elle a forcé la décision politique. La grève de 60-61, déclenchée sur une toute autre question, a quelque chose à voir avec 1950. 1950 est une résurgence de la Résistance à l'occupant nazi, 1960 est la résurgence de 1950 avec, comme en 1950, des actes de type « résistant » comme le déraillement de trains, l'explosion de bâtons de dynamite et une plus grande violence encore des manifestations de rue. Une répression plus forte aussi : les morts et les blessés graves de 1960-1961 ne sont pas ceux d'une manifestation marginale comme celle de Grâce-Berleur le 30 juillet 1950. Et le Gouvernement d'Eyskens procède à quelque 2.000 arrestations suivies d'emprisonnements de militants pour de longs mois.

Il n'y a pas de nation sans insurrection. Ce qui fonde les nations, c'est leur peuple. Comment peut-on en douter ? Ou dire que ceci serait « populiste » ? De tels mouvements instaurent la démocratie, autrefois mouvements d'une rare violence, aujourd'hui mouvements d'une force plus contenue, plus réfléchie, plus « rationnelle « pour faire écho au discours de Léo Collard à la Chambre le 18 juillet 1950. Est-on en face de défis du même genre qu'en 1950, en 1960 ou lors des luttes pour le suffrage universel ? Oui. A cause de l'Union européenne qui à travers les traités européens impose pour vingt ans une politique budgétaire que les Parlements nationaux ont accepté de ne plus pouvoir modifier. Mais pas seulement. Le Parlement wallon ne veut pas que le peuple wallon se prononce sur les traités européens parce qu'il existe un consensus à l'intérieur des élites pour ne pas les mettre en cause. Même s'il faut saluer son opposition au CETA (étrangement, le Parlement justifie son vote en parlant d'un consensus à l'intérieur de la population contre ce traité).

En toute circonstance historique vitale, le concours du peuple tout entier est requis pour fonder une politique, telle la démocratie en Wallonie et Belgique. Or elle est menacée en Europe. Plus : elle a cessé d'exister. Les élites ne donneront plus la parole au peuple, ceci le démontre. Un Parlement volontairement amputé de ses prérogatives ne rendra pas celles qui sont la propriété du peuple. Pour restaurer la démocratie, il faudra un mouvement populaire exigeant à nouveau le droit de légiférer sous la pression d'une action dans la rue contraignant le pouvoir exécutif et législatif. Contrainte légitime puisque les pouvoirs en Europe -sauf exception comme la Justice belge déjà insurgée-, eux, ont cessé de l'être.


  1. 1. Voir la déclaration de Jean Rey au début de Chapitre V : Mise en abîme de la Belgique et de la monarchie
  2. 2. Annales parlementaires, session chambres réunies, 18/7/1950 cité par Paul Theunissen, dans 1950, le dénouement de la question royale, Complexe, Bruxelles, 1986, p. 88.
  3. 3. Voir Le gouvernement provisoire wallon de 1950
  4. 4. Le Soir du 28 juillet 1950.