Note du Formateur (7/7/2011) Di Rupo rejetée : un air de déjà vu

12 juillet, 2011

En cette période estivale, le lent processus de décomposition de l'Etat belge continue inexorablement.

Et connaît un nouvel avatar avec le rejet, ce 7 juillet 2011, de la note de M. Di Rupo, qui avait été désigné formateur par le Roi le 16 mai dernier. Est-ce le point final de cette négociation, qui dure depuis maintenant près de quatre cents jours ? Les premiers pronostics allaient en ce sens, la plupart des spécialistes inclinant à prédire l'organisation de nouvelles élections à l'automne. Pour autant, une fois passée la fête de la Communauté flamande et les rodomontades des nationalistes flamands, rien ne permet d'exclure une reprise des pourparlers. Au contraire, dans la presse, les positions s'adoucissent et le non catégorique s'assortit désormais d'une invitation à poursuivre la discussion.

En réalité, à bien y regarder, l'histoire de ces négociations regorge de péripéties de ce genre : on ne compte plus les propositions ultimes et les réunions de la dernière chance qui, toutes, ont échoués sans autre conséquence qu'une dramatisation temporaire suivie d'une reprise des discussions.

C'est que, à vrai dire, on ne voit pas vraiment quelle autre solution pourrait être adoptée.

Des élections ?

Evoquée à intervalle régulier, l'organisation de nouvelles élections n'apporterait pas une solution durable aux difficultés que nous connaissons. Sans doute le résultat des urnes, au lendemain du scrutin du 13 juin 2010, constitue-t-il la cause prochaine de ces difficultés. Pour autant, il ne faut pas perdre de vue que ce résultat ne fait que traduire dans le fonctionnement des institutions les évolutions divergentes qu'ont connues les opinions publiques wallonne, bruxelloise et flamande.

Dans ces conditions, de nouvelles élections ne peuvent offrir d'échappatoire que si elles sont organisées à un moment où des facteurs extrinsèques détournent ces opinions de leurs orientations longues, à la manière de ce qui s'est passé en 1999 lorsque les élections législatives tenues lorsque la crise de la dioxine battait son plein ont vu les écologistes opérer une poussée importante.

De telles poussées sont cependant éphémères, le réflexe des opinions, une fois la crise passée, étant de rapidement s'aligner à nouveau sur ces tendances longues. L'organisation d'élections dans un tel contexte permettrait sans doute de résoudre momentanément certaines difficultés, mais laisserait subsister les problèmes.

Le meilleur exemple d'un tel phénomène est sans doute celui que nous offrent les péripéties de l'automne 2008. Suite à la faillite, le 15 septembre 2008, de la banque d'affaires américaine Lehman Brothers une série d'institutions financières à travers le monde éprouvent des difficultés. Le ministre des Finances, M. Reynders, les responsables de la banque nationale et de la commission bancaire, financière et des assurances, paraissent sur les plateaux de télévision pour rassurer les Belges : notre secteur bancaire est solide et l'épargne nationale ne risque rien. Pourtant, quelques jours plus tard, le 29 septembre 2008, l'Etat belge doit emprunter plusieurs milliards d'euros en catastrophe pour recapitaliser massivement Fortis. D'autres banques suivront et on apprendra par la suite que nous sommes passés tout près d'un effondrement bancaire généralisé. Dans le même temps, le cartel CD&V/N-VA éclate dans une totale indifférence. Cependant, vingt mois plus tard, la N-VA, d'appendice nationaliste du CD&V, deviendra le premier parti du pays. L'opinion publique flamande, ses économies sauvées, est revenue entre-temps à ses tropismes...

Par ailleurs, faut-il insister sur le fait qu'à jouer avec le feu, on risque de se brûler ? Ainsi, parmi les hypothèses qui sont régulièrement convoquées par les éditorialistes et commentateurs, pour justifier un sursaut salutaire de la classe politique appelée à former de toute urgence une gouvernement d'union nationale, il y a celle de la dégradation par les agences de notation du rating de la Belgique. On ne s'attardera pas sur les conséquences économiques qu'un tel événement pourrait avoir, qui incitent cependant à douter de la santé mentale de ceux qui semblent parfois l'appeler de leurs voeux... On se contentera simplement de rappeler que la dégradation du niveau de vie de la population qu'il impliquerait pourrait bien ne pas avoir les conséquences centripètes espérées et que l'union nationale pourrait bien finir en chacun pour soi généralisé.

La rupture ?

Parfois évoquée, toujours dans les rangs francophones, l'hypothèse de la rupture fait office tant d'épouvantail que de bouée de secours.

Epouvantail, lorsqu'elle évoque l'indépendance de la Flandre qui, d'une résolution de son Parlement, créerait des frontières étanches autour d'elle. Une telle indépendance constitue un jouet pour les médias, qui l'utilisent pour faire frissonner d'horreur dans les chaumières et un sujet d'études prospectives pour professeurs de droit international. Hors de ces cénacles, il n'est personne qui l'envisage encore sérieusement. Même les négociateurs francophones ont dû se rendre compte que la question n'était pas à l'ordre du jour.

Bouée de secours, la rupture l'est lorsqu'elle devient le fameux plan B des Wallons et Bruxellois. Un plan dont on ne sait cependant s'il est une réaction à l'indépendance autoproclamée de la Flandre ou un projet autonome. Ajoutons en passant qu'à supposer qu'il ne soit pas une chimère, un tel plan n'est pas exempt de contradictions, évacuant d'un revers de la main le problème des francophones de la périphérie, qui est pourtant jugé à ce point essentiel qu'il participe au blocage des négociations.

Un processus lent et chaotique d'ajustement

La rupture n'étant pas à l'ordre du jour, des élections n'étant pas susceptibles de changer fondamentalement la donne, quelle autre solution envisager que la poursuite de négociations ? Certes, à l'observateur inattentif, la crise peut paraître sans issue et la poursuite des discussions sans intérêt. Pourtant, à y bien regarder, il faut constater qu'au fur et à mesure des étapes dans la crise, des avancées parfois majeures sont engrangées et que elles-ci sont essentiellement le fruit de concessions des partis politiques francophones.

Si, d'emblée, ces derniers ont annoncé avoir renoncé à leur posture défensive et déclaré accepter une réforme profonde de l'Etat, entraînant un basculement du centre de gravité de ce dernier vers les entités fédérées, il y avait loin de la coupe aux lèvres.

Ainsi, dans un premier temps, leur position a consisté à admettre des transferts de compétences dans de nombreux domaines, mais de manière éparse : un peu de soins de santé, des allocations familiales, des aspects de la politique de l'emploi, etc. Une méthode qui permet d'aligner des chiffres importants (on parle de transferts de moyens se chiffrant en milliards d'euros) mais sans réellement toucher aux grands équilibres institutionnels. Les régions et communautés reçoivent des compétences nouvelles, mais on est loin d'une révolution copernicienne. On ne s'y trompera cependant pas. Il y avait là une évolution majeure des partis francophones, dont certains, quelques semaines plus tôt, se morfondaient à la simple idée que les plaques minéralogiques belges puissent devenir noires sur fond jaune...

Quelques jours plus tard, le 16 août 2010 pour être exact, intervient une étape majeure de ce processus : le début des négociations sur les mécanismes de financement. C'est une question que les partis francophones avaient manifestement l'intention de ne pas aborder. Elle est mise sur la table par le président de la N-VA et, bon gré, mal gré, les partis francophones entament la discussion. Elle aboutira à un accord sur douze principes généraux devant guider la révision de la loi spéciale du 16 janvier 1989.

Un accord cependant extrêmement vague, qui incite certains à y voir une tentative d'encommissionnement. La crainte n'est sans doute pas infondée : après tout, le procédé a largement été utilisé par les gouvernements précédents. Aussi, les discussions achoppent et un épisode relativement long s'ouvre, au cours duquel, dans un premier temps, un groupe de haut niveau (high level group dans le sabir pratiqué rue de la Loi) va tenter de s'accorder sur la manière d'appliquer concrètement ces principes. Il n'y arrivera pas. Suivront alors diverses phases au cours desquelles des intermédiaires tenteront de faire progresser le débat : MM. Vande Lanotte, Beke et, une nouvelle fois, Di Rupo.

Les rapports produits à l'issue de chacune de ces étapes se sont à chaque fois vu opposer une fin de non-recevoir par la N-VA et le CD&V. Est-ce à dire que cela n'a servi à rien ? Certainement pas. On en veut pour preuve le fait que, dans la note du formateur, sont formulées des propositions que les partis francophones n'auraient certainement jamais admises voici un an.

Il en va notamment ainsi en matière de réforme de la loi de financement. Certes, la proposition du président du parti socialiste cadenasse fortement l'autonomie fiscale des régions. Elle constitue toutefois une nette avancée par rapport à ce que les francophones étaient disposés à accepter voici six mois.

Il est désormais prévu d'organiser cette autonomie par le biais d'additionnels régionaux généraux. En réalité, le termes additionnels est mal choisi. Un impôt additionnel, c'est un impôt qui constitue un pourcentage d'un autre impôt, à l'instar des additionnels communaux à l'impôt des personnes physiques. Pour les déterminer, on calcule l'impôt de base, puis on applique le pourcentage convenu. Un tel procédé existe déjà dans la loi de financement : il est n'est guère utilisé et surtout, fortement plafonné.

Dans les premiers stades de la négociation, les partis francophones consentaient du bout des lèvres à envisager une augmentation de ces plafonds.

La note de M. Di Rupo va cependant bien plus loin. Ce dont il est désormais question, c'est de partager le produit de l'impôt des personnes physiques en deux parts, l'une destinée à l'Etat fédéral, l'autre aux régions. Pour ce faire, on déterminerait un pourcentage de cet impôt, qui constituerait les additionnels régionaux généraux. Ces additionnels généraux seraient alors retranchés du total de l'impôt fédéral. En ce, ils se distingueraient donc des additionnels classiques, qui viennet s'ajouter à l'impôt de base.

Prenons un exemple chiffré pour clarifier notre propos. Soit un contribuable célibataire sans enfants dont le revenu imposable s'élève, pour l'année 2010, à 37.500 €. Il paiera :

Tranche

Taux

Impôt fédéral

de 6.430 à 8.070 €

25 p.c.

410 €

de 8.070 à 11.480 €

30 p.c.

1.023 €

de 11.480 à 19.130 €

40 p.c.

3.060 €

de 19.130 à 35.060 €

45 p.c.

7.168,5 €

de 35.060 à 37.500 €

50 p.c.

1.220 €

soit un total de 12.881,5 € ou 34,4 p.c. de son revenu (notons en passant que pour un revenu de 250.000 €, presque sept fois plus élevé, l'impôt représente 119.131,5 €, soit 47,65 p.c. du revenu, ce qui relativise fortement le caractère prétendument progressif de l'impôt en Belgique, qui est cependant un cheval de bataille des partis francophones dans le cadre des négociations en cours et figure parmi les douze principes devant gouverner la réforme de la loi de financement).

Dans la proposition du formateur, un pourcentage de cette somme, par exemple 33 p.c., serait retranché de l'impôt fédéral pour former un additionnel régional général. Sur chacune des tranches d'impôt, cela donnerait donc :

Impôt fédéral

Additionnel régional

Impôt fédéral net

410,00 €

136,67 €

273,33 €

1.023,00 €

341,00 €

682,00 €

3.060,00 €

1.020,00 €

2.040,00 €

7.168,50 €

2.389,50 €

4.779,00 €

1.220,00 €

406,67 €

813,33 €

Par la suite, chacune des régions aurait la possibilité de déterminer librement le montant des additionnels, sans aucune limite à la hausse ou à la baisse. Elles pourraient donc augmenter la progressivité de l'impôt, par exemple en augmentant les additionnels sur les hautes tranches de revenus, voire en créant de nouvelles tranches. La liberté des régions ne serait cependant pas totale : la fixation du revenu imposable resterait par exemple de la compétence exclusive du législateur fédéral.

Quoi qu'il en soit, malgré cette limite et même si cette note n'est pas totalement aboutie (des questions nous paraissent rester en suspens, comme celle de savoir si le taux de l'additionnel général initial peut être le même dans chacune des régions), il est manifeste que l'on parle ici d'une autonomie fiscale très large, en tout cas beaucoup plus large que ce que les partis francophones étaient disposés à accepter dans les premiers stades de la négociation.

La question est évidemment de savoir où tout ceci va nous mener. Aboutira-t-on prochainement à un accord et à la formation d'un gouvernement ? On peut en douter. Même s'il faut se méfier des clichés véhiculés par la presse francophone, l'adjectif « caractériel » qui a parfois été accolé aux membres du groupe stratego de la N-VA n'est sans doute pas totalement usurpé. En outre, la stratégie suivie jusqu'à présent par ce parti continue de porter ses fruits : chaque refus opposé aux divers projets soumis à approbation a été suivi de nouvelles avancées, sans doute lentes et douloureuses, mais réelles.

A un moment, cette tactique finira sans doute par atteindre ses limites. De nouvelles élections auront peut-être lieu, ou bien encore un gouvernement de compromis sera-t-il formé. Quoi qu'il en soit, une chose est certaine : les esprits évoluent lentement, préparant la transformation de la Belgique en confédération d'Etats.