Pour en finir avec la bêtise nationaliste
La guerre des facilités est une farce. Une sinistre farce, qui risque de tourner mal. Elle pourrait se transformer en guerre des Belges.
Le débat communautaire s'organise comme un champ de bataille. Front flamand contre front francophone. Chacun en rangs serrés. pas une tête ne dépasse. Braves petits soldats. Robotisés. Décervelés. Flamands, Wallons, Bruxellois, serions-nous tous des veaux? Nous ne nous déplaçons plus qu'en troupeaux. troupeaux des bien-pensants flamands. Troupeau des bien-pensants francophones. Ce spectacle est affligeant. Il faut réagir.
Nous ne jouerons pas dans cette mauvaise pièce. Nous refusons d'être des petits soldats flamands ou francophones. Nous n'appartenons à aucun front, à aucune tribu. Néerlandophones et francophones, nous parlons d'une même voix. Peu importe la langue. Notre seul langage, c'est celui de la solidarité.
Les nationalistes du Nord et du Sud manipulent de la dynamite. Le nationalisme engendre haine et racisme. Tout près de nous, le drame de la Yougoslavie a montré qu'il peut mener à la barbarie.
Il est urgent que des voix s'élèvent, en Flandre et en Communauté française, pour casser la logique suicidaire des fronts ethniques. Amis flamands et francophones, ne laissons pas le monopole de la parole à ceux qui ont fait de la diabolisation de l'Autre, l'axe central de leur discours politique. A les entendre, le voisin - celui qui habite de l'autre côté de la frontière linguistique - incarne nécessairement le « provocateur », l' « impérialiste », le « mauvais ». Refusons cette dialectique du loup et de l'agneau.
Le nationalisme, c'est la bêtise. Personne n'a le monopole de la bêtise. Les hérauts de la francophonie qui clament que « Bruxelles appartient à la nation francophone » ne sont pas moins dangereux que les flamingants qui préparent une Flandre égoïste et homogène.
Nous attendons des responsables politiques qu'ils répondent aux problèmes des citoyens aux prises aux problèmes concrets des citoyens aux prises avec le chômage, l'exclusion sociale, l'asphyxie du secteur non-marchand, l'école traumatisée par les cures d'austérité à répétition.
Nous n'accepterons pas qu'une fois de plus, la majorité de la classe politique fuie ses responsabilités et déroule l'écran de fumée communautaire, les obsessions nationalistes d'une minorité ne rencontrent pas de réel écho populaire.
Tous les grands rassemblements populaires des dernières années ont été résolument multiculturels: marche blanche, marche multicolore de Clabecq, marche pour l'emploi, manifestations antimissiles de la fin de l'année 1980... Toutes les enquêtes confirment le désintérêt des citoyens pour les querelles institutionnelles. Les habitants de ce pays veulent continuer à se parler, vivre, travailler et faire la fête ensemble.
Les artistes et les intellectuels ont un rôle essentiel à jouer. Leur langage est universel et ils sont souvent, par vocation, cosmopolites. Dans le cadre belge, leur démarche ne peut être que transrégionale. Nous refusons d'être la risée de l'Europe en guerroyant piteusement pour la scission de la Sécu, la régionalisation de la coopération au développement ou le retour à Liège des Fourons.
La Belgique constitue un des derniers Etats multiculturels d'Europe. Le sauvetage du modèle fédéral belge sera une grande cause progressiste de cette fin de siècle. la solidarité et le métissage nous sauverons de la barbarie renaissante. le nouvel etat belge, tolérant, pluriculturel, ouvert aux apports de ses communautés immigrées, peut être un exemple pour l'Europe en proie à la montée des micro-nationalismes ethniques. Ne laissons pas passer cette chance.
Manuel Abramowicz, auteur;Julos Beaucarne, chanteur;Benno Bernard, écrivain; Georges-Henri Beauthier, avocat; Jan Blommaert, africaniste; Ronald Commiers, philosophe; Luc et Jean-Pierre Dardenne, cinéastes; Bruno Dayez, avocat; Walter De Bock, journaliste; Jacques De Decker, écrivain; Charlie Degotte, metteur en scène; Ortwin de Graef, angliciste; Anna Teresa de Kersmaeker, chorégraphe; Herman De Ley, philologue classique; Claude Demelenne, auteur; Kris Deschouwer, politologue; Mon Detrez, slaviste; Frans De Waechter, expert en science éthique; Ludo Dierickx, philosophe; Dito'Dito, groupe de théâtre; Josy Dubié, journaliste; Bruno Ducoli, directeur CBAI; Hugo Geysels, auteur; Jan Hautekiet, écrivain; Marc Holthof, auteur; Pol Hoste, écrivain; Dany Josse, peintre; Bruno Karteuser, auteur; Pierre Kroll, dessinateur; Tom Lannoye, écrivain; Michel Lefranc, photographe; Dieter Lesage, philosophe; Gabriel Maissin, économiste;Jan Michiels, musicien; Pierre Mertens, écrivain; Anne Morelli, historienne; Marc Moulin, journaliste; Chantal Pattyn, journaliste; Koen Peters, écrivain; Luk Perceval, metteur en scène; Riccardo Petrella, socio-économiste; Luc Pire, éditeur; Leo Pleysier, écrivain; Marie-Françoise Plissart, photographe; Adriaan Raemdonck; Dirk Roofthooft, acteur; Rosas, compagnie de danse; Claude Semal, artiste; Stef Slembrouck, linguiste; Transquinquennal, groupe de théâtre; Mark Trullemans, secrétaire général BRAL; Luckas Vander Taelen, journaliste; Wannes Van de Velde, artiste; Jaco Van Dormael, cinéaste; Kamiel Vanhole, écrivain; Geert van Istendael, écrivain; Charles Van Overstrate, fonctionnaire retraité; Frank Van Passel, cinéaste; Marcel Van Spaandonck, anthropologue.
Notre commentaire. L'entente entre Flamands et Wallons (sans oublier les Bruxellois) sera mieux réalisée sur la base d'une autonomie approfondie des deux partenaires, exerçant le plus de compétences possibles, dans le plus de domaines qu'on puisse imaginer et notamment, dans ce domaine républicain par excellence d'un accord ou d'un traité (« traité » se traduit en latin par « foedus, foederis », mot à l'origine du français « fédéralisme » et qui l'explique) visant à accorder deux Cités humaines entre lesquelles et avec lesquelles Bruxelles a son rôle à jouer. Supposer que ce qui reste d'État fédéral ou de sentiment national belge soit le seul moteur d'un accord entre les deux peuples, c'est trahir l'esprit du fédéralisme. Un Flamand comme Ludo Abicht réagit exactement comme nous (voir sa Lettre de Flandre). Pour nous, qui sommes aussi des intellectuels, le retour des Fourons à Liége, c'est la justice. Cela n'a rien de ridicule.
Lire la réponse de notre ami flamand Ludo Abicht Une réponse flamande au manifeste "Pour en finir avec la bêtise nationaliste"