A propos de la "valeur" des civilisations

11 mars, 2012

Jean-Claude Paye, sociologue Lieven De Cauter, philosophe KuLeuven Bernard Francq, professeur UCL Dan Van Reamdonck, professeur ULB et VUB Jean-Marie Dermagne, avocat, ancien bâtonnier.Jean-Marie Klinkenberg, professeur ULG Christine Pagnoulle, enseignante ULG Eric Therer, avocat Jean Pestiau, professeur honoraire UCL Jean-Paul Brilmaker, avocat

L'opinion de Robert Redeker, publiée dans La Libre Belgique du 7 février 1 à propos de la phrase du ministre français Claude Géant « toutes les civilisations ne se valent pas », est intéressante par son caractère de symptôme de notre société. Non seulement, elle s'inscrit dans l'actualité des « guerres humanitaires » déclenchées au nom de l'indispensable prosélytisme de nos valeurs 2, mais dévoile une conception séculaire de la supériorité de l'occident qui s'est particulièrement déchaînée dans la période coloniale. Ce point de vue, soutenant la position de Claude Géant, n'est pas seulement partagé par le Front National, il fait partie de « la guerre des civilisations » popularisée, entre autres, par le livre de l'Américain Samuel Huntington.

L'intérêt de cette interview ne réside donc pas dans l'originalité des positions défendues, mais dans l'absence de retenue de l'auteur. Il s'agit bien d'une « nouvelle droite décomplexée » jouissant de l'absence de limites posées à ses déclarations. La certitude de ne pas être confronté fait que l'auteur peut faire fit de toute réalité historique. L'épanchement de Robert Redeker sur la beauté de la civilisation espagnole face à la civilisation aztèque tombe plutôt mal dans notre pays, dont maintes régions ont pu longtemps profiter des bienfaits de cette culture bienveillante.Que dire aussi aussi du massacre, au nom du bien et de la chrétienté, d'une bonne partie du continent sud américain. Cette provocation est là pour nous assurer que, quels que soient ses actes, la civilisation occidentale vaudrait plus que toute autre. La beauté de celle-ci ne résiderait pas dans le réel de ses actions, mais dans la pureté de ses intentions, dans ses valeurs. Celles-ci, Redeker continue de les appeler « droits de l'homme » et « importance de la vie individuelle » et cela juste au moment ou les libertés sont remises en cause au nom de la lutte antiterroriste et que toute frontière entre le public et le privé est progressivement effacée. Ces éléments, devenus largement virtuels, constitueraient un universel abstrait, un équivalent général dirait-on en économie, à l'aune duquel les autres civilisations devraient être mesurées. Ces dernières seraient ainsi hiérarchisées selon leur rapport à des critères largement fétichisés et particuliers à l'histoire occidentale. A travers les propos tenus, les libertés ne résulteraient pas des luttes sociales, dont aujourd'hui les acquis sont remis en cause, mais leur image, leur réduction à une forme vide, constituerait l'essence de l'occident et devrait servir d'étalon au reste du monde. La conception géopolitique développée par Robert Redeker mime l'organisation des marchés monétaires : la mesure se mesurant elle-même comme vraie valeur de l'occident.

Le fétiche, « la valeur qui vaut », a pour fonction d'empêcher toute négativité, toute opposition. Ceux qui refuseraient la mesure des valeurs, la gauche, verseraient dans le nihilisme. L'auteur opère ainsi un renversement de cette notion développée par Nietzsche qui nous a montré que le nihilisme est bien volonté de puissance, volonté qui pose les valeurs et non opposition. Comme véritable nihiliste, Redeker s'inscrit bien dans ce que Nietzsche nomme comme le processus fondamental de l'histoire occidentale.



  1. 1. Toutes les civilisations se valent-elles?, in La Libre Belgique, 7 février 2012.
  2. 2. Le lynchage de Kadhafi : le retour du sacrifice humain, in La Libre Belgique, l 2 novembre 2011.