Péril "islamo-gauchiste" ou vol au dessus d'un nid de coucous?

Respectivement sociologue, avocat et ancien bâtonnier/enseignant UCL, Professeure Ulg, Professeur honoraire UCL, Professeur ULB-VUB, Professeur UCL, Sociologue
11 novembre, 2009

Autonomies Guerre et paix Laïcité


Régulièrement les médias, à travers les opinions exprimées par un « intellectuel de gauche » et un sénateur libéral, se font le relais d'une campagne destinée à nous prévenir des dangers imminents du fondamentalisme musulman, ainsi que du « terrorisme intellectuel qui cherche à faire taire ceux qui refusent le politiquement correct islamo-gauchiste ».

La manière particulièrement caricaturale dont les choses sont présentées peut susciter un rejet immédiat. Cependant, il faut dépasser cette première réaction et voir qu'il s'agit en fait d'un condensé de la façon dont certaines informations nous sont régulièrement présentées.

Le discours se réduit à des pulsions. Il s'agit de soumettre le langage aux images et ainsi d'enfermer le lecteur dans l'émotion, dans une mécanique qui marche toute seule. Les « barbus », les « filles voilées » et les « gauchistes » sont des fétiches. Ces images deviennent leur propre base matérielle. Elles ne se rapportent plus qu'à elles-mêmes, elles volent de leurs propres ailes.

Les faits ne sont plus que le support du regard, du sens qui leur est attribué. Ce sont les images, ces abstractions qui créent un nouveau réel. Elles nous font abandonner le domaine de la raison, du pensable, pour établir le règne de la foi. Ainsi, le signifié devient parfaitement autonome. Il ne se confronte plus au réel, il tourne sur lui-même.

L'islamisme radical, le port du voile, le racisme anti-blanc, la police terrorisée par les bandes de jeunes arabo-musulmans, l'omniprésence des barbus semblent être devenus les principaux problèmes de notre pays. Surpuissants, grâce à leurs alliés gauchistes, les fondamentalistes musulmans contrôleraient les rouages de notre société. Ils auraient la capacité de faire taire toute critique à leur égard. Mais, le peuple belge possède deux chevaliers particulièrement courageux, Claude Demelenne et Alain Destexhe pour affronter cette emprise totalitaire.

Évidemment, le développement du discours fait immédiatement penser à la structure de la psychose paranoïaque que ce soit dans l'évaluation de la nature du danger, dans la surestimation de soi-même ou dans le caractère personnel de la mission que le sujet s'attribue. Mais, ce qui nous intéresse, ce n'est pas de nommer cette structure psychotique, mais de comprendre pourquoi, maintenant, ce discours, qui présente toutes les caractéristiques du délire, est mis en avant et valorisé par les médias.

Actuellement, ce qui existe est ce qui est regardé, exhibé. Montrée et ainsi reconnue, l'idéologie victimaire, dont se parent nos deux protagonistes, les intègre dans l'ordre symbolique de la société.

Un renversement de la place de la victime

La violence verbale qu'ils disent subir consiste, par exemple, à entendre que « les décrets et règlements qui empêchent les jeunes filles de porter le voile à l'école » sont « liberticides ». Cette qualification, pour un projet qu'ils promeuvent, est « d'une évidente violence verbale ». La violence ne consisterait plus dans le fait de subir une discrimination, mais dans la dénonciation de cette dernière. Toute critique leur étant adressée relève de la violence. Elle est donc inacceptable et qualifiée de terrorisme intellectuel. Bien que leur action puisse s'assimiler à une croisade, nos deux auteurs se mettent dans la position privilégiée de la victime, place particulièrement valorisée aujourd'hui. La parole de la personne reconnue comme telle est par essence authentique, elle ne peut être contestée. Leur innocence est ainsi légitimée. Cette procédure induit une restructuration du langage et modifie la capacité de représentation du réel.

La transformation du sens et du langage leur est d'autant plus nécessaire que, ici, la position revendiquée de la victime émissaire, consentante qui catalyserait la violence sur elle-même afin de sauver la société, n'a pas pour effet le sacrifice de la victime exhibée. Le lieu réel du sacrifice est bien celui des personnes désignées comme agresseurs. Ce qui est aussi sacrifié, c'est la Parole qui à pour fonction de mettre un cran d'arrêt à la violence, de permettre une reconnaissance réciproque et ainsi de rétablir le lien social. Au contraire, le renversement de la place de la victime a pour effet de néantiser celle-ci en tant qu'être. Il s'agit bien là d'un mécanisme propre à ce que la psychanalyse désigne comme structure perverse.

Un premier exemple s'impose : il suffit de signer « intellectuel de gauche » pour être en mesure de faire passer une pensée réduite à des états compulsifs et qui, historiquement, relève de l'imagerie véhiculée par l'extrême droite.

Le renversement de l'ordre symbolique, afin d'alimenter une machine pulsionnelle, est constant. Alors que leurs propos relèvent de l'argument d'autorité, les auteurs se présentent comme les victimes d'un « terrorisme intellectuel ». Leur opposer une argumentation ferait qu'ils seraient « diabolisés », « lépénisés » « et « quasiment criminalisés ». Bien qu'ils se révèlent être de simples instruments d'une machine, d'un système stigmatisant omniprésent dans notre société, l'invocation de leur courage est permanente. Ainsi, le conformisme exalté deviendrait un acte de résistance, une position à contre courant.

Cette antinomie apparente entre un moi présenté comme fort et le fait de se faire simple instrument de la machine est caractéristique de la structure perverse. C'est parce qu'ils se posent en tant qu'objet de cette mécanique stigmatisante que nos auteurs prennent la place de la victime. Ils se sacrifient pour réaliser le « Bien suprême » : l'éradication du mal gaucho-intégriste.

Ainsi, le sujet pervers, le « sujet supposé-savoir », peut confisquer la parole et la place de la victime. Se prévaloir de celle-ci offre des avantages décisifs dans la structure sociale actuelle. En effet, le renversement de cette place permet d'opérer un renversement de l'ordre de droit et offre la possibilité de nous placer dans la violence pure.

Note de TOUDI

Voir aussi cet article de La Libre Belgique où Claude Demelenne se prétend censuré alors que le présent texte de nos amis Dermagne, Paye, Francq, Fignoulle, Tülay et Van Raemdonk n'a justement pas été accepté par ce journal.

On lira d'ailleurs des réactions de lecteurs qui condamnent une prétendue "Pensée unique de gauche". Il y a souvent sur pas mal de Forums de Gazettes une sorte de poujadisme unique qui peut se nourrir de clichés du même genre (et où manifestement des anonymes se défoulent en racontant vraiment n'importe quoi). Il est donc intéressant de lire les propos de Claude Demelenne ici :

Contre le terrorisme intellectuel

Voir aussi sur la crise du MRAX Le Blog d'Henri Goldman

Commentaires

Leur opposer une argumentation (Par Lulu le Wallon)

"Leur opposer une argumentation ferait qu'ils seraient « diabolisés », « lépénisés » « et « quasiment criminalisés »." La preuve... Ce blob pathétique est tout à fait typique du terrorisme intellectuel qui empêche le débat au sujet de l'islam, dénoncé par Delemenne. Il faudra un jour examiner l'alliance des islamistes et des gauchistes... Par Lululewallon, le 18 novembre, 2009 - 18:24. [Posté par moi-même agissant comme éditeur]

L'imposture (par Luc Delval)

Claude Demelenne est systématiquement présenté, dans le brouhaha médiatique, sous les étiquettes combinées d' "intellectuel de gauche" et de "rédacteur en chef de l'hebdomadaire Le Journal du Mardi". ////////De gauche ?/////////////// Il s'est lui-même défini tantôt comme "chevènementiste" (voir, pour apprécier ce que cela peut bien signifier : http://www.asile.org/citoyens/numero07/chevenement/chevenement.htm ) , comme "agnostique tendance croyant" (pas musulman, qu'on se rassure) et comme "sarkozyste de gauche" (Le soir du 30/8/2008). Fort de cette triple identité, qui ne dessinent pas exactement selon moi une silhouette politique "de gauche", à la question du très complaisant Ricardo Gutierez : "Pour les militants du RAPPEL il faut revoir la Constitution en vue de faire de la Belgique un Etat laïque. Faut-il revenir sur la liberté de culte ?", Demelenne répond : "Pas nécessairement. Commençons par voter une loi interdisant le voile à l'école". Très clairement ("Commençons par..."), il y a donc là un projet liberticide dont la question du vile à l'école n'est que le prétexte, et dont le porteur peut d'autant plus difficilement être qualifié "de gauche" qu'il a pris chez lui un tour véritablement obsessionnel. Est-il utile de poursuivre la démonstration en mettant en évidence les procédés profondément déloyaux utilisés par Demelenne pour disqualifier ses contradicteurs, qui le rattachent plutôt à la tradition des polémistes d'extrême-droite ? Passons. De gauche ? Première imposture. ////////////Rédacteur en chef ?//////////////// J'ai toujours cru - sur base de mes observations au cours de 26 ans passés comme journaliste dans la presse quotidienne - que pour qu'il y ait un rédacteur en chef il faut qu'il y ait une rédaction (fût-elle famélique, c'est la règle en Belgique, mais qu'au moins elle existe), et que l'intéressé s'y consacre. Le JdM a des collaborateurs réguliers (souvent de qualité, d'ailleurs) mais a-t-il une rédaction ? Quant à Demelenne il est, pour autant que je sache, un fonctionnaire appointé par le Port de Bruxelles, ce qui le qualifierait peut-être pour une chronique maritime... Rédacteur en chef ? Deuxième imposture. ////////////D'un hebdomadaire ?////////////// L'hebdomadaire "Le Journal du Mardi" a cette singularité, pour un hebdomadaire, de paraître, depuis fort longtemps et dans le meilleur des cas, une fois par mois. Et jamais le mardi. Troisième imposture. ///////////////Enfin , "intellectuel" ?///////////////// La marque n'est pas déposée. Tout le monde peut donc s'en servir, et elle peut avoir une multitude de sens. Dans le cas d'espèce, vu le niveau ou l'intéressé situe délibérément le débat, il faut sans doute lui donner une définition par opposition à "travailleur manuel"... Intellectuel ? Chacun jugera s'il y a là ou non une quatrième imposture. Une question qui se pose est donc de savoir pour quelle raison dès que Demelenne émet un pet dans son bain presse, radios et télévisions se précipitent pour en recueillir le bruit et l'odeur (comme disait Chirac). C'est en ce sens, sans doute, que l'imposteur "dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas"... dans certaines salles de rédaction. Par Luc Delval, le 22 novembre, 2009 - 13:18. [Mes excuses aux personnes qui veulent publier des commentaires:il faut s'inscrire pour pouvoir le faire. Mais nous devons améliorer l'accueil sur ce site en conséquence...]

Raison garder

Pour une raison technique le lecteur nommé "François" n'a pu poster lui-même son commentaire. Je le fais à sa place en respectant son texte: José, il faut raison garder sur le voile, sans doute, et ne pas renverser le processus victimaire mais l'instrumentalisation du voile doit également être dénoncée. Le risque me semble sérieux de s'aveugler par angélisme, par mauvaise conscience ou par électoralisme face à un enjeu qui dépasse les joutes académiques. Je persiste et signe le texte que j'avais écrit en juillet et qui est paru sur le site de toudi. Que vive la liberté d'expression au sein de la "famille" républicaine. Salut et fraternité. Par françois, le 13 novembre, 2009 - 10:28. supprimer modifier répondre

Réponse à François

Je sais que je peux donner l'impression de me répondre à moi-même mais le message de "François" n'ayant pas pu être publié par ses soins, je le fais moi-même (il y a là un problème technique qu'il faudra résoudre). //////////////////////////////////////////////////////////////////////// Cher François, J'entends bien ce que tu dis et ton texte est toujours bien présent sur la revue en ligne: http://www.larevuetoudi.org/fr/story/voile-accommodement-raisonnable [Sur les commentaires je ne peux pas mieux indiquer l'adresse d'un texte] Il me semble que nos amis critiquent surtout Claude Demelenne et son compère libéral Alain Destexhe. //////////////////// Il est à regretter qu'ils écrivent ceci///////////////////// Les militants d’un certain islam réactionnaire - minoritaires mais à l’offensive dans notre pays - usent d’une tactique bien connue, que nous analysons dans notre livre(1) : ils s’affublent d’un faux nez progressiste et lancent des anathèmes. Ils diabolisent, voire "lepénisent" les démocrates qui leur résistent. Ceux-ci sont accusés d’être des "racistes" , des "islamophobes", des "complices de l’extrême droite". La ficelle est grosse. Très grosse. Qu’à cela ne tienne, les musulmans radicaux l’utilisent avec d’autant moins de gêne qu’une partie de la gauche abonde dans le même sens qu’eux.///////////////////// Evidemment, cher François, ce n'est pas ce que tu fais et ton point de vue est d'autant plus intéressant dans un - vrai - débat. Car je ne vois pas de quelle gauche Alain Destexhe et Claude Demelenne parlent. Je ne vois pas qui à gauche "abonde dans le même sens" que "les musulmans radicaux". D'une part, une grande partie de la gauche est laïque et, d'autre part, les gens de gauche qui sont interpellés par le phénomène religieux regrettent que l'Islam éclairé ne soit pas assez présent en Occident et ailleurs. Ou qu'il soit moins lisible que le christianisme éclairé par exemple ou le judaïsme éclairé (mettons Levinas ou Ricoeur dans le domaine de la philosophie). Cependant, j'ai rencontré parmi mes étudiants des musulmans qui partent vraiment bien de l'idée même de la transcendance de Dieu qui oblige à récuser toute identification du créé avec l'absolu, chose qui est toujours libératrice (et profondément laïque comme la fameuse parole "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu"). J'ai rencontré des étudiants qui raisonnent comme cela: ils sont un grand espoir.

Notre ami Claude Demelenne a tort

Il n'y a rien d'inconvenant bien entendu à ce qu'un intellectuel de gauche signe avec un libéral situé dans la droite démocratique. Mais le texte ci-dessus a, nous semble-t-il, raison de montrer que l'on a renversé le processus victimaire. Il faut raison garder devant le voile.