Quévit parle des rapports de force, non des transferts
Une question a été posée récemment au Professeur Mignolet qui portait sur le travail de Michel Quévit (voir ci-dessous la référence au compte rendu de la revue), que l'on avait tendance à opposer à la théorie flamande des transferts. Trois économistes, Giuseppe Pagano, Miguel Verbeke, Aurélien Accaputo ont analysé le manifeste In de Warande qui a « établi » de manière plus ou moins scientifique les transferts de la Flandre vers la Wallonie: Le Manifeste du Groupe In de Warande in Courier hebdomadaire du CRISP 1913/1914 (2006). Les auteurs reproduisent de manière circonstanciée tous les chiffres du « Manifeste ». Ils ont été cependant obligés de demander à l'un des auteurs quelle était sa définition du « transfert » (étonnant). Qui a répondu: « La somme qu'une Région reçoit en plus (ou en moins) que ce qu'elle recevrait si sa part dans les dépenses était égale à sa contribution aux recettes. » 1
Mathématique...
Or, il est possible (jusqu'à un certain point), de calculer cela avec une grande précision mathématique ou statistique, du moins pour les dernières décennies. Et on évalue alors les transferts comme la Warrande en poussant très fort le bouchon ou comme des groupes d'experts tant wallons que flamands l'ont fait en les fixant aux alentours de quelques milliards d'€. Bien entendu quand il a été questionné sur l'étude de Quévit, qui porte en outre sur une plus longue période, le Professeur Mignolet s'est réfugié derrière l'imprécision de l'outil statistique (des années les plus anciennes), pour dire que les objections de Quévit n'étaient pas sûres. Soit. On ne peut lui donner tort sur ce plan-là. Pourtant les transferts sont utilisés par les Flamands sur le plan politique à peu près depuis que le PIB/habitant de la Flandre a dépassé celui de la Wallonie, phénomène dont on a pris connaissance au début des années 70. La théorie des transferts a surgi dès 1979. 2 Il est dommage que le Professeur Mignolet, retranché dans une manière un peu fausse de voir les sciences économiques comme équivalentes aux mathématiques, n'ait pas vu que la finalité d'une telle théorie est avant tout politique. De ce point de vue cette théorie a dépassé toutes les espérances de ceux qui l'ont créée. Elle donne le sentiment aux Wallons qu'ils sont des assistés. Et elle les amène à redouter leur propre salut qui est de sortir du système politique belge.
... et politique
Car si, effectivement, Quévit réfute quelque part la théorie des transferts, ce n'est pas en se plaçant à proprement parler sur le plan purement économique, mais sur le plan politique. Il analyse de très nombreux dossiers où il s'avère de manière très évidente que l'hégémonie de la Flandre, pesant de tout son poids après quelques décennies au XXe siècle, lui a permis de mener des politiques d'investissements publics ou d'aides aux investissements publics qui ont considérablement renforcé ses points forts. Des points forts qui l'étaient d'ailleurs déjà dans la Belgique dominée par la bourgeoisie francophone désireuse de connecter le sillon industriel wallon au port d'Anvers et aux banques bruxelloises. Puis, par exemple, en créant une sidérurgie maritime qui allait sérieusement concurrencer la sidérurgie wallonne alors que la Belgique produisait trop d'acier.
Ce que Quévit met en avant, ce n'est pas « La somme qu'une Région reçoit en plus (ou en moins) que ce qu'elle recevrait si sa part dans les dépenses était égale à sa contribution aux recettes. » Ce qu'il met en avant, c'est la façon par laquelle la Flandre a fini par contribuer plus aux recettes de l'Etat belge que la Wallonie acquérant à son égard une position dominante, lui permettant de dire que la Wallonie vit à ses crochets. L'analyse de Quévit est politique, ce qui ne signifie pas qu'il se serait trompé dans son appréciation sur les valses de milliards investis en Flandre, notamment dans les charbonnages campinois trente ans après la fermeture des charbonnages wallons alors qu'ils n'étaient pourtant pas plus rentables, dans les aides aux entreprises en difficultés des années 80, dans le renflouement du Boerenbond, dans les aides économiques européenne etc. Quévit a vu tout aussi justement (et d'ailleurs comment ne pas le voir cela crève les yeux), que des sommes astronomiques ont été dépensées pour les ports flamands, que les autoroutes se sont d'abord créées en Flandre, que les chemins de fer y étaient électrifiés parfois trois décennies avant que les mêmes lignes tout aussi fréquentées en Wallonie et même parfois plus fréquentées bénéficient de ce progrès technique. Il en va de même des fonds structurels (aides européennes), jusqu'à l'année 2014.
« Le Nord n'a nul avantage à nous paupériser »
On peut regretter que la réponse wallonne à la théorie des transferts soit trop défensive. Car elle accepte au fond que le problème soit posé comme la Flandre désire qu'il le soit. Ce qui n'est pas très éclairant sur les véritables enjeux pour la population wallonne. Car l'urgence pour la Wallonie c'est avant toutes choses de s'extraire de ce système politique (bien plus qu'économique), où elle ne pourra jamais que perdre, dans la mesure où il est un système politique d'assujettissement dont l'excuse pour la Flandre pourrait être qu'elle a une revanche à prendre sur des Francophones qui l'ont humiliée. Mais dont l'erreur est de penser que c'est sur le dos des Wallons que cette vengeance doit s'exercer.
Le projet renardiste s'explique d'ailleurs par l'analyse politique faite par André Renard qui avait compris, comme Quévit, que la Wallonie allait voir se détourner d'elle la majeure partie des ressources étatiques belges au bénéfice de la Flandre. Ce qui impliquait de rompre l'unité de l'Etat belge avant qu'il ne soit trop tard, pour échapper à ce piège. Grâce au projet renardiste hélas ! trop lentement appliqué, grâce aux compétences de plus en plus larges acquises par la Wallonie, les politiques dénoncées par Quévit deviennent de plus en plus impossibles à mener. Et il est au contraire possible de se mobiliser pour refaire l'écart face à une région flamande qui a appauvri la Wallonie comme si elle désirait effectivement lui faire sentir le poids de sa dépendance. On terminera en recommandant à nouveau le livre de Quévit et en notant que dans son analyse de la nocivité des transferts, Joseph Pagano ne néglige pas le fait que cette Flandre si orgueilleuse de nous transférer de l'argent (même si c'est un des chiffres les plus bas de ce type de phénomène en Europe), trouve en Wallonie le principal débouché de ses produits dans le monde. Elle nous paierait donc pour que nous lui achetions. 3 Drôle de domination !
Critique : Flandre-Wallonie. Quelle solidarité ? Michel Quévit (Couleurs livres)
- 1. Voir toute cette analyse : La fausse réalité des transferts flamands [ un article de 2006 demeuré actuel]
- 2. Le journal Le Soir l'a rappelé dans ses éditions du 2 avril 1979.
- 3. En septembre 2011, Joseph Pagano déclarait dans les journaux de la chaine Sud-Presse : Le journal ajoute en reprenant ses propos : « Le nord n'aurait d'ailleurs aucun intérêt à se réjouir de l'appauvrissement du sud, puisque la Wallonie reste son premier partenaire économique. » Voir Autonomie wallonne : chiffres et arguments basiques
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