Rencontre avec Thierry Michel sur Hiver 60 (et calendrier des projections et débats)

Par une attachée de presse à l'occasion de la projection du film dans toute la Wallonie en décembre 2010
1 décembre, 2010

Thierry Michel, réalisateur d' HIVER 60

[Cette interview n'a pas été réalisée par la revue TOUDI, mais elle méritait d'être publiée au moment où dans toute la Wallonie et à Bruxelles, on va rediscuter à travers son film de ces événements qui restent centraux dans notre histoire. Il est important aussi de signaler que, grâce au film de Thierry Michel (dont on lira la genèse fort étonnante ci-dessous, comme si la répression réelle de 60-61 s'était rabattue sur la simple retranscription de son souvenir... il y a là quelque chose d'étrange), on pourra assister à des débats.]

Les projections et débats

Bruxelles, le jeudi 2 décembre au Centre Culturel Flagey à partir de 20h.

Louvain-la-neuve, le lundi 6 décembre à Cinescope, à partir de 19h45.

La Louvière, le mardi 7 décembre le 7 décembre, au cinéma Le Stuart, à partir de 20h.

Bruxelles, le mercredi 8 décembre, au cinéma Le Vendôme, à partir de 20h.30.

Charleroi, le jeudi 9 décembre, au cinéma Le Parc, à partir de 20h.

Mouscron, le 13 décembre au Cenre culturel Staquet à partir de 20 h.

Liège, le mardi 14 décembre, au cinéma Le Parc, à partir de 20h.

Namur, le mercredi 15 décembre au cinéma Caméo, à partir de 20h.

Mons, le jeudi 16 décembre au cinéma Le Plaza, à partir de 20 h.

Verviers, le vendredi 17 décembre à l'Espace Duesberg

Rencontre avec Thierry Michel

Pourquoi ce film ?

L'histoire de la réalisation de ce film commence par une vaste enquête dans les quatre coins de Wallonie et de Flandre, des mines du Borinage à la métallurgie Carolo, de la sidérurgie liègeoise au port d'Anvers, afin de retrouver les acteurs principaux de cette grève : les leaders spontanés ou officiels mais aussi les jeunes travailleurs et travailleuses qui se sont lancés à corps perdus dans ce grand mouvement collectif, dans cette grande fête transgressive.

C'est ainsi que le premier jet du scénario était d'avantage documentaire, intégrant les interviews de ces acteurs réels de l'histoire et les décors dans lesquels cette grève s'était déroulée. Mais très vite est apparu l'idée, le désir de raconter une histoire, de sublimer la grève, de lui donner une densité dramatique et surtout de faire une relecture des évènements de 1960 en Belgique à la lumière des années 70. C'est-à-dire des enjeux portés également par une autre grande grève historique européenne : Mai 68.

Il ne s'agissait plus seulement de montrer un mouvement qui voulait changer les structures d'une société, les rapports de classes mais aussi de montrer l'émergence de la révolte individuelle et de cette affirmation du désir de changer la vie qui surgit au début des années 70. C'est ainsi que très vite, j'ai rassemblé avec Christine Pireaux ma compagne et coscénariste deux personnalités fortes du monde de l'écriture : Jean Louvet, sans nul doute le plus important dramaturge des années 70 en Wallonie, qui venait d'écrire une pièce sur les grèves de 1960 « le Train du bon Dieu » et Jean-Louis Comolli, ancien rédacteur en chef des « Cahiers du Cinéma » et par ailleurs scénariste et réalisateur. Et c'est ainsi, à quatre coscénaristes, que nous avons élaboré l'histoire de ce film inspiré à la fois de notre enquête et des personnages rencontrés lors de nos investigations, s'appuyant aussi sur de nombreuses images d'archives que j'avais pu récolter et que nous visionnions au fur et à mesure de nos séances de travail d'écriture. Le film a ainsi pris sa dimension fictionnelle, les titres se modifiant au fur et à mesure des versions, s'appelant tantôt « Tous ces rouges dans la neige », « la Maison du Peuple », et finalement « Hiver 60 ».

Comment s'est passé la production du film ?

La production du film a été un véritable cauchemar de plusieurs années car il y eut entre le début d'élaboration de ce projet et le public 7 années. Pourquoi ?

Bien sûr il y a eut le temps d'écriture du scénario mais surtout il y a eu une situation exceptionnelle en Belgique de censure politique brutale et arbitraire. Pour la première fois depuis la constitution d'une commission chargée de sélectionner les scénarios auxquels un subside ou une part de coproduction est attribuée par la Communauté française de Belgique, et qui toujours est ratifiée et signée par le Ministre de la culture en place, pour la première fois, un ministre a arbitrairement refusé d'approuver un avis pris à l'unanimité par les membres de la dite commission.

Monsieur Demuyter, ministre libéral de l'époque, pour bien le citer, a estimé que le cinéma belge ne pouvait produire des œuvres portant sur l'histoire tumultueuse de notre société, sous prétexte qu'un cinéma, selon lui, politique, n'avait pas sa place dans la cinématographie belge. Sa décision était irrévocable et définitve. Mais comme les ministres passent, nous avons eu deux ans plus tard à nous confronter à une nouvelle majorité et un ministre de la famille sociale chrétienne a cherché à arrondir les angles en nous proposant de bénéficier du financement accordé par la commission à condition que ce soit sur un autre scénario, un autre projet cinématographique, ce que bien évidemment, avec mon producteur de l'époque, j'ai refusé. C'est ainsi qu'il nous a fallu attendre une troisième législature et un nouveau gouvernement avec à la tête du Ministère de la Communauté Française un ministre socialiste pour que le projet soit enfin avalisé, mais malheureusement avec une réduction de l'enveloppe budgétaire. Mais ce ne fut qu'un des aspects d'une campagne orchestrée contre le film dont la presse conservatrice avait déjà dit tout le mal qu'elle en pensait, avant même d'en avoir vu la moindre image et sans en avoir lu la moindre page du script. C'est dire que, à la fin de ces années 70, presque vingt ans après les évènements, les blessures étaient encore profondes au sein de la société belge, et les stigmates de cette grève pas encore cicatrisés pour pouvoir regarder sereinement cette page de notre histoire.

Comment s'est passé la réalisation du film ?

Les années passant, les apports en production diminuant, la RTBF se montrant plus prudente après toutes ces échauffourées et rebondissements politiques suscités par ce projet de film, nous nous sommes trouvés confrontés à un sous-financement drastique qui nous à mis devant un cruel dilemme : après 6 ans, allions-nous faire ou ne pas faire ce film ?

Très courageusement notre producteur a accepté de prendre le risque de le faire mais dans des conditions extrèmement étroites, remettant profondément sur la table le projet initial et son ampleur. Nous avons réduit à six semaines le tournage, nous avons limité le nombre de lieux de tournage et surtout nous avons dû renoncer à une partie du casting établi tout au long de ses longues années et compter sur de nombreux bénévoles et volontaires pour mener ce film à bien. C'est ainsi que Jean Louvet, acteur amateur parmis bien d'autres à remplacé en dernière minute Bruno Cremer. Par chance, nous avons pu garder Philippe Léotard qui a fait preuve d'une générosité absolument exceptionnelle en acceptant d'assumer le rôle principal du film pour l'équivalent de 10.000 euros. Et nous avons cherché dans le vivier du théatre wallon et de la culture wallonne quelques personnalités susceptibles d'incarner nos personnages. C'est ainsi que nous avons fait appel à Jean Louvet, dramaturge, Paul Louka chanteur, Bob Deschamps chanteur et bien des acteurs du théatre amateur wallon. De même pour la figuration, nous avons mobilisé via les syndicats et milieux associatifs la majorité de ceux qui allaient figurer dans cette fresque historique.

Quels sont les souvenirs principaux que vous gardez de ce tournage ?

Je garde de ce tournage le souvenir de cette générosité qui fut celle de nombreux acteurs peu ou pas payés, de ces figurants à peine défrayés et qui ont fait preuve d'une patience à toute épreuve au cœur d'un hiver particulièrement froid, d'une équipe technique qui a dû boucler en six semaines un tournage qui demanderait de manière raisonnable dix semaines dans une production classique et cela jusqu'à l'épuisement, de ce régisseur qui a fait un accident en s'endormant au volant de sa camionnette tellement il était fatigué, de ces machinos/électros qui m'ont offert à l'issue du tournage un cadeau bien symbolique : un pavé. Ces pavés qui avaient été l'une des armes principales des grèvistes qui avaient dépavés les routes pour empêcher la circulation et paralyser l'économie du pays. J'ai le souvenir de l'abnégation, de l'investissement total et enthousiate de Christine Pireaux, coscénariste, assistante et ma compagne par ailleurs qui a travaillé sans relâche jour et nuit alors qu'elle portait le fruit de notre amour en son sein puisqu'elle était enceinte. La générosité de l'équipe, des acteurs, des figurants, des techniciens soudés par un projet commun que tout le monde cherchait à mener à terme dans des conditions budgétaire, logistique et politique extrêmement difficiles.

Mais ce fut une épreuve difficile, qui m'a laissé un goût d'amertume pour de nombreuses années. Je passais mes nuits à réécrire, à refaire le découpage du film pour essayer, jour après jour, de réadapter le scénario en fonction des scènes que nous n'avions pu tourner faute de temps et d'un planning trop serré. C'est vrai que je garde ce souvenir d'un épuisement au delà du supportable et d'un tournage que je n'aurais pu porter à terme sans le support d'amphétamines. C'était un tournage à haut risque et c'est miraculeusement que nous sommes arrivés à le clôturer sans trop de casse. Cela dit je garderai toujours le souvenir amer de ce qui restera toujours un grand mystère, ce vol du camion régie avec les principaux accessoires dont la moto et la veste de notre personnage principal qui a suspendu pendant deux jours le tournage et qu'on a retrouvé par chance abandonné dans une campagne. Ce vol qui n'était pas anodin, il avait une portée et une signification politique par rapport à notre projet d'autant que trois semaines plus tard, la veille de la dernière semaine de tournage, un deuxième vol s'est produit dans le local costume et il est évident que deux vols qui ont entravé la réalisation d'un film ne sont pas dus au seul hasard.

Quel est la spécificité du film Hiver 60 par rapport à la production cinématographique belge et particulièrement francophone ?

Je pense que ce qui fait la spécificité et l'originalité du film parmi l'ensemble des productions belges et francophones, c'est d'avoir abordé une période cruciale de l'histoire de notre pays. Les grèves de 60 sont l'évènement le plus marquant de la deuxième moitié du vingtième siècle en Belgique. Le pays a été paralysé pendant cinq semaines par une grève générale insurrectionnelle. Très peu de films belges ont parlé de l'histoire contemporaine, très peu de films belges ont parlé de l'histoire tout court, à l'exception de certaines grandes œuvres épiques néerlandophonnes, le film flamand de Stijn Coninx « Daens » sur ce prêtre engagé et bien sûr « Femme entre chien et loup », le film d'André Delvaux sur l'occupation et la collaboration durant la seconde guerre mondiale en Belgique. Les frères Dardenne ont également bâti toute leur œuvre sur cette chronique des classes sociales les plus fragilisées du quart monde en Belgique après avoir approchés la réalité syndicale et ouvrière tant en documentaire qu'en fiction. C'est en ce sens, qu'Hvier 60 est un film assez unique, susceptible aujourd'hui de raviver une mémoire historique non seulement chez ceux qui ont connu les évènements mais également pour une génération plus jeune qui n'a ni connu, ni eu connaissance de ce séisme politique et social que fut cette grande grève historique et qui modifia définitivement le paysage institutionnel en Belgique.

Voir aussi

Hiver’60, regard critique sur un film jalon de notre histoire

et

Premiers éléments du dossier historique sur la grève générale de l'hiver 1960-1961, notamment la violence sans précédent de la répression: oui ce fut la grève du siècle