Rita Lejeune, 1906-2009
Rita Lejeune s'est en allée doucement ce 18 mars 2009. Elle était née le 22 novembre 1906. Elle fut la première historienne de la culture wallonne. Elle faisait partie des grandes Liégeoises qui à l'instar de Marie Delcourt furent les premières femmes à enseigner à l'université et à transmettre ainsi un enseignement qui vaut toujours au plan international. Nous, qui nous réclamons de la culture wallonne, nous avons sans doute un peu oublié que l'une des premières grandes autorités universitaires et intellectuelles à user de cette expression fut précisément Rita Lejeune qui, avec Jacques Stiennon, dirigea la rédaction des quatre tomes de La Wallonie, le pays et les hommes consacrés à notre culture, tomes parus de 1977 à 1981.
Cette longue vie demandera tout un article solidement documenté: l'apport de Rita Lejeune à la Wallonie est immense. En attendant que l'hommage adéquat lui soit rendu par TOUDI, nous donnerons la parole à cette formidable historienne de nos lettres, épouse de Fernand Dehousse et mère de Jean-Maurice Dehousse. Il s'agit ici de la conclusion qu'elle tirait des quatre tomes rassemblant la moisson culturelle de La Wallonie, le pays et les hommes. A l'heure où, très malheureusement, Wikipédia tend à déshonorer la Wallonie à travers des articles malmenés par des antiwallons rabiques, on se plaira à souligner que dans le texte qui suit Jacques Stiennon et Rita Lejeune soulignent toute l'importance des cartes de la Wallonie au XVIIe siècle indiquant qu'il s'agit d'une prise de conscience de la spécificité de la Wallonie et ce au début du XVIIe siècle. Quand on sait que l'encyclopédie Wikipédia se targue de rassembler le savoir connu sur tous les thèmes qu'elle aborde, on ne peut qu'être révolté à l'idée de savoir que l'article concernant cet aspect important de notre histoire culturelle a été supprimé par les ignorants de parti pris qui contribuent à altérer gravement tout ce qui rapporte à la Wallonie dans Wikipédia. Supprimé parce que considéré comme non-encyclopédique!
Il est tout aussi révoltant de lire que le mouvement Wallonie libre est un mouvement rattachiste et pétainiste!!! sans que cela ne semble émouvoir les responsables d'une encyclopédie qui mériterait mieux et qui, sur cette question de l'histoire de la Wallonie libre a pourtant reçu les remarques de l'historien de métier, Pierre André. Mais on n'en finirait pas. Laissons la parole à Rita Lejeune à propos d'un travail central pour notre culture et notre avenir. Il est vrai que ce travail a été critiqué parfois dans la mesure où il tentait parfois de délimiter à traits trop peu nuancés l'identité des écrivains de Wallonie. Mais quand on sait que deux ans plus tard, après la parution des lignes qu'on va lire, le Manifeste pour la culture wallonne dressait toute une partie de la Belgique francophone en un rejet haineux, injurieux et calomniateur de la culture wallonne, on se dit que ce qui est en cause, finalement, ce n'est pas telle ou telle erreur, telle ou telle maladresse, c'est la volonté que la Wallonie ne soit pas. Nous lisons évidemment, souvent, que les Wallons n'auraient pas conscience véritablement d'une identité wallonne, d'une appartenance commune. Disons que c'est aussi parce que ce pays est censuré, réprimé, combattu et nié par une partie de la Belgique francophone en haine que notre pays existe.
Un dernier mot en forme d'espoir
C'est sous ce titre que R.Lejeune et R.Stiennon concluent leur travail. Après avoir remercié leurs collaborateurs les deux professeurs écrivent:
La considération générale, c'est qu'à travers les différentes périodes de son histoire, le territoire de ce qui constitue aujourd'hui la Wallonie, malgré son exiguïté, a largement apporté sa contribution personnelle au développement intellectuel de l'humanité. Cette contribution, malgré le manque proverbial d'homogénéité des provinces wallonnes, offre d'ailleurs plus d'unité qu'on ne pourrait croire. En réalité les disparates proviennent moins des hommes eux-mêmes que des avatars politiques fort différents qui ont modelé leurs régions respectives.
Des constantes se sont fait jour dont la plus frappante a déjà fait l'objet de réflexions dans notre Préface: notre histoire culturelle wallonne s'organise essentiellement autour de deux pôles, le Pays de Liège d'une part et, de l'autre, les contrées du Hainaut. D'une façon générale, ces deux grands centres ont largement payé leur tribut, que ce soit dans le domaine des Lettres, dans celui des Beaux-Arts ou bien encore dans celui - beaucoup moins connu et que nous avons tenu à mettre en valeur - de l'apport scientifique. Le phénomène garde sa spécificité tout au long des différentes périodes. Cette dualité n'est pas toujours simultanée mais il suffit qu'elle se manifeste alternativement pour que le phénomène soit de ceux qui frappent. D'autre part, le lecteur se sera facilement aperçu que nous n'avons pass négligé pour autant de prospecter les régions du Namurois, du Luxembourg et du Brabant wallon.
A l'actif de cet ouvrage, nous choisirons quelques temps forts. Ainsi, il n'est pas indifférent d'avoir vu confirmer le caractère tournaisien de Robert Campin et de Roger de le Pasture, d'avoir mis en relief le rôle déterminant des Wallons Joachim Patinier et Henri Blès dans la peinture de paysage. D'un autre côté, un chapitre très soigné a mis en valeur la cohérence de la peinture liégeoise au XVIIe siècle. Dans notre monde contemporain, on a souligné, à juste titre, l'apport décisif de René Magritte, de Paul Delvaux et de Joseph Lacasse - les trois grands; la richesse picturale actuelle comme celle des prédécesseurs a été soigneusement analysée de même que l'expression graphique si bien représentée dans le Hainaut et à Liège
Dans un tout autre domaine, nous avons relevé dans certaines cartes géographiques de congrégations religieuses comme les Capucins, au début du XVIIIe siècle, une prise de conscience de la Wallonie: Provincia Gallo Belgiae seu Walloniae.
A d'autres niveaux il était indispensable de rappeler la pertinence de la littérature dialectale: son action jusqu'à l'époque actuelle a été bien mise en valeur. En même temps, il était utile de cerner l'influence exercée par la revue d'Albert Mockel La Wallonie sur nos lettres françaises du XIXe siècle et sur le développement du mouvement wallon.
Nous avons dégagé l'originalité et l'action des figures de proue de la promotion wallonne, notamment de Jules Destrée, Maurice Wilmotte et Marcel Thiry. Parmi les écrivains contemporains, Charles Plisnier, Marcel Thiry, Robert Vivier, Henri Michaux, Achille Chavée, Géo Norge, Alexis Curvers, Maurice Carême et Carlo Bronne ont retenu l'attention. Pour Georges Simenon, l'importance de son milieu natal a été scrupuleusement notée.
Deux grandes particularités de la culture wallonne dominent également notre travail collectif: d'une part, l'inventaire des différents apports scientifiques à toutes les périodes de notre histoire: de l'autre, l'importance du travail historique qui a toujours prévalu.
Il est juste de souligner également que, précédant d'autres entreprises livresques et discographiques qui évoquent la prestigieuse activité des Wallons de tous les temps dans le domaine de la musique, plusieurs chapitres de notre ouvrage constituent, à l'intérieur de ce dernier, comme une petite anthologie musicale de nos régions. Non seulement les musiciens ont été passés en revue, mais les problèmes inhérents à la vie musicale de notre XXe siècle ont été largement évoqués.
On nous saura gré, pensons-nous d'avoir réservé une place particulièrement importante aux traditions populaires des différentes régions wallonnes, traditions auxquelles les Wallons d'aujourd'hui restent encore très attachés. Dans le même tome IV, une des grandes parties a été réservée aux multiples aspects de la culture: les Académies, l'enseignement, la vie des livres, les musées, la presse, le théâtre, le cinéma, la radio et la télévision. On a également passé en revue quelques grandes institutions wallonnes. Chaque fois, le même souci de faire le point sur l'ensemble du territoire wallon s'est affirmé.
Evidemment, nous nous rendons bien compte que, malgré notre vigilance, notre inventaire comporte des lacunes: la matière, brassée ici pour la première fois, est trop dense pourr qu'on se flatte de l'avoir assimilée sans défauts et sans défaillances. Nous ne saurions trop répéter que notre oeuvre encyclopédique est une oeuvre de pionniers. D'autres viendront qui pourront supplpéer les inévitables lacunes et qui pourront corriger, éventuellement, les erreurs de perspective. Pour nous, il nous suffit de croire que notre oeuvre sera considérée comme un moyen pour les Wallons et pour les autres publics, de faire mieux comprendre l'identité de la Wallonie. C'est là une pensée qui nous paie de bien des peines.
De fait, notre ouvrage se termine au moment où la Wallonie connaît une crise économique dont il serait vain de dissimuler la gravité. Et le facteur culturel ne peut être dissocié de l'activité politique, sociale et économique. Personnellement, nous avons la conviction que la mise en place de l'Exécutif régional wallon et du Conseil régional wallon aura des répercussions bien faisantes sur l'économie de la Wallonie mais aussi, en corollaire, sur le développement de sa culture. Dans la pierre d'un chapiteau de l'ancienne abbatiale de Cluny, bâtie à partir de 1088 par l'évêque Hézelon de Liège on peut admirer la figure de l'Espérance brandissant une torche: "C'est l'espérance qui est la plus forte". Il nous plaît de terminer sur cette vision de beauté et sur cette note d'espoir.
Rital LEJEUNE et Jacques STIENNON
(La Wallonie, le pays et les hommes, Arts, lettres culture, Tome IV, La renaissance du livre, Bruxelles, 1981, pp. 489-491)
Hommages à Rita Lejeune
La Libre Belgique, novembre 1999
Le 15e jour du mois. mensuel de l'université de Liège
La Libre Belgique du 19 mars, Une grande Liégeoise s'en est allée