Vers une sortie de la crise de régime?
Le citoyen lambda, de retour de vacances, est en droit de penser qu'il y a du neuf dans le royaume de Belgique : les représentants de huit partis politiques sont à nouveau réunis autour d'une même table pour discuter de la formation d'un gouvernement de plein exercice, ce qui n'était plus arrivé depuis septembre de l'année dernière !
La perspective de sortir de la longue crise, dans laquelle le pays est englué depuis avril 2010, semble donc reprendre de la consistance. Pour beaucoup d'observateurs, l'optimisme est d'ailleurs à nouveau de mise, certains estimant même qu'il y a une chance sur deux de voir les discussions actuelles aboutir, ce qui est un pronostic optimiste par rapport au climat politique délétère des derniers mois !
Il serait néanmoins audacieux d'affirmer que la crise de régime qui secoue l'Etat fédéral est sur le point de prendre fin.
Il faudrait peut-être commencer par distinguer la forme et le fond.
Au niveau de la forme, nous avons droit aux sourires et à l'air détendu des présidents de partis lorsque les caméras tournent. Ces hommes et ces femmes s'efforcent de donner une image positive, celle de responsables politiques sereins, qui ont le sens de l'intérêt général et qui font preuve de sérieux, au point de respecter les consignes de discrétion du formateur et de s'abstenir de déclarations intempestives. C'est dire...
Sur le fond, le menu des débats ne comporte que du lourd, et nulle garantie qu'il puisse être mieux digéré aujourd'hui qu'hier.
- La sixième réforme majeure des institutions: avec le labyrinthe de BHV, de la périphérie et de Bruxelles; la loi spéciale de financement; l'autonomie fiscale; la délimitation des transferts de compétences...
- Le socio-économique, marqué par la crise financière mondiale et la croissance de la dette publique. Elio Di Rupo, «socialiste», va très loin dans sa note en matière d'austérité, mais manifestement pas encore assez pour la droite libérale, par exemple!
- L'environnemental, où l'on attend toujours des réponses ambitieuses face aux conséquences du «réchauffement climatique».
- L'immigration et les sans-papiers, où la tentation de renforcer des mesures coercitives est évidente et... inquiétante.
- Etc.
Ce ne sera pas simple, même si la volonté d'aboutir existe dans le chef des présidents de partis actuellement sur la brèche, car il faudra bien finir par former un gouvernement, car il faut éviter des élections qui pourraient à nouveau être favorables à la NVA, car la « pression des marchés » s'accentue, car les possédants attendent impatiemment des mesures fortes en matière de salaires, de retraites, de sécurité sociale ou de privatisations supplémentaires.
La thérapie de groupe actuelle a deux issues possibles : un échec et un retour aux urnes d'une part ; un accord à l'arraché d'autre part. Rien d'original dans cette prévision. Mais dans les deux cas de figure, la crise de régime persistera.
La crise de régime persistera
- Parce que si gouvernement il y a, il devra traduire en textes de loi les accords conclus et les faire ratifier par le Parlement. Et même avec des pouvoirs spéciaux, il faudrait encore rédiger des arrêtés royaux qui devraient être approuvés par l'ensemble des ministres. Ce qui prendra un certain temps, pendant lequel les risques d'incidents seront permanents, comme une interprétation soudainement divergente de ce qui aura été négocié, ou un changement impromptu de point de vue d'un partenaire.
- Parce qu'un gouvernement à huit serait un gouvernement dont le centre de gravité est francophone (les 4 principaux partis du Sud seront embarqués dans l'aventure, avec un premier ministre wallon, du jamais vu depuis Edmond Leburton!). Tandis que du côté de la composante flamande, la majorité sera étriquée et ne tiendrait qu'aux 4 sièges de Groen! La responsabilité de l'Open-VLD et du CD&V sera donc considérable, et on peut faire confiance à l'opposition conduite par les amis de Bart de Wever pour mettre une énorme pression, à quelques mois d'un scrutin communal, et alors que la NVA siège dans le gouvernement régional dirigé par... Kris Peeters. Le moindre accroc, la moindre ambiguïté, le moindre état-d'âme, seront exploités, amplifiés, instrumentalisés, pour mettre en évidence les contradictions de la nouvelle coalition gouvernementale et faire capoter l'aventure!
Bref, un gouvernement de plein exercice serait un gouvernement instable, et il est improbable que l'on en revienne dans le court terme à des gouvernements de législature (restant solidement en place pendant 4 ans). En réalité, la durée de vie du prochain Exécutif fédéral n'excédera sans doute pas quelques mois, au plus tard jusqu'aux prochaines élections communales d'octobre 2012.
La crise de régime est l'horizon indépassable de la période traversée par le pays, sur fond de crise du capitalisme globalisé, de l'Union européenne et de sa monnaie, qui ne constituent pas des facteurs de quiétude et qui ne jouent pas en faveur d'une pacification....
D'autant que cette crise est alimentée par une question nationale qui pourra difficilement trouver une solution satisfaisante avec le bricolage d'un sixième « grand accord » entre les représentants des communautés et régions. Le processus de restructuration de l'Etat, engagé activement il y a 40 ans, est un processus ininterrompu, qui évolue de réforme institutionnelle en réforme institutionnelle. Tout simplement parce qu'il existe une majorité politique au Nord du pays pour relayer le mouvement national flamand , dont le but est d'obtenir une véritable autonomie de la Flandre. Ce qui ne signifie pas automatiquement la disparition de la Belgique, mais à tout le moins l'émergence d'une architecture institutionnelle qui déshabillera substantiellement l'Etat central, réduisant ses prérogatives en peau de chagrin.
Dans cette phase chahutée de notre histoire, on est en droit d'attendre du mouvement ouvrier et des formations de gauche des positions claires et fermes.
1. Face à la l'offensive d'austérité contre les travailleurs et allocataires sociaux qui se prépare, il est temps d'organiser dès maintenant la résistance et de lancer une contre-offensive. Une campagne d'information et de sensibilisation doit démarrer dans les entreprises et les secteurs, et des revendications alternatives fortes mises en avant. Pourquoi pas, dès le mois de septembre, des actions syndicales d'avertissement pour mettre la pression sur les négociateurs ?
2. Sur le plan du « communautaire », il faut éviter le piège du nationalisme belgicain. Il ne s'agit plus de « sauver la Belgique » ou d'en revenir au désuet «modèle de papa » ; il ne s'agit pas de nier les aspirations des peuples et leur droit démocratique à l'autodétermination, une attitude qui ne ferait que renforcer la droite nationaliste. Il faut s'orienter vers une solution de type confédéral qui permettrait aux différentes entités de pouvoir mener effectivement des politiques répondant aux aspirations populaires. Quand les travailleurs des différentes régions pourront prendre en main leur propre sort, une solidarité authentique entre les peuples pourra se déployer. Aujourd'hui, ce n'est pas la création d'entités autonomes qui menace l'unité des travailleurs, c'est le maintien d'un Etat désarticulé, au fonctionnement illisible, qui est source de confusion et d'incompréhension entre ceux qui subissent de plein fouet la crise.
Il n'y a pas d'autre issue que de marcher sur ses deux jambes, il n'y a pas d'autre chemin que de lier les différents aspects du combat pour une transformation en profondeur de la société : le politique, l'économique, le social, l'environnemental et... l'institutionnel.
Un sentier particulièrement escarpé à gravir, mais il n'existe pas de voie royale vers une solution de rechange au capitalisme réellement existant en Belgique. Ce n'est donc pas le moment de reculer devant l'ampleur de la tâche.
* (Intertitre de la rédaction)
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