Parade de Degrelle à Charleroi (puis Bruxelles) le 1er avril 44

25 July, 2009
Histoire de Belgique et de Wallonie

Histoire/Fascisme

Degrelle, nous y reviendrons, est devenu le Wallon le plus célèbre au monde, hélas ! Et nous ne disons pas « hélas ! » comme Gide le disait de V.Hugo décrit aussi « comme le plus grand poète français, hélas ! ». Nous disons bien « hélas ! ». La récente émission consacrée par la RTBF à Degrelle est fort passée sur les crimes que celui-ci a commis ou laissé commettre. Elle a pu donner l'impression, en remontrant les images du triomphe de Degrelle à Bruxelles en avril 1944, qu'il était populaire, que l'enthousiasme de la foule est du même genre que celle de la Libération. Il faut voir ces images. Mais aussi tant du côté de la mythomanie de Degrelle (juste ci-dessous), que du côté de la critique historique sérieuse (Martin Conway), se rendre compte que ce triomphe est parfaitement artificiel, surfait, faux, que, pour rendre le moral aux Wallons occupés, la Résistance assassinait les responsables rexistes, assimilés et assimilables aux troupes d'occupation (assimilables puisque les rexistes le voulaient comme tel). Le plus brillant des intellectuels rexistes, José Streel, quitta le mouvement en 1943, sentant toute l'incompatibilité entre ce qui restait de l'idéalisme des débuts et l'orientation SS choisie par Degrelle en sa quête insensée du pouvoir mendiée auprès de ses maîtres allemands. Quête insensée qui l'amena même à s'engager comme soldat du Reich. Certes, avec quelque courage physique puisque Degrelle combattit réellement. Mais dont le profit pouvait être pour Degrelle l'accession à du pouvoir, ce qui ne fut pas. Ou, pour ce vaniteux invétéré, l'accession au rang de starlette du nazisme mondialement connue, opération parfaitement réussie (après la guerre, en Espagne). S'il y a bien quelqu'un dans le monde à qui l'ignominie sanglante de l'hitlérisme a apporté du capital symbolique (et autre...), c'est bien Degrelle, le Wallon le plus célèbre au monde, hélas !

[Pour la suite de l'histoire, il faut savoir qu'en février 1944, la Légion Wallonie - qui ne compta jamais plus que la moitié d'un régiment soit 2000 hommes - rompit l'encerclement des troupes russes à Tcherkassy en février 1944.]

Les caméras de la propagande allemande n'ont filmé que des sympathisants du rexisme, un rexisme assez fort (il le restera jusqu'à la fin), pour rassembler 5 à 6 milliers de personnes capables de donner le sentiment à celui qui voit ces mages en un premier temps qu'il y a vraiment un accueil unanime. Ce qui est vraiment le contraire de la réalité.

Explication du commentaire et des images

Le commentaire en allemand de cette vidéo très courte est facile à comprendre: on voit d'abord l'Hôtel de Ville de Charleroi pavoisée au drapeau de la Légion Wallonie (avec ce X que forment les chênes entrecroisés du drapeau bourguignon de la légion), puis Sepp Dietrich (qui commande une division SS prestigieuse portant le nom d'Hitler) et Degrelle se saluer, décorer les légionnaires wallons (sur 2000, plus de la moitié moururent en Russie: 2000 hommes, cela fait à peine la moitié d'un régiment belge de 1940 qui comporte 4000 hommes et compose une division de 3 régiments + un d'artillerie et un bataillon (1000 hommes) du génie, soit 17.000 hommes, ce qui relativise quand même fort l'expression "Division SS Wallonie", une Division qui ne compta jamais que moins d'un huitième d'une Division). Enfin, les deux hommes passent les troupes en revue et on voit Degrelle à la fin des images de Charleroi accompagné d'une "foule" qui le suivit quasiment comme si c'étaient des familiers du personnage qu'ils sont peut-être.

Puis on passe à Bruxelles et on assiste là également à un triomphe, on voit clairement qu'il s'agit de militants rexistes agitant à un moment donné un drapeau où est dessinée la croix de Bourgogne qui est en forme de X.). Conway affirme qu'il y a des curieux dans cette foule, en réalité s'y retrouvent les quelques milliers de collaborateurs rexistes, que le chef de Rex, Matthys est capable encore de réunir et contre lesquels toute la Nation est dressée, au point que l'on signale, selon certains chiffres, 700 assassinats de militants rexistes dans les derniers mois de l'occupation en Wallonie, dont un par jour durant l'été 44 à Charleroi, où les représailles donnèrent lieu à la fameuse nuit de Courcelles durant laquelle le Doyen de Charleroi fut assassiné.

L'unique char sur lequel est juché Degrelle ne fait pas partie de l'armement de ces 1000 rescapés de Tcherkassy, mais il a été prêté pour la parade.

Ces remarques auraient pu être faites par la RTBF lors de l'émission sur Degrelle. Degrelle parle d'un défilé le 2 avril, il transforme même ce point de détail puisque c'est le 1er avril que la farce a eu lieu...

Degrelle le mythomane

« Avant de gagner d'autres champs de bataille, il nous restait à défiler dans notre patrie, où lagloire gagnée par les volontaires wallons à Tcherkassy avait intensément remué les fibres de l'orgueil national. On ne nous aimait certes pas dans les milieux anglophiles et communistes, mais nos contempteurs eux-mêmes ne pouvaient nier que nos soldats eussent été fidèles à l'honneur militaire et aux traditions de courage de notre peuple.

Le 2 avril 1944, de grand matin, nous arrivâmes à la frontière hollando-belge.

De là commença notre marche à travers le pays.

Notre colonne blindée avait dix-sept kilomètres de longueur. Du haut de leurs machines puissantes, nos jeunes soldats regardaient en riant nos jolis villages aux toits bleus. C'était pour ces cités harmonieuses, c'était pour ce vieux sol qui porte autant de gloire que de terre qu'ils avaient parcouru les steppes, subi tant de souffrances et forcé le destin.

La Brigade fit à midi sa joyeuse entrée à Charleroi, cité du travail, et y renouvela, sur la grand'place, son serment de fidélité à l'idéal national-socialiste. Puis les centaines de blindés s'élancèrent à travers le Brabant wallon. Le gros Lion de Waterloo nous regarda passer, du sommet de sa butte.

Nous pensions à tous les héros qui, dans ces champs gras, avaient mené jadis des charges pareilles à celles que nous venions de livrer dans les boues russes.

Mais ces boues étaient loin. Nos blindés étaient chargés de fleurs. Des couronnes de branches de chêne, hautes de deux mètres, ornaient les blindages. Des cortèges de jeunes filles frémissantes, aux yeux vibrants d'éclairs, nous attendaient au seuil de Bruxelles.

Le centre de la Capitale était un prodigieux remou de visages et de drapeaux. Les blindés passaient avec peine parmi les dizaines de milliers de personnes accourues en hâte et qui acclamaient éperdument nos soldats. La foule montait comme la mer, criant, jetant des milliers de roses, les premières roses, les plus douces, les plus tendres, qui annonçaient les lumières du printemps.

Mon char s'était arrêté devant les colonnes de la Bourse. J'avais hissé dans mon blindé la ribambelle émue de mes enfants. Je sentais dans mes mains leurs petites mains brûlantes. Je regardais cette merveilleuse fête, la communion de ce peuple, si sensible à la gloire, et de mes soldats. Sans arrêt, de nouveaux blindés débouchaient, vrombissants, sur la chaussée couverte de fleurs.

Par la même route, exactement, les chars anglo-américains allaient entrer dans Bruxelles, cinq mois plus tard... »

Léon Degrelle, La campagne de Russie, Paris, Le cheval ailé, 1949 pp. 332-333. (*)

(« 17 km de chars » - alors qu'il n'y en eut que quelques uns et encore prêtés pour le show. Des « dizaines de milliers de personnes », cela vaut à peu près la même chose que les « centaines de chars ». Cette colonne blindée faisant mouvement de la frontière hollando-belge à Bruxelle, comparés aux chars américains et anglais... Et le regret de l'arrivée des vrais libérateurs...)

Comment le Professeur Martin Conway décrit cette parade

Pour Martin Conway, Professeur à Cambridge, incontestablement le meilleur spécialiste de la collaboration en Wallonie (on pourrait ajouter mais plus fraternellement, cependant, aussi, héals !), ce pourrait être à l'instigation de Degrelle que la Légion Wallonie aurait été mêlée à une violente contre-attaque allemande fin janvier 44 contre l'Armée Rouge. Nous citons ici Degrelle. Les année de collaboration, Labor, Bruxelles, 2005. Elle est encerclée mais parvient à rompre l'encerclement à Tcherkassy : « La Légion a dû abandonner tout son équipement et, sur presque 2000 hommes, moins de la moitié a survécu. Environ 1.100 hommes, y compris le commandant militaire de la Légion, Lucien Lippert, sont morts sur le champ de bataille. » (p.290) Pendant ce temps en Belgique, les rexistes peu dans la faveur allemande au début de l'occupation ont gagné quelque estime dans certains milieux SS. Ce qui les fait jubiler alors que les collaborateurs flamands, pris bien plus sérieux par les Allemands au début de la guerre, « finissent par considérer la collaboration avec l'Allemagne comme une erreur » (p.292).

Martin Conway poursuit, décrivant la parade de de Degrelle à Bruxelles : « Un événement illustre mieux que tout autre le renversement de situation. C'est le défilé, le 1er avril, des légionnaires survivants de Tcherkassy dans les rues de Charleroi et de Bruxelles. La parade a été reportée à plusieurs reprises par crainte de provoquer un bombardement aérien de la capitale par les Alliés. Les Allemands ayant finalement donné leur accord, les légionnaires se rassemblent le 1er avril, au matin sur la Grand-Place de Charleroi où, en présence de Sepp Dietrich de la Leisbstandarte Adolf Hitler, on procède à la remise des décorations militaires. La Légion remonte alors à Bruxelles et parade, sous le soleil de l'après-midi, sur les boulevards de la capitale. Pour plus d'effet, la colonne de légionnaires est, pour l'occasion, motorisée, le matériel étant emprunté aux troupes de Sepp Dietrich. Triomphant, accompagné de ses jeunes enfants ? Degrelle arbore un large sourire, juché sur un char, à la tête de ses troupes. Un nombre considérable de dignitaires sont réunis sur les marches de la Bourse pour accueillir les héros, dont les dirigeants rexistes, des officiers allemands, les cinq gouverneurs des provinces wallonnes et des représentants de groupe collaborationnistes français et flamands. Les secrétaires généraux avaient décliné l'invitation, tout comme Gottlob Berger, des quartiers généraux SS, soucieux de ne pas froisser les nationalistes flamands. Bien qu'elle n'ait été prévenue que quelques heures auparavant, une grande foule assiste au défilé. Outre quelques curieux, elle se compose de rexistes, d'amis et de famille de légionnaires. Pour eux, c'est à plus d'un titre le plus beau moment de leur vie. Après les déceptions successives des années précédentes, ils peuvent enfin goûter au succès, du moins en apparence. Une femme de légionnaire aurait déclaré : " Cela nous venge de bien de choses." Le défilé d'une unité militaire collaborationniste en tenue de combat dans une capitale semble un événement unique en Europe occupée, ce qui confirme que Degrelle a le statut de figure de proue au panthéon de la propagande nazie. » (p.293)

Le texte de Degrelle est accessible sur la toile à Campagne de Russie. Jean Louvet, dans cette même ville de Charleroi où nous voyons Degrelle triompher a placé La Nuit de Courcelles, histoire d'un des derniers massacres perpétré par les rexistes, moins de cinq mois plus tard... On lira aussi, par contraste, Lettre d'adieu de Marguerite Bervoets.

Il a fallu au cours de l'année 2000 que le journal Le Soir dans ses Fiches du XXe siècle, lie une seule fois la Wallonie à un événement de portée mondiale : le fascisme degrellien précisément, et encore! son seul aspect militaire! Or, la Wallonie, ces fiches ne la mentionnent vraiment largement (malgré deux autres petites mentions) qu'en cette presque seule occasion qu'on peut voir en ce tableau.

Comments

Unique char: blindés fournis par les Allemands

Je dois avouer que l'expression "l'unique char" n'est pas dans le commentaire de Conway qu' il faudrait commenter. Cet ouvrage capital de Conway que j'ai lu mais dont je n'ai jamais rendu compte alors que cet ouvrage explique magistralement ce qu'a été la collaboration en Wallonie. En résumé bien moins forte qu'en Flandre au début de la guerre mais parce que les Allemands ne prenaient pas Degrelle au sérieux et se rendaient compte que son pays non plus ne le prenait pas au sérieux. Elle devint plus forte à la fin de la guerre, c'est-à-dire au moment même où les collaborateurs flamands qui espéraient que l'Allemagne aide la Flandre se rendirent compte qu'ils n'avaient rien à en espérer. L'impression domine que, en Wallonie, la collaboration, moins nombreuse, fut, en un certain sens plus crapuleuse, nourrie seulement par des ambitions exclusivement personnelles et des intérêts exclusivement personnel avec, ce pendant, des idéalistes du national-socialisme comme José Streel, qui, pourtant, quand le rexisme devient carrément nazi rompt avec lui et fut exécuté à la fin de la guerre, alors que c'était loin d'être le collaborateur le plus répréhensible. La collaboration flamande correspond à une sorte de groupe en ascension alors que, en Wallonie, c'est le contraire, ce sont souvent des marginaux qui se lancent dans une fuite en avant désespérée. Ce que Conway souligne aussi , c'est le climat de guerre civile qui régna en Wallonie dans les dernières semaines de l'occupation, avec des règlements de compte ou une sauvagerie chez certains Résistants pas toujours justifiable - ce qui ne signifie pas du tout que la Résistance ne l'était pas, bien au contraire. Malgré des bavures, elle a partout sauvé l'honneur humain.