Critique : "Léopold II, entre génie et gêne. Politique étrangère et colonisation" (Vincent Dujardin, Valérie Rosoux, Tanguy de Wilde)

3 mars, 2010

Valérie Rosoux pose cette question: « L'analyse de la figure léopoldienne pose une question décisive : comment intégrer dans le récit national un personnage, un événement ambivalent ? Ou, pour le dire autrement, comment représenter - au niveau collectif et, de manière ultime, au niveau individuel - une défaite, une erreur, une perte ? » 1 Sur ce livre, Daniel Olivier écrit, ci-dessous, une mise en cause de style pamphlétaire écrite par quelqu'un de très bien informé . Il a parfaitement raison. Parce que l'ouvrage en question est lui-même de style pamplétaire. La question de Valérie Rosoux est elle-même ambivalente. Pourquoi « faut »-il à ce point « intégrer » » Léopold II en notre histoire? Et que veut dire ici intégrer ? Au sens de Valérie Rosoux, peut-on par exemple « intégrer» les assassins rexistes du doyen Harmignies et de ses compagnons de Courcelles le 18 août 1944 ? Sans doute, mais en admettant qu'ils ont fait ce qu'ils ont fait. Et l'on sait que la morale et le droit hiérarchisent les actes. Par exemple les crimes contre l'humanité sont considérés comme plus graves que l'odieux massacre de Courcelles. Or qu'a fait Léopold II dans ce coin de l'Afrique où il disposait d'un pouvoir plus absolu que les monarques absolus ? Car pouvant considérer l'Etat Indépendant du Congo (E.I.C.), comme son jardin avec les bêtes - et les êtres humains - qui y vivaient ? Le livre ne nous semble pas répondre à cette question qu'on nous pardonnera de considérer comme plus essentielle et plus décisive encore. Alors à quoi bon l'écrire et écrire à nouveau au sujet de Léopold II une (quantième publication? ), en ce siècle-ci qui, à nouveau, tend à minimiser les crimes royaux ? Cette question se pose sans doute aux républicains que nous sommes, mais elle se pose aussi à tout homme de bonne volonté, wallon, flamand, bruxellois ou d'autres pays. D'où les sarcasmes amplement justifiés et parfaitement informés de notre collaborateur et ami qui regrette d'ailleurs que ce livre soit en retrait sur celui de Jean Stengers 2, qu'il aurait fallu prendre pour modèle et dont, comme d'autres, il aurait fallu s'inspirer pour se rendre vraiment utile.

TOUDI

INTRODUCTION: Liberté pour l’histoire

L’histoire n’est pas une religion. L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous. Il peut être dérangeant.

L’historien n’est pas la morale. L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner, il explique.

L’histoire n’est pas l’esclave de l’actualité. L’historien ne plaque pas sur le passé des schémas idéologiques contemporains et n’introduit pas dans les événements d’autrefois la sensibilité d’aujourd’hui.

L’histoire n’est pas la mémoire. L’historien, dans une démarche scientifique, recueille les souvenirs des hommes, les compare entre eux, les confronte aux documents, aux objets, aux traces, et établit les faits. L’histoire tient compte de la mémoire, elle ne s’y réduit pas.

L’histoire n’est pas un objectif juridique. Dans un Etat libre, il n’appartient ni au Parlement ni à l’autorité judiciaire de définir la vérité historique. La politique de l’Etat, même animée des meilleures intentions, n’est pas la politique de l’histoire.

Source : communiqué de l’Agence France Presse du 12 décembre 2005, publiée par Libération du 13 décembre 2005.

Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie (Jacques Prévert)

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Pour introduire cette réplique virulente, berçons-nous de ce poème musical : Poète, prends ton luth / Et me donne un baiser (A.de Musset, Les Nuits) Pour mieux claironner :Historien, prends ta plume/ Et nous donne à élucider

Car dans ce livre Léopold II, Entre Génie et Gêne, publié à Bruxelles en 2009 aux éditions Racine, avec la participation de vingt historiens, nous avons constaté que... la lyre ne les a pas accompagnés et qu'ils ont manqué de lucidité. Leurs fausses notes sur leurs partitions trop officielles provoquent cette question : « comment est-il possible que l'on puisse encore faire de telles gammes sur Léopold II ? » Leur musique est dissonante et pousse notre savoir-critique à écrire les pages qui suivent. Avant tout, au sujet du titre Léopold II, entre Génie et Gêne qui... n'entre pas dans notre genre, nous préférons le néologisme suivant :

Léopold II, génioccidaire - sang gêne

Dès la première page de l'introduction signée par cinq historiens, on lit : « L'air du temps qui considère la mémoire comme une valeur et non plus simplement comme un phénomène objectif. » (p.7) « L'air du temps », qu'est-ce, sinon un alibi misérable qui sert à disculper les responsables à qui on demande des comptes ? Le reste de la phrase n'est qu'un agencement de mots séduisants - « valeur et phénomène objectif » - qu'utilisent les historiens médiatiques qui, comme d'autres, font des effets de manches. Qui dit mémoire, dit commémoration qui se nourrit généralement de stéréotypes, en opposition à l'histoire qui se veut explication.

La mémoire n'a donc pas de valeur en soi. Les Congolais ne vont pas nourrir leur mémoire des mêmes « phénomènes objectifs » (p.17) que ceux des colonialistes, leur histoire est antagoniste et leur « air du temps » de colonisés sera pour eux un « phénomène négatif ». Au long des six pages d'introduction, pas un mot sur la légitimité ou l'illégitimité de la colonisation, rien qu'une justification : « Les idées d'expansion économique (p.8), jeter les bases d'une plus grande Belgique (p.9), prospère grâce à la politique d'outre-mer » (p.10) Que de stéréotypes officiels à usage...scolaire ! Que de mots distingués pour camoufler la réalité : envahir un territoire étranger.

« Si en vue de la domination nécessaire de la civilisation, il est permis de compter le cas échéant, sur les moyens d'action que confère la force, sanction suprême du droit, il n'en reste pas moins que sa fin dernière est une œuvre de Paix. Les guerres non indispensables ruinent les régions où elles sévissent. » (Léopold II, Pensées et réflexions, G.H. Dumont , L'amitié par le livre ; Bruxelles, 1948, pp.46-47). D'abord la force et puis la paix, écrit Léopold II. La « bande des cinq » n'a pas bien lu Léopold II. « Limiter l'histoire du Congo léopoldien à une succession d'abus et d'atrocités serait cependant réducteur. » (p.9) Réducteurs, les abus et les atrocités ? Mais il n'y a justement pas eu de limites à ceux-ci ! Léopold II aurait dû en être le réducteur. De plus, l'histoire n'a rien à réduire, ni à augmenter. Elle a suffisamment à faire avec la réalité du Congo léopoldien pour ne pas s'occuper de quantification.

Imaginons un retour de l'histoire : les Congolais viennent « coloniser » la Belgique comme eux l'ont été par les Belges ! Vous voyez le tableau ! Que faudrait-il limiter ? Si ce n'est le fait de « coloniser ».Cette introduction et les participations qui suivent sont le fruit...mûri (sic) de deux journées d'études à Louvain-la-Neuve. Neuve Louvain, certainement, mais pas ce qu'il s'y produit. La seule préoccupation des participants en ce qui concerne Léopold II est la suivante : lui ripoliner une image un peu plus présentable.

Nous examinerons comment ils se sont mis à vingt pour lisser la barbe blanche de ce monarque absolu qui sous prétexte de « civilisation » a contribué à inscrire sur la page blanche (sic) de l'histoire les lettres les plus noires (sic) de la colonisation.

Les pages suivantes se veulent une réplique virulente à chacun des vingt historiens. Elles doivent être lues sur le fond musical du rappeur Belgo-Congolais Baloji : Tout ceci ne nous rendra pas le Congo.

Un souverain illustre au pouvoir limité (M. Van den Wijngaert)

« A onze ans, il est sous-lieutenant...neuf ans plus tard, il est déjà général. » (p.16) N'est-ce pas un peu ridicule, cet avancement ? Vous voyez un général de 20 ans en compagnie de généraux de 50-60 ans ? Les quinze pages qui suivent peuvent être publiées par Paris-Match ou Point de Vue Exemples : « Léopold II a un faible pour son fils » (p.17), « Léopold et son épouse Marie-Henriette n'ont jamais filé le parfait amour. » (p.18) « Le Roi gâche complètement sa vie de famille. » (p.19). « Léopold entend marcher sur les traces de son père. » (p.22). « L'exploitation du Congo nécessite d'énormes quantités d'argent. » (p.29). « Les affaires sont les affaires. »(p.30). Lieux communs et banalités se succèdent comme Léopold II a succédé à Léopold Ier. Encore une banalité ! Mais celle-ci est voulue.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II plus familial. Sur l'air de Baloji

Léopold II, ce « géant devenu génocidaire » - Une approche historiographique (Michel Dumoulin)

Les expressions choisies dans ce chapitre sont aussi gênantes pour certains que génocidaires pour d'autres. Il s'agit de départager les admirateurs des adversaires de l'entreprise léopoldienne. L'auteur fait revivre des cadavres idéologiques à sa façon ; Léopold II assimilé à Hitler (p.32) et il en fait tuer une deuxième fois un autre, sans façon, l'homosexualité d'un Casement (p.36). « [...] il faut relever que cette [biographie] de Léopold II [...] n'a pas réellement donné lieu à une étude pouvant défier durablement le temps (p.31) ». Cela n'a aucun sens. D'abord ce n'est pas très élégant pour les biographes passés et présents, ensuite, faire œuvre d'historien n'a rien à voir avec « défier durablement le temps ». Mieux vaut passer son temps durablement à relever d'autres défis car... Avec le temps, avec le temps va, tout s'en va/Et l'on se sent floué par les années perdues (Léo Ferré, Avec le temps).

L'ambiance de notre temps « provoquerait une « réalité mal accessible » (p.31). Argument difficilement admissible puisque la première fonction de l'historien est de se méfier de l'ambiance parce qu'elle est aussi variable que l'air du temps ; cet air qui souffle souvent pour justifier des positions variantes. De plus, il existerait une « réalité bien accessible » ? Difficile pour nous d'accéder à ce « bien et à ce mal ». Lisons bien ce qui suit : « Les travaux des historiens baignent en effet dans un environnement idéologique qui perçoit des violences coloniales comme l'antichambre de l'Holocauste. Cette révision du passé colonial sacrifiant dès l'amont au jugement moral est davantage portée à dénoncer les racines du mal qu'à replacer le phénomène colonial dans son environnement culturel, économique et social en étant attentif aussi bien à celui qui prévalait en Europe qu'en Afrique centrale. » (pp.31-32). Dénoncer la terreur instituée, le pouvoir absolu de Léopold II - voir bibliographie - appelé ici « violences coloniales », comme il y a des violences urbaines et conjugales, c'est la « réalité du mal accessible » ? Pourquoi faut-il évacuer « dès l'amont » tout jugement moral ? Au risque de passer à côté du « phénomène colonial ». Celui-ci n'aurait rien à voir avec « les racines du mal » mais bien avec son environnement ! Après l'ambiance - voir plus haut - l'auteur nous fourgue de l'environnement... Ce n'est plus de l'histoire, c'est de l'écologie ! Le traitement « culturel, économique et social » appliqué aux Congolais ne relèverait-il pas de la moralité ? Morts-alités, les Congolais ? Et encore ! Plutôt alignés. Puisque l'auteur cite l'Holocauste, qu'il tienne ce discours face aux victimes dont les camps ne relèveraient pas de la moralité ! Celles-ci doivent savoir en outre que « le jugement moral « dès l'amont » est un prisme déformant » (p.34).

Après l'écologie, nous voguons dans la géométrie, qui peut déformer le jugement des victimes sur les camps s'ils y impliquaient de la moralité « dès l'amont ». Et en aval, la moralité, c'est le carré de l'hypoténuse ? L'histoire devient une affaire de mathématiques. Nous ne sommes pas dans un équilibrage fluvial, amont et aval, mais dans deux périodes tragiques de l'humanité. Approcher ces périodes à l'aide de termes mathématiques ne peut que soustraire de l'essentiel. Ce bavardage pseudo-historiographique veut éviter de reconnaître que la barbarie nazie dénoncée à satiété, fut, avec nombre de disparités, la prolongation d'une autre barbarie, celle de la colonisation. L'historien ne peut échapper, par des artifices d'écriture, comme certains juristes utilisant des artifices de procédure, aux procès des faits historiques qui sont d'une ténacité irréductible. Rappelons que ce ne sont pas les historiens qui prouvent, mais les documents qui apportent la preuve. Encore faut-il vouloir les chercher et les publier. L'auteur ne s'arrête pas là hélas : « [...] des agissements d'un Morel et d'un Casement durant la Première Guerre mondiale. Leur trahison au profit de l'Allemagne ne jette-t-elle pas, en effet, une lumière crue, qu'accentue encore l'homosexualité d'un Casement ? » (p.36).

Morel et Casement ont fondé en 1904 la Congo Reform Association qui dénonce les abus confirmés en termes plus acceptables par la Commission d'enquête instituée par Léopold II un peu plus tard. Ni Morel, ni Casement n'ont trahi au profit de l'Allemagne. Casement a soutenu la révolte irlandaise de Pâques 1916. Il s'est rendu en Allemagne en pleine guerre mondiale pour gagner les prisonniers irlandais à la cause de leur patrie. Pour ce fait, il fut condamné à la pendaison. Mais, « En février 1965, sur la demande du Gouvernement de Dublin, la dépouille de Casement a été exhumée du cimetière de la prison de Pentonville et transférée par avion, dans la capitale irlandaise. Le premier mars 1965, sa patrie lui a fait des funérailles nationales. » (The lives of Roger Casement ; Reid ; pp.449-450). Pas de trahison donc au profit de l'Allemagne et il y a de quoi s'étonner de lire que « l'homosexualité d'un (sic) Casement aggraverait son cas » (p.36) ? L'homosexualité serait donc une marque d'infamie ? Affligeant ! Les trois pages suivantes se veulent historiographiques alors qu'elles ne sont qu'hagiographiques, même si des opposants aux excès sont cités (pp.37-40). Exemples : « Conférer au Roi la stature d'un géant (p.38) [...] vie glorieuse du Roi (p.39) [...] figure de l'illustre fondateur... » (p.39) etc. Les opposants avaient compris « qu'il fallait même "malgré lui" mettre fin aux abus du régime. » (p.38) Des années 20-30, l'auteur passe aux années 50 pour saluer : « l'émergence, essentiellement à l'Université Libre de Bruxelles des travaux historiques » (p.40). Avant 1950, à l'ULB, il y eut Félicien Cattier, auteur de plusieurs recherches sur le Congo et notamment Etudes sur la situation de l'Etat Indépendant du Congo, éditions Larcier , Bruxelles, 1906. Il faudrait interroger l'ULB pour savoir si effectivement durant les années 30 à 50 aucun travail sur le Congo n'a été effectué. Ce serait assez étonnant. Rappelons qu'ailleurs ça ne chômait pas avant les années 50 et des travaux historiques étaient publiés ; entre autres : Bantouala, roman nègre ; prix Goncourt en 1921 de René Maran ;Voyage au Congo ; d'André Gide en 1927, La Vie du Noir au Congo ; Rinchon Dieudonné ; 1941Esclavage et Colonisation ; Aimé Césaire : 1948 , L'Héritage du Noir, mythe et réalité ; Herskovits et Melville ; 1945 etc.

S'il faut aller « vers une nouvelle approche » (p.42) de Léopold II, ce n'est certainement pas dans la direction que l'auteur signale : « [...] une biographie moins engagée dans l'une ou l'autre des directions indiquées ci-dessus » (p.43), c'est-à-dire « une pédagogie de la nuance » (idem). Ah la nuance ! Cette belle dame tant courtisée par les Don Juan de l'historiographie, que de nuisances écrites en ton nom ! Sur l'air de la Nuance, on chante ces paroles : civilisation, évangélisation, industrialisation, éducation, éducation, plantation, etc. On n'entend pas les cris : invasion, occupation, destruction, exaction, exploitation.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins réactionnaire, sur l'air de Baloji.

Les archives de Léopold II. Une mine d'or pour les historiens (G. Janssens)

Que les archives de Léopold II soient une mine d'or pour les historiens, c'est une chose, mais que le Congo ait été une mine d'or pour Léopold II, c'est autre chose. Juste retour de l'histoire, diront certains. A chacun son or, pour garder...sa bonne mine. Candide, ou feignant l'Innocence, l'auteur décrit p.45 : « Un souverain animé de bonnes intentions comme Léopold II, mais qui régnait en despote, ce qui lui vaut une mauvaise réputation tenace. » Ce chef de service aux Archives générales du Royaume ne met pas l'or des archives au service de la lucidité. Ah, si la réputation pouvait s'évaluer au niveau des bonnes intentions, « du régnant en despote », la colonisation aurait été le paradis sur terre et Léopold II son prophète paradisiaque ! En 15 pages bien élaborées, nous savons tout sur cette mine d'or que nous a laissée... gratuitement Léopold II et dont le Fonds Goffinet découvert tardivement a été « un des plus beaux jours » de la vie du professeur Jean Stengers (p.49). (Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses Ch.Baudelaire, Les fleurs du Mal).

On comprend que pour un historien, la découverte d'archives sortant de l'ordinaire peut être un des plus beaux jours de sa vie, mais à la lecture du contenu, M. Stengers aurait pu signaler qu'il y avait fait des découvertes horribles. Le paragraphe « Hommages à Léopold II » (p.60) est intriguant en ce sens que ces archives ne contiendraient que des témoignages de respect. Heureusement que nous en avons d'autres, notamment celles publiés par Mme L.Van Ypersele de la page 227 à la page 240. Nous sommes, dans ce chapitre, utilement renseignés sur la quantité d'archives de Léopold II, on aurait aimé avoir quelques renseignements sur celles que Léopold II a fait disparaître.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II plus archivé, sur l'air de Baloji.

Léopold avant Léopold II : Le Duc de Brabant (1835-1865) (Vincent Dujardin)

« On mesure bien dans un tel contexte que les habitants de Bruxelles laissent éclater leur joie, le 10 avril vers six heures du matin, lorsque les cloches se sont mises à sonner. » (p.63) M'est avis qu'à six heures du matin, les Bruxellois ont autre chose à faire que de « laisser éclater leur joie » ! C'est une heure où la joie est de rester au lit ! Vingt, cent...cloches ne peuvent réveiller quiconque Du...Jardin de Morphée, à six heures du matin, Vincent Dujardin !Des cloches tout à coup sonnent avec furie/Et lancent vers le ciel un affreux hurlement/Ainsi que des esprits errants et sans partie/ Qui se mettent à geindre opiniâtrement (Charles Baudelaire, Les fleurs du Mal). A cinq ans, il obtient le titre de Duc de Brabant (p.66) et « il apparaît que le jeune prince attache un grand prix à ce nouveau titre ». Savoir apprécier un tel titre à cinq ans, c'est la classe ! Et l'évidence est là : la valeur n'attend pas le nombre des années. « A onze ans, il devient sous-lieutenant chez les Grenadiers. Il sera lieutenant en 1851, capitaine en 1852, major en 1853, lieutenant-colonel la même année et colonel en 1854. A vingt ans, il est général-major. » (p.69) Ouf ! On peut appeler ça...un avancement royal ou un royal avancement, au choix. De toute façon, les officiers du Cadre auront apprécié, eux qui n'avancent que devant le Prince, et doivent leur avancement à tout sauf « le fait du Prince ». L'auteur ajoute sans rire : « Mais le Prince n'exerce pas effectivement de fonctions de commandement. » (pp.69-70) Imaginez un adolescent, de 16 ans, commander un régiment ! Quelle scène d'opérette où le ridicule serait...Général. Les rapports de père à fils sont révélateurs d'une absence d'amour paternel, le fils est traité de vaniteux, d'égoïste (p.74) et Léopold Ier constate qu'à 23 ans « son fils a encore bien des choses à apprendre » (p.73), quelle perspicacité ! En réalité, Léopold II n'est pas éduqué par son père, mais surveillé, jaugé, évalué en vue du Trône qu'il devra occuper. Le mariage arrangé du prince ne dérange pas l'auteur, c'est politique donc acceptable (p.75). Ne pourrait-il émettre un avis un tant soit peu critique sur ce genre de mariage et ses conséquences ?

On n'en est pas à une énormité près dans le landerneau royal. L'avancement du Prince n'est pas que militaire, après les grades conquis (sic), il devient sénateur de droit à 18 ans (p.76). Pour être sénateur élu, il fallait plus de quarante ans. Quand on connaît la moyenne d'âge des sénateurs de l'époque, entre 50 et 60 ans, on ne peut que se réjouir d'un apport de sang neuf dans cette assemblée qui subit « des ans, l'irréparable outrage ». Le voilà...père conscrit alors qu'il pourrait être le petit-fils de la plupart des sénateurs. Mais c'est un père conscrit dynamique : « [...] monté à quinze reprises à la tribune de la Haute assemblée » nous informe l'auteur page 76. L'exploit est à souligner car...vu des ans l'irréparable outrage, on peut douter de la capacité des autres sénateurs à faire de même : ils ne sont plus que des pères...contrits à ne plus pouvoir imiter le Prince. Son ascension continue, à 21 ans, tenez-vous bien : « il n'hésite pas à convoquer le Ministre des travaux publics pour lui demander que le tracé de la voie ferrée Bruxelles-Louvain passe par le parc de Tervuren » (p.79). Cela vaut le détour, explique-t-il au Ministre, parce qu'il a déjà sans doute des vues sur cette terre...de Tervuren. Il est évident que si à cet âge, on s'intéresse à la vie des chemins de fer, on est sûr...de faire son chemin dans la vie ! Comme l'a très bien écrit Léo Ferré : « Je suis de l'espèce ferroviaire qui regarde passer les vaches. » L'auteur confirme que cette convocation est « prémonitoire de la dimension urbanistique du futur règne » (p.79). En plus des voies ferrées (pas celles de Léo), la création des colonies préoccupe beaucoup le Prince, « le cas des Indes néerlandaises le fascine » (p.79). Le cas, pas la conquête, ni l'occupation, ni l'exploitation. La formation d'un prince décrite aussi élogieusement sur vingt pages tient plus du religieusement correct que d'un regard contemporain attendu d'un historien. Ces pages ne sortent pas d'un genre d'écriture pipolisante qui aurait certainement ravi nos grands-parents.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II plus démocratique, sur l'air de Baloji.

Léopold II et sa Doctrine coloniale : de Duc de Brabant à 1885 (Jean Vandersmissen)

Appeler « Doctrine coloniale » ce qui équivaut dans la pratique à invasion, occupation et exploitation nous paraît un abus de langage pour habiller la colonisation d'un vocabulaire académique présentable surtout lorsqu'il est accompagné de l'expression « mouvement géographique ». Cette délicatesse de prétoire, ce choix de mots bien éduqués pour auditoires bien élevés, ce vocabulaire scientifique qui veut se faire passer pour information supérieure, alors que tout le contenu de cette doctrine hisse au mât de l'histoire la voile de la race supérieure sur le bateau de la négrophobie voguant à vitesse doctrinale sous le vent de la civilisation...C'est beau, c'est grand...et voguent les galériens. Il faut maintenant « explorer de nouvelles pistes » (p.86). Au temps de Léopold II, on a vu les ravages des explorateurs des nouvelles pistes, style Stanley. Maintenant on va entendre leur ramage. Ces nouveaux explorateurs en chambre avalisent le travail des explorateurs des nouvelles pistes en brousse et leur trouvaille historique est la suivante : « Léopold II n'était pas seul ». Lisez celle-ci : « Or, on dispose de faits assez nombreux pour démontrer que l'image classique du penseur solitaire ne tient pas. » (p.85) Léopold II n'est plus le « génie royal » mais un simple suiveur du « mouvement géographique », « influencé par des tendances intellectuelles » (p.86)...tant dansent les intellectuels. Alors là, on est scié ! Notre « génie royal » n'est plus ! Sic transit gloria mundi. Enterrement de première classe. Eh oui, Léopold II est un élève du « mouvement géographique » qui « fleurit » au XIXe siècle (p.86). Ce n'est plus un « génie », un « géant dans un entresol », le « pharaon des Belges », il était comme « une éponge qui absorbe l'eau » (p.90). Entre nous, il aurait mieux fait de...jeter l'éponge, les Congolais n'auraient pas été les naufragés léopoldiens. Mais cette éponge veut s'étendre : « La Belgique doit devenir la capitale de l'Empire belge, qui se composera, Dieu aidant, des Îles du Pacifique, de Bornéo, de quelques points de l'Afrique et de l'Amérique et enfin de la Chine et du Japon. » (p.93) Rien de moins. Et Dieu, avec moi, non de...D. L'Europe s'ennuyait sur les cartes muettes/Des pays bariolés chercheurs d'identité/Couraient à leur frontière y faire leur toilette (Léo Ferré)

Il admire la politique des Anglais et note : « Il est très remarquable de voir en Chine et au Maroc les vaincus payer aussi les frais de l'expédition qui les a écrasés. » (p.94) L'auteur précise : « Il affinera ce raisonnement à propos de l'Extrême-Orient. » (p.94) et le...raffinera pratiquement pour les Congolais. Non seulement on les écrase, mais il faut qu'ils paient leur écrasement.

C'est...remarquable. L'auteur confirme, s'il faut encore le faire, que sur la question des Droits de l'Homme : « Léopold II n'en avait cure. Il ne songeait qu'aux gains importants générés par le système de cultures. » (p.95) Au moins c'est clair, c'est écrit...noir sur blanc, et s'inscrit par les Blancs sur les Noirs au Congo. Désormais Léopold II peut passer de la Doctrine coloniale à la pratique colonialiste sous couvert de « mission civilisatrice » avec l'aval du « mouvement géographique » après la conférence de Berlin. Les 20 pages suivantes décrivent les grandes lignes de la thèse de M. Jean Vandersmissen, présentée en 2008 à l'Université de Gand. Elles ne contiennent aucune question sur la légitimité de la colonisation. L'auteur n'y traite que de « mouvement géographique », « grandeur de la patrie », « enrichir l'Etat », « recherches de territoires », etc. (p.102) Il reprend ainsi la Doctrine coloniale de Léopold II dans les mêmes termes du charabia utilisé au XIXe siècle. En 2008, reprendre ces expressions choquantes pour décrire des conquêtes coloniales démontre une paresse d'esprit regrettable. Les faits historiques doivent être éclairés au XXIe siècle par un vocabulaire approprié aux faits, à savoir « crime contre l'humanité, racisme, massacres, négrophobie. » Le terme même de Doctrine coloniale doit être remplacé par Directives dictatoriales.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins cynique, sur l'air de Baloji.

Léopold II, un roi déterminé face à la guerre franco-allemande de 1870 (Philippe Raxhon)

La guerre franco-allemande de 1870 n'a pas une portée européenne, comme l'écrit l'auteur page 105, c'est une...querelle d'Allemands (sic), il n'y a pas de motif européen, la France craignant la trop puissante Allemagne. En 1870, il n'y a pas d'Europe. Chaque pays est à la recherche de sa construction nationale. En Belgique, les élections du 2 août 1870 donnent une majorité absolue aux Catholiques. Faut-il rappeler que les électeurs inscrits s'élèvent pour tout le pays à 107 099 pour une population de plusieurs millions. Cette démocratie toute particulière a été constituée sur une exigence absolue pour sa reconnaissance internationale : neutralité perpétuelle, armée et garantie. Le pouvoir royal et le pouvoir politique ne peuvent faire autrement que de perpétuer cette neutralité. Les assurances franco-prussiennes pour respecter la neutralité belge sont établies (p.110) et l'Angleterre reste un ferme garant de l'indépendance belge. En quoi, comme l'écrit l'auteur p.112 « la situation internationale met en péril les intérêts vitaux de la Belgique » compte tenu des assurances internationales qui garantissent la neutralité ? Il n'en est rien. Léopold II a profité des événements de 1870 pour s'affirmer seul responsable de la politique militaire en prenant la tête des opérations intérieures et en donnant ses directives au ministre des Affaires étrangères (pp.113 à 116). L'armée passe aux mains de la royauté et le Gouvernement se laisse manipuler. Albert Ier héritera de cette position et prendra la tête de l'armée en 1914-1918. Léopold III accentuera cette position, et...la tête trop près du képi, il y perdra son trône. Les Congolais doivent à Albert Ier de ne pas avoir été réquisitionnés pour le front comme le furent les Sénégalais et autres colonisés « français ».

Ils vinrent de toute part/Sénégalais, Normands,/Corses, Basques, Occitans/Algériens, Savoyards, /Auvergnats ou Bretons/Et quoi qu'il leur en coûte/Tous ont rejoint le front/Petits morts du mois d'août (Dominique Grange, Les lendemains qui saignent).

Ainsi, nous déclarons Albert Ier Roi chevalier pour les Belges et Roi chevaleresque pour les Congolais. L'auteur se trompe en écrivant p.116 : « [...] dans un petit pays indépendant qui n'avait jamais connu de guerre » : il oublie la campagne des dix jours du 2 août 1831 menée par le Roi de Hollande pour récupérer la Belgique. Cette Belgique qui d'après l'auteur « en 1870 est un pays moderne et industrialisé » (p.117). Ce pays n'est industrialisé que dans le Sillon Sambre-et-Meuse, c'est-à-dire une partie de la Wallonie. La Flandre n'a rien de moderne, elle est dominée et arriérée, à part quelques industries très limitées : Gand, Anvers et les filatures, corderies, allumettières, à Zele, Renaix, Saint-Nicolas, Grammont où l'exploitation et la misère est indicible (A travers la Flandre ; A. De Winne, extraits dans La Terre Promise ; P. Verleken , Castor Astral, Bruxelles, 2010 ; pp.269-313 3). « La fabrication et le commerce des armes, c'est son point fort. » (p.117) à Herstal. Et Cockerill, les charbonnages, la verrerie, des points faibles dans la province de Liège et du Hainaut ? « Comment la population Belge voit-elle ses hommes devenus soldats. » (p.118) Si c'est comme l'écrit l'auteur : « chargée d'émotion » (idem), c'est un peu réducteur. De l'émotion, c'est peu dire, quand on sait comment et qui devient soldat. En effet, il n'y a pas de service militaire obligatoire, l'enrôlement s'effectue par tirage au sort chaque année. On peut se faire remplacer moyennant finances par un jeune homme qui accomplira à votre place le service militaire. Ce régime engendre les pires abus : remplaçants forcés, délinquants, miséreux forment la majorité de la troupe. Alors, lorsque l'auteur p.118 décrit le rassemblement des forces militaires dans un climat patriotique au son de la Brabançonne, il entretient une image d'Epinal du fait que le patriotisme au niveau du pays est presque inexistant. Seule la bourgeoisie des grandes villes se sent devenir belge, encore qu'un courant orangiste existe toujours. Les particularismes locaux sont dominants du fait que les moyens de communications ne sont pas encore très développés. L'Etat fonctionne, mais la Nation n'est pas encore formée. Il n'y a pas de conscience nationale. Enfin, qui dit neutralité, fait penser à cette politique de neutralité adoptée en 1936 par Léopold III. Celle de Léopold II est habile et cohérente, il s'appuie sur l'Angleterre - voir sa lettre à la Reine Victoria page 112 - et fait en sorte que « la diplomatie belge à l'égard de la France reste en phase avec celle à l'égard de la Prusse » (p.110). Léopold III ne s'inspirera pas de son grand-oncle, il s'isole de tous en 1936 et pratique une politique incohérente et brouillonne vis-à-vis de la France et de l'Allemagne. Il a beau se revendiquer abusivement de son père pour la conduite de sa politique militaire, elle n'en sera pas moins un fiasco. Il y perdra sa couronne et son képi, ayant préféré celui-ci à celle-là. Vis-à-vis d'Albert I er , ce n'est pas tel père, tel fils, mais quel père et quel fils ! Et vis-à-vis de son grand-oncle, c'est effectivement...un petit...neveu.

Tout ce ci ne nous rendra pas un Léopold II moins opportuniste, sur l'air de Baloji.

Krieg im sicht (1904 - 1908). Le mythe d'un roi francophile (Francis Balace)

Présenter Léopold II en tant que roi moins « militariste » parce qu' : « il use jusqu'à la corde son petit uniforme de lieutenant - général et jusqu'à sa mort, il portera un képi passé de mode. » (p 128), c'est à prendre comme une blague de corps de garde. Car, si nous ouvrons à la page 15, le livre Nous Rois des Belges... 150 ans de monarchie constitutionnelle, édité par le Crédit Communal de Belgique en 1981, nous voyons une photo de Léopold II en grand uniforme rutilant et portant un képi à la mode de l'époque. Cette photo est prise du temps du Bourgmestre de Bruxelles, Emile De Mot 1899-1909 et donc dans les dernières années du règne de Léopold II. Cette présentation n'est donc même pas une anecdote tant prisée par M. Balace, historien truculent, style « Va-t-en-guerre », mais bien un manque de connaissance des habits royaux ! De la page 129 à la page 136, notre...As (sic) de la...Balle (sic) de guerre, Monsieur Balace, nous promène cette fois-ci d'anecdotes puritaines en visites princières colériques, de discussions royales saugrenues en promesses d'annexion et d'alliance continentale. On se croirait à une fête foraine ou le tir aux pipes est . . . roi ! Plus sérieux pour la Belgique est de faire respecter sa neutralité face à une guerre éventuelle franco-allemande. Léopold II insiste pour fortifier la vallée de la Meuse et réaliser : « le grand projet d'Anvers » (p 140) « qui fera d'Anvers le plus grand port du monde et assurera la sécurité indispensable à sa prospérité » (p 141). Ces quelques pages décrivent la politique de Léopold II attaché depuis 1870 à laisser à égale distance la France et l'Allemagne, comme on l'a vu dans le chapitre précédent.

Mais, la conclusion de l'auteur est erronée quand il écrit : « De Léopold II à Léopold III, la politique extérieure et militaire des rois des Belges restera donc « exclusivement et intégralement belge. » » (p 144) Cette politique date de 1936. Léopold II n'a pas d'exclusive, tandis que Léopold III s'exclut d'une alliance franco-britannique et pratique une politique d'exclusivité. Il se retranche ainsi pour des raisons intérieures dans un réduit belgicain. Léopold II, par contre, s'intègre dans un ensemble, Léopold III s'exclut. Sa neutralité pacifiste défaitiste le fige après 1940 dans une position d'isolé dual qui l'exclut aussi bien du camp allié que celui de la collaboration. Les contacts avec l'un sont à Maxima et avec l'autre un peu plus qu'à Minima.Léopold II a tout gagné, Léopold III tout perdu. Ce que le grand spécialiste de la royauté qu'est M. Balace aurait dû signaler. Il est...Bas...l'As.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins militariste, sur l'air de Baloji.

Une plus grande Belgique. Le roi, la Belgique et le monde en 1905 (Michel Dumoulin)

L'auteur reprend p. 148, le discours de Léopold II en 1905 à Anvers que son confrère F. Balace a également présenté (p 140). Leur interprétation diverge, en effet, M. Dumoulin le décrit comme étant une manipulation, tandis que M. Balace le voit comme : « un poids personnel dans la balance » (p 140). Nous constatons, avec l'humour qui nous caractérise, que les ailes Du moulin et les pierres du...Ballast ne sont pas sur la même longueur d'onde. Ces deux zélés manquent de hauteur ! Le plus important en la matière est de prendre la balance et d'évaluer le pourcentage différentiel entre l'un par rapport à l'autre quand il s'agit d'une intervention royale, pour autant que la manipulation ne soit pas également un poids personnel. Il existe peut-être une autre voie qui ne soit pas de garage : celle qui mène au fait que Léopold II joue souverainement des deux.Plus loin, d'après l'auteur, le parti socialiste aurait été coincé entre la liesse populaire (sic) pour célébrer l'anniversaire des 75 ans de la Belgique et le régime monarchique auquel il est opposé (pp. 149 - 150). Faut-il rappeler que ce n'est que le 17 juillet 1905 que la loi sur le repos du dimanche dans les entreprises industrielles et commerciales a été votée ? Voter ne veut pas dire appliquer. Il faut donc que pour qu'il y ait : « liesse populaire », que le patronat décrète, du haut de toute sa puissance, des jours de congé au « populaire ». De plus, à l'époque, il existe un parti républicain - socialiste très actif dans le Borinage avec à sa tête Alfred Defuissaux (voir Les républicains Belges. 1787 - 1914 ; Walter Thibaut. Préface de Victor Larock ; La Renaissance du Livre ; Bruxelles, 1961). « Le 4 juin 88 à Houdeng-Goegnies, lors de l'inauguration par Léopold II de l'ascenseur hydraulique (une imposante construction permettant l'élévation des péniches sur le canal du centre, près de la Louvière). Paul Conreur avait organisé une manifestation antiroyaliste pour accueillir le souverain. Les ouvriers crièrent leur sentiment à l'égard de ce vestige d'ancien régime qu'est la monarchie et qui en Belgique plus que dans tout autre monarchie constitutionnelle, participe à la direction des affaires de l'état possédants sur le fond de marseillaise, les cris « Vive la république ! », « A bas Cobourg ! », « A bas la Cobourgeoisie ! » « Appuyés non moins irrévérencieusement par des jets de pierre ». (Les faces cachées de la monarchie belge ; Contradictions ; N°65-66 ; Toudi N°5 ; p.92 ; 1991) Peut-on rappeler que la République a été proclamée à Virton en 1848 (Le drapeau rouge républicain sur Virton ; Toudi N°10 ; mars 1998)

Dans ce cadre politico-social, même si nous sommes en 1905, « liesse populaire » nous laisse sceptique. Quand, comment et où ? Vandervelde n'a pas attendu 1905 et l'inauguration de l'arcade du cinquantenaire pour dénoncer la politique de Léopold II au Congo (p 150). Un an après l'entrée des députés socialistes au parlement en 1895, il dénonce l'autoritarisme colonial de Léopold II. (E.Vandervelde, le patron. Janet Polasky ; p.50 ; Ed. Labor ; Bruxelles, 1995). Quant au rapport de la commission daté du 30 octobre 1905, le Bulletin officiel le publie, non pas après « quelques semaines encore » (p 150), mais le 5 novembre. (Du sang sur les lianes ; Daniel Van Groenweghe ; p.198 ; Ed Hatier ; 1986). L'inauguration, non pas de « l'arcade du cinquantenaire » mais des arcades, car l'architecte français Charles Girault a modifié les plans originaux, dû à l'architecte Bordiau, décédé, remplaçant notamment l'unique arche prévue, par les trois arches que nous connaissons aujourd'hui, cette inauguration ne se fit pas le 25 septembre 1905 mais bien le 27 septembre 1905 à 11 heures du matin (p.150). (Chronique de la Belgique ; p.768 ; Ed. RTL ; 1987). « Le Roi inaugure sans pompe » (p.150) (pieds nus ?), nous paraît très douteux, car cette réalisation lui tenait beaucoup à cœur et de cœur, il en a beaucoup plus pour lui que pour d'autres...même si son cœur bat fort pour la baronne de Vaughan.

« Le roi a été reçu au pied de l'arcade par quelques-uns des « donateurs » de l'ouvrage puis s'est entretenu avec l'architecte Girault et les artistes chargés de la décoration du monument : MM. Vinçotte, Vanderstappen et Lambeaux. L'entrepreneur général M. Wouter-Dustion, le directeur des carrières du Hainaut, M. Marin, les officiers du génie et une délégation des ouvriers ont également été félicités ». (Chronique de la Belgique ; p.770 ; RTL ; 1987).Cela fait quand même quelques...pontes. Et à 11 heures du matin, il doit y avoir une certaine quantité de spectateurs. De toute façon il y en a assez pour cirer « les grandes pompes » de Léopold II !

Nous avons salué des idoles à trompe/ Des trônes constellés de joyaux lumineux/Des palais ouvragés dont la féerique pompe/ Serait pour vos banquiers un rêve ruineux (Ch.Baudelaire ; Le Voyage)

Les partisans de : « La plus grande Belgique », sur lesquels l'auteur ne nous donne aucun renseignement, s'affirment avec la pose de la première pierre de l'Institut colonial dans le parc de Tervuren. Celle-ci se fait : « en très grande pompe » (p.151). On a pour l'occasion enfin sorti les « pompes » sur une grande échelle ! De Bruxelles à Arlon; de Gand au Limbourg, les fêtes jubilaires ne sont qu'une suite d'images d'Epinal; musique de la Force publique, drapeaux belges et congolais, Brabançonne et Vers l'Avenir (p.152). Pas une seule manifestation hostile ? C'est possible, mais si on quitte les cortèges jubilaires et qu'on s'intéresse aux conditions de travail de la majorité de la population, pas de congés et plus de dix heures de travail par jour, il est donc impossible dans ces conditions de manifester. En ce qui concerne Gand, « le 26/09/1905, reprise du travail après trois mois de grève dans l'industrie textile de Gand. La durée hebdomadaire du travail est ramenée de 66 à 64h30. » (Chronique de la Belgique ; p.768 ; RTL ; 1987). « En 1901, malgré les arrêtés royaux réglementant le travail dans les industries malsaines, il y avait encore des enfants qui travaillaient à la transformation de matières premières destinées à la fabrication de chapeaux » (La Terre Promise ; Pascal Verbeken ; Le Castor Astral ; 2010 ; p.46). Le monde du travail ne peut donc participer à ces fêtes jubilaires. Poursuivant en musique, l'auteur fait jouer les grandes orgues idéologiques... « du capital moral, de la civilisation, de fierté patriotique pour fonder des groupes de pression » (pp.154-156) « qui ne manquent pas une occasion pour célébrer « en grande pompe » (p.156) l'œuvre léopoldienne ». A force d'utiliser l'expression « en grande pompe » on peut se demander si, à la suite d'autres, l'auteur ne cire pas un peu trop les pompes de Léopold II ! Le président de la fédération pour la défense des intérêts Belges à l'étranger déclare : « [...] défricher pour le moissonner plus tard, le champ fécond ouvert à notre activité par le génie de Léopold II » (p.156). Tout fait farine Du...moulin! C'est du pain béni ! A noter que, s'il y a défense, on peut se demander qui attaque ? Cette défense, ce n'est pas l'exploitation, défricher ; ce n'est pas le travail forcé, moissonner ; ce n'est pas s'accaparer, et tout ça par le génie de Léopold II. Ce n'est surtout pas le résultat de l'ambition prédatrice léopoldienne en tant que souveraineté absolue. Non tout ça fait partie de l'œuvre civilisatrice. Mais où sont les Congolais dans cette nomenclature...pompeuse ?

De la page 157 à la page 160, c'est une suite de formation de ligues, de fédérations, de syndicats industriels, de sociétés qui ont pour mission : « de grandir le patrimoine matériel et moral de notre pays à l'extérieur des frontières » (p.159) pour mieux...anéantir le patrimoine matériel et moral intérieur des Congolais. Les sportifs et les artistes sont mobilisés pour « une plus grande Belgique » (p.160). Un médaillé de quatre olympiades, Paul Anspach, n'hésite pas à écrire: « [...] par la pratique du sport, qui contribue grandement à l'expansion mondiale d'une race. » (p.160) La race (sic) expansive ne peut être que blanche. Que cette idéologie ait été déployée à l'époque pour camoufler la violence, la cupidité, c'est pour le moins intellectuellement affligeant, mais qu'un historien reproduise aujourd'hui textuellement sans aucune distance et encore moins de critique, avalisant ainsi des concepts où l'humanisme le plus élémentaire est complètement absent, c'est à se demander si l'évolution des mentalités atteindra les historiens.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II plus humaniste, sur l'air de Baloji.

La religion du prince : Léopold II, le Vatican, la Belgique et le Congo (1855 - 2909) (Vincent Viaene)

Ce n'est pas la religion du prince qui est relaté dans ces pages, c'eût été difficile vu qu'il n'en était pas un fidèle (!), mais la position du prince face au poids du Vatican dans la politique belge (p.165). Léopold II pose tous les gestes nécessaires pour que le Vatican soit son allié dans son entreprise coloniale. Le Vatican sait qu'il n'avait pas personnellement la foi. (p.168) Peu importe la foi pourvu qu'on ait foi dans les entreprises coloniales. Il y eut quelques discordes (pp .170-179) mais les deux partenaires ont trop besoin l'un de l'autre pour effectuer une rupture.Le Vatican est un des alliés les plus fidèles de Léopold II. Il fallait : « accroître la famille de Notre Seigneur Jésus-Christ au Congo » (p.181), civiliser les sauvages, leur inculquer l'indispensable ardeur au travail. » La collusion entre Léopold II et l'Eglise catholique est claire dans nombre d'écrits . Du R.P. De Deken : « Dans l'œuvre de la civilisation du Congo, la croix et l'épée sont des alliées naturelles » Du R.P. Cambier : « Le rôle des Belges au Congo est semblable au drapeau national. Le rouge - couleur de sang - symbolise la force armée, le jaune signifie l'or, le commerce, le noir, c'est la soutane, la mission. » Du R.P. Dieu : « L'idéal du soldat et celui du prêtre missionnaire se ressemblent et entre leurs psychologies il y a comme une harmonie préétablie » (Le Congo de Léopold II ; Michel Massoz ; 1989 ; pp.412-413). L'Eglise catholique est donc bien sur la même longueur colonialiste et même largeur spiritualiste que le souverain du Congo et ses « valeurs civilisatrices ». Elle oublie ainsi une de ses valeurs qu'elle ne cesse de proclamer Urbi et Orbi : l'amour du prochain. Les Congolais n'en font pas partie, si ce n'est qu'après avoir été « évangélisés ». « Les missionnaires se voyaient encore et toujours confier la charge de collaborer étroitement avec l'État » (p.185). C'est clair comme de l'eau bénite. Le rapport de la commission d'enquête fin 1905, suite à la dénonciation des abus par Casement et Morel à partir de 1903, suivi de la campagne humanitaire internationale contre la politique de Léopold II au Congo ne fit qu'accentuer la solidarité entre le souverain catholique et la papauté qui fut « sinon l'unique instance morale dirigeante à soutenir encore le Roi » (p.186). Rome fut aussi favorable à l'annexion du Congo par la Belgique en 1908. L'auteur conclut son article par une boutade, « il semble que le Pape ait fini par devenir plus « léopoldien » que le roi » (p.189) ! Faut-il en rire ? Terminer ce chapitre par une boutade, qui ne fera rire que les boutefeux ignorants, sans souligner l'indécence - et le mot est faible -, de la collusion entre le pouvoir spirituel et le pouvoir absolu d'un chef d'État, sans soulever la contradiction entre un roi chrétien pour l'image et païen pour le concubinage, c'est manquer à l'élémentaire éclairage qu'on peut demander à un historien contemporain ou...comptant pour rien. Pour conclure, ce supporter papiste aurait pu nous renseigner sur la source de l'esprit colonialiste de l'Eglise. Elle se trouve dans la Genèse, chapitre IX, page 25, où Noé maudit un de ses fils, Cham dans sa descendance (cananéens) pour son irrévérence envers son père.

Maudit soit Chanaan ! Qu'il soit l'esclavage des esclaves de ses frères ! Que le seigneur, de dieu de Sem soit béni et que Chanaan soit l'esclave de Sem.Que Dieu multiplie la postérité de Japhet. Qu'il habite les tentes de Sem et que Chanaan soit son esclave » (cité par P. Raingeard de la Bletière, Maudit soit Chanaan , Ed. Opera ; 2008 ; p.194.).

Ce texte servira de justification à l'Eglise pour appliquer cette malédiction en Afrique. Il y a de quoi maudire Noé non?

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins « cléricaliste », sur l'air de Baloji.

Contextes africains du projet colonial de Léopold II. (Jean Luc Vellut)

Il faut lire et relire le début de cette intervention : « Une histoire est incomplète lorsqu'elle ne prend pas en compte certains acteurs du passé. C'est souvent le cas de l'historiographie de l'entreprise coloniale de Léopold II. Avec un degré croissant de l'information et de précision, les historiens ont en effet exploré les contextes tant personnels que belges et diplomatique du projet colonial du Roi. » (p.191) Pas un mot sur « les acteurs du passé » que sont les Congolais ! Eux ne sont pas acteurs mais « fugueurs » de l'historiographie officielle. Autant, quand ils le pouvaient ils ont pris la fuite face aux colonisateurs, autant les historiens les fuient en tant qu'acteurs.Sur sa lancée, l'auteur valide la ligne historique « sans Léopold II, pas de Congo » (p.194) comme si le Congo n'existait pas avant Léopold II. Plus de 200 pages traitent du Congo avant Léopold II dans L'Histoire générale du Congo de Isidore Ndaywel è Nziem ; Editions Duculot ; 1998, historien participant au colloque, et il n'est pas le seul à avoir écrit sur le Congo avant Léopold II. De plus, l'expansion colonialiste de l'époque s'étend à toute l'Afrique. Même sans Léopold II, il y aurait eu un Congo ! D'autres étaient aux aguets. « Je crois que le moment est venu de nous étendre au dehors, je crois qu'il ne faut pas perdre de temps sous peine de voir les meilleures positions, rares déjà, successivement occupées par des nations plus entreprenantes que la nôtre. » (Léopold II - Pensées et réflexion ; G.H.Dumont ; L'amitié par le livre ; Bruxelles, 1948 ; p.37). Il s'agit d'aller à la chasse, sinon on perdra sa place. Sur les trois pages et demies suivantes l'auteur s'étend sur l'Afrique pré-moderne.

Cette Afrique se caractérise évidemment par des bandes armées multi ethniques (p.196), des luttes fratricides (p.197), les bandes armées des entrepreneurs privés esclavagistes (p.198). Pour les colonialistes, il n'y avait que cela, exclusivité mondiale. A croire que l'enfer de Dante existait là ! Même Stanley n'est pas aussi unilatéral. « Nous campons sur la route des caravanes à Congola-Lemba où j'avais vu dans le temps un florissant village. Son chef alors en pleine prospérité était le maître incontesté du district. » ( H.Stanley ; Dans les Ténèbres de l'Afrique ; Hachette ; Paris ; 1890 ; T I et T II). De même Michel Massoz écrit : « Or ces populations regroupées en clans et tribus ont comme toutes les autres, leurs problèmes de coexistence et la délimitation des terres ainsi que le rapt et la possession des femmes sont des sujets permanents d'affrontements. J'évite le mot guerre car vous le savez déjà, entre Africains ce sont plutôt des ''guéguerres'' qui la plupart du temps, sont, fort, intelligemment stoppées dès que les premières victimes permettent aux belligérants de croire que leur honneur est sauf. » (op.cit.)Ah, si les Européens avaient pu 'inspirer des « guéguerres » africaines ! « Les signes extérieurs de civilisation n'apparaissent qu'à partir de Khartoum » (p.196) Et les signes intérieurs de civilisation, ils sont où ? Dans les armes des colonialistes ? En tout cas, dans cette période pré moderne, l'art dit « nègre » n'existe pas ? Heureusement que les Picasso, Leiris, Breton et autres vont le découvrir dans l'Afrique moderne car sans lui le musée de Tervuren, et combien d'autres, seraient restés vides ! (Voir plus loin sur l'art dit « nègre ») L'auteur invente un néologisme : L'afromanie qui entre dans l'univers des rêves coloniaux de Léopold II 1875 - 1876 (p.200). Il aurait dû l'intituler : l'affreuse manie de Léopold II au lieu de l'afromanie. Cette page 200 est un modèle de faire-valoir usé jusqu'à la corde lorsqu'il est question de « Corps - francs » d'esprit « occidental conquérant », d'avoir « soudoyé le personnel ». Appliquées par d'autres, ces « valeurs » seraient totalement condamnées. La communication léopoldienne s'inscrit dans « l'air du temps » qui souffle pour « la rédemption de l'Afrique par les progrès » (p.201). On peut douter que les Congolais sentent le vent de la « rédemption ». La conquête est « une entreprise, une visée géopolitique d'alliances locales » ( p.201). Ce vocable académique camoufle la réalité puisqu'il s'agit des « campagnes militaires qui dévastèrent le pays : campagnes contre les Arabes, contre les mutins de l'armée, contre les rebelles du Kasaï et maintes opérations mineurs destinées à soumettre l'entièreté du territoire et à réprimer les inévitables révoltes » (Du sang sur les lianes, Léopold II et son Congo ; Daniel Van Groenweghe ; Hatier ; 1986, p.11). Si à Bruxelles, Léopold II marque à coups de crayon les limites du territoire de l'A.I.C (p.202) sur place Stanley le faisait à coups de...canons !« Choyés par l'État, les « Bangalas fournirent les premières recrues locales » (p.203). « Son 31e combat, Stanley le livre contre des tribus bangalas le 14 février 1877 » (Du sang sur les lianes, Léopold II et son Congo. ; Daniel Van Groenweghe ; Hatier ; Bruxelles, 1986 ; p.16). Ces Bangalas furent recrutés de force comme beaucoup d'autres pour constituer la force publique, et les rébellions de la force publique furent nombreuses : révolte de Luluabourg, révolte de la colonne Dhanis, révolte de Skinkakasa qui préfigurent celle de 1960. (La révolte de Luluabourg ; Chapitre 21 ; Le Congo de Léopold ; M.Massoz, déjà cité).« Ne vous gênez pas pour mettre de force la main sur les hommes » (Lettre du secrétaire d'État à l'intérieur, M. Van Eetvelde au gouverneur Wahis ; le 4/4/92). « L'exploitation du caoutchouc s'exerça au prix d'un système d'imposition et d'exactions. Ici encore celles-ci furent imputables aux milices. » (p.206) « Le directeur anversois, le gouverneur général (L'État ne possède-t-il pas la moitié des actions de l'ABIR) et Léopold II, insistent sans cesse sur une augmentation de la production. » (Du sang sur les lianes, Léopold II et son Congo ; Daniel Van Groenweghe ; Hatier ; 1986 ; p.98). « [...] j'ai compris pourquoi tant d'écrivains et d'historiens n'ont jamais écrit la vraie histoire du Congo de Léopold II : elle est parfaitement démentielle et inhumaine lorsqu'on arrive à l'exploitation du caoutchouc. Le carnet de Charles Lemaire confirme toutes ces exactions : "c'est ainsi que mon éducation africaine commença dans les coups de fusil et de canons. Dans les incendies de villages à mettre à la raison, en un mot dans l'abus et le surabus de la force avec tous ses excès." » (Le Congo de Léopold II, Récit historique ; Michel Massoz ; 1989 ; p.450, p.462, p.463). « Au cours d'un voyage je ne traversai pas moins de 45 villages qui avaient été totalement brûlés et 28 villages entièrement désertés à cause de la campagne du caoutchouc. » (Du sang sur les lianes ; Daniel Van Groenwerghe ; Hatier ; Bruxelles, 1986 ; p.66) - récits de Sjoblom, missionnaire suédois. En plus des clichés éculés sur les valeurs du colonialisme, M. J.L Vellut propose un . . . velouté garni de ''passez muscade'' sur l'entreprise militaire au Congo.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins « afromaniaque », sur l'air de Baloji.

L'État indépendant du Congo face aux campagnes anti congolaises (Pierre-Luc Plasman)

« Devant la polémique, la pratique de l'historien obligé à écarter du revers de la main aussi bien l'image de bourreau que celle du grand philanthrope... » (p.209) Pas de Pol...émique, mais du Léo...Pol anémique. En conséquences : « Les auteurs des atrocités infligées aux victimes de la conquête et de la colonisation de la fin du XVe siècle à nos jours ne seront pas appelés "bourreaux". Les manuels d'histoire les décriront comme des hommes "ambitieux" qu'on qualifiera à la limite de cupides. Les définir comme bourreaux, bêtes immondes, ou monstres, est exclu. » (La férocité blanche ; Rosa Amélia Plumelle-Uribe ; Albin Michel ; 2001 ; p.26). M. Plasman ouvre une troisième voie, ni bourreaux ni philanthropes, celle qui mène entre Charybde et Scylla'' pour noyer le poisson. « Il y a des abus et des faits regrettables dans toutes œuvre humaine » (p.210)

Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ; /Nous nous faisons payer grassement nos aveux, /Et nous rentrons gaîment dans le chemin boueux, /Croyant par de vils pleurs laver toutes nos tâches. (Ch. Baudelaire, Les fleurs du Mal).

Voyons cette œuvre humaine ! « [...] un des grands de l'époque héroïque, Francis Dhanis qui s'allie en 1892 au chef Ngongo Leteta » (p.211) fait partie de cette œuvre humaine qui : « sur le terrain sont des combats sanglants commandés par Dhanis » (Histoire générale du Congo ; Isidore Ndaywel è Nziem ; Editions Duculot ; Gembloux, 1998 ; p.290) « Quant au chef Ngongo Leteta, il fait partie de l'une des pages les plus sombres de cette histoire de conquête » ( Ibid. p.297). Ngongo Leteta fut exécuté le 15/09/1893. « L'État s'est empressé de se débarrasser de cet homme gênant, vu qu'il ne lui était plus utile. » (Ibidem) Ngongo Ngongo Leteta avait combattu les Arabes aux côtés des militaires belges, avec promesse d'être délivré de l'esclavage. Cette promesse ne fut pas tenue et Ngongo Leteta exigeait qu'elle le soit. (Le Congo de Léopold II ; Michel Massoz ; 1989 ; p.373). Les agissements de Lothaire dans l'affaire Charles Stokes méritent plus que deux lignes (p.211). Jules Marchal y consacre des dizaines de pages dans le tome 2 de son livre : L'État libre du Congo : Paradis Perdu : Editions Paula Bellings. Monsieur Plasman ignore-t-il l'existence de ces livres ? Le gouverneur Wahis écrit de lui : « j'ai déjà dit que c'est un homme dangereux. Je suis loin de changer d'avis » (L'État libre du Congo : Paradis Perdu ; J Marchal ; Ed. Paula Bellings ; p.106). Monsieur Plasman estime que la lettre de Léopold II aux agents de l'État contient des « intentions louables » (p.214). Or Léopold II écrit : « [...] Il faut soumettre les populations ... lois nouvelles ... travail,... être ferme... pays barbares... etc. » (p.214) Malgré les injonctions de Léopold II pour que « ces turpitudes cessent » (p.215), les responsables des atrocités sont systématiquement acquittés, Fievez, Lothaire... (p.215) Il y a des turpitudes, mais aucun agent n'est condamné !

En 1903, Léopold II doit organiser la défense de l'E.I.C. La pression vient aussi bien de l'extérieur, surtout de l'Angleterre et de l'intérieur, intervention à la Chambre d'Emile Vandervelde leader socialiste et de Georges Lorand député libéral de Neufchâteau - Virton qui demande instamment au Parlement de condamner les actes de cruauté des agents coloniaux pour empêcher le renouvellement des faits qui constitueraient selon ses termes : « un outrage à l'humanité et à la civilisation » Vandervelde soutient la résolution de Lorand (Emile Vandervelde, le Patron ; Ed. Labor ; Janet Polasky ; 1995 ; p.52). La fédération pour la défense des intérêts belges est fondée et un haut commissaire royal est nommé en la personne de Justin Malfeyt dont le monument orne (sic) le parc d'Ostende. D'après l'auteur : « ce choix est des plus judicieux, car il est un l'un des rares fonctionnaires apprécié des missionnaires protestants » (p.217). A noter que pour M. Plasman le prénom de M. Malfeyt est Justin, pour M. Van Groenweghe c'est Julien (op.cit.; p.207) Quel est le...just'hein, Julien ou Justin ? Allez savoir ! Choix judicieux pour examiner « les revendications indigènes »? (p.217) A force d'entendre « indigène, indigène, indigène » pour stigmatiser les Africains, on oublie l'étymologie du mot. Indigène : « né dans le pays qu'il habite ». Il y a donc beaucoup d'indigènes en Belgique ! De même, aborigène, est toujours réservé à l'Australie. Or, aborigène : « qui habite depuis les origines, les pays où il habite. » Donc il y a aussi des aborigènes en Belgique ! « Malfeyt durant son long règne à Stanleyville de 1898 à 1903... et ses subordonnés n'ont cessé de livrer à Grisou des enfants qu'il kidnappaient lors de leurs expéditions punitives » (J.Marchal, op.cit). Grisou est le supérieur de la mission. Si le rapport de Malfeyt dénonce le système d'exploitation de caoutchouc, il sert d'alibi puisqu'il dénonce des subalternes et fait traîner les choses : « Il s'agissait, en fait, de gagner quelques mois pendant lesquels aucun changement ne pourrait être effectué. » (Le crime du Congo ; A.C. Doyle ; Ed. La mesure du possible ; 2005 ; pp.140-141). Ce Haut commissaire royal aurait dû être inculpé par un commissaire autre que royal !

A l'extérieur, l'Angleterre maintient sa pression pour le respect de l'indigène et la liberté du commerce. Le rapport de Casernent est publié et l'E.I.C. se sent obligé de nommer une commission d'enquête composée de trois commissaires : un avocat général de Bruxelles, c'est-à-dire un défenseur de l'État, un magistrat employé de l'E.I.C. à Boma, et un chef du département de la justice de Lucerne. Un Suisse, cela fait toujours bien dans le décor ! Aucun chef coutumier n'est jugé digne d'y figurer. Qu'allez-vous penser là ! Ces trois juristes du pouvoir sont présentés par l'auteur en tant que : « sûrs garants de l'impartialité absolue de l'enquête » (p.218). C'est un peu fort de . . . caoutchouc, non? Ils font tous parties de l'appareil d'Etat. C'est comme si vous nommiez trois chefs de la mafia pour enquêter sur le trafic de drogues. D'octobre 1904 à février 1905, la commission passe de ville en ville assez rapidement. Elle n'enquête ni en brousse, ni dans les villages. Sept mois après son retour, elle publie le rapport de 150 pages, à l'exception des procès-verbaux des séances qui ne seront jamais publiés par elle. Or, ces procès verbaux contiennent les témoignages des atrocités. 4 Le rapport en question débute par la description de la barbarie qui régnait . . . avant l'arrivée des Blancs (!), et s'émerveille des changements intervenus depuis Stanley, puis explique que « l'indigène n'a pas la même notion de la vérité que nous, qu'il faut rétablir la liberté de circulation, de commerce, introduire la paiement en argent dans tout le Congo et que l'impôt en travail doit être proportionnel aux bienfaits (!) que le contribuable en retire » (p.223). Langue de bois et feuillu de promesses ! Les trois mag(e)...istrats sont obligés de reconnaître les coercitions, de constater la dépopulation du Bas-Congo, l'imposition en animaux, la récolte forcée de caoutchouc, les arrestations arbitraires des femmes pour contraindre les hommes à la récolte, l'emploi de la chicotte, et autres sévices, les mains coupées, les missions animées de l'esprit de lucre (pp.223-224). En bas de la page 223, au sujet de la dépopulation, l'auteur tire argument « qu'il est difficile d'avancer un quelconque pourcentage de dépopulation parce que les chiffres disponibles sont ceux des groupes restreints d'européens. Il n'existe donc aucun fondement scientifique à l'affirmation que la moitié de la population a été fauchée par l'exploitation du caoutchouc. » On ne peut se satisfaire d'une position si peu « scientifique », parce qu'il n'existe que des chiffres des Européens, on ne peut chiffrer les Congolais morts ! On ne rêve pas !

Des chiffres de Congolais morts, il y en a, en voici : « En 1971, Julien Weverbergh dans son livre La plus grande affaire de Léopold de Saxe-Coboug ; Ed. Paris Manteau-Amsterdam-Brussel ; publie les statistiques suivantes : « La population de la région de Bokongo : 50.000 habitants en 1890, moins de 5000 en 1903. A Bolobo 40.000 en 1887, 8.000 en 1903 sur la côte méridionale de Stanley Pool, 5000 en 1887 et 500 à peine en 1903. » (Léopold II, La folie des grandeurs ; Lucas Catherine ; Ed. Luc Pire ; 2004 ; p.51). « Les témoignages à propos des Ekonda, les rapports de Scrivener ainsi que d'autres sources concernant les Bassengele, une tribu voisine des Ekonda, et les données recueillies au sujet des Bolia font apparaître qu'un véritable holocauste a disséminé ces populations qui, toutes proportions gardées, aura dépassé celui des Juifs lors de la deuxième guerre Mondiale. La population de ces trois tribus a été pour le moins réduite de moitié, il est probable qu'il ne restait en 1910 que 30 ou tout au plus 40 pour cent de la population de 1898 » (Du sang sur les lianes, Léopold II et son Congo ; Daniel Van Groenweghe ; p.235 ; Ed. Hatier ; 1986). « Entre 1880 et 1908, environ 13 millions de vies humaines furent détruites, lourd tribut d'accès à la colonisation. Il ne s'agit encore que d'un préliminaire car l'âge colonial proprement dit causera également des pertes. » (L'histoire générale du Congo de Isidore Ndaywel è Nziem ; p.344 ; Editions Duculot ; 1998) « Entre la découverte du Congo par Stanley en 1877 et la fin de l'Etat indépendant du Congo en 1908, le Congo a subi un formidable dépeuplement. Il me paraît donc que le chiffre de 12 millions est fort acceptable pour l'année 1908 à la fin de l'occupation de l'E.I.C. » (Le Congo de Léopold II ; Michel Massoz ; 1989 ; p.54) « En fait, l'horreur n'est pas dans l'exactitude du chiffre lui-même mais dans le fait que l'on doive compter par millions ! » (Ibid., p.576) « MM. Augonar, Delcommune, le Rd Grenfell, Braun dénoncent les millions de morts. » (Ibidem) En 1919, une commission belge estime que la population indigène a été réduite de moitié et en 1920, pour reprendre le terme de l'auteur - population fauchée - le major Liebrechts écrit : « La moitié de la population totale du Congo a été fauchée » (Ibidem) « L'entreprise du roi Léopold au Congo aura coûté a ce pays une perte de population estimée à 10 millions de personnes. » (La férocité blanche ; déjà cité ; p.114) Tous ces chiffres ne sont évidemment « pas scientifiques » ? C'est de la science-fiction ? Le rapport a surtout souligné la responsabilité des subalternes, sentinelles et autres collaborateurs des Blancs. La collaboration est le produit de la domination et ne permettant pas la publication des annexes, Léopold II joue la vierge effarouchée et promet de mettre fin aux abus, puisque ceux-ci n'ont jamais été ordonnés d'en-haut d'après le rapport.Cette version oublie le fait que Léopold II est le monarque absolu de l'E.I.C., il est donc absolument responsable de ce qu'il s'y passe.

Aussi : « Faire peser toute la culpabilité sur le monarque absolu relève d'une vision manichéenne, finalement trop simpliste. » (p.225) Le manichéisme - opposition entre le bien et le mal - n'a rien à voir avec l'histoire pas plus que monarque absolu avec simplisme. Léopold II n'est pas coupable il est un acteur sur la scène de l'histoire, il « joue » son rôle de souverain absolu et son rôle doit être « examinable ». « La gouvernance de Léopold II ne se comprend qu'à la lumière de la personnalité du roi. Dans certains domaines, Léopold II juge que l'exercice des prérogatives est exclusif. Cette opinion est d'autant plus vraie pour le Congo considéré comme son œuvre. » Qui écrit cela, p. 226 ? M. Pierre-Luc Plasman, qui refuse p. 225 « la culpabilité sur le monarque absolu » Vous avez dit : cohérence ?

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins « personnalisable », sur l'air de Baloji.

Léopold II sous les coups de crayon (1865 - 1909) (Laurence Van Ypersele)

L'auteure vérifie hélas ce que son confrère Jan Vandersmissen, p.85, dénonce, à savoir que : « les historiens contemporains éprouvent toutes les peines du monde à se détacher de la personnalité fort charismatique que fut Léopold II puisqu'elle écrit « des clichés surnagent », « la Belgique n'est jamais parvenue à commémorer dignement la mémoire de ce géant. » (p.227). La commémoration sera géante ou ne sera pas ! « Touche pas à mon Roi », telle est la devise de L. Van Ypersele qui écrit : « les moyens utilisés par la caricature sont l'ironie, la laideur graphique, les simplifications outrancières et bien souvent la mauvaise foi » (p.227). Madame ne fait pas dans la dentelle ! Elle ignore que le caricaturiste est à mi-chemin entre le bouffon et le poète, que sa fonction est dans l'outrance, l'impertinence, l'irrévérence pour faire rire, peu importe le personnage. La caricature n'est pas un « miroir déformant » (p.228) mais un promontoire amplifiant, la preuve : « Tantôt il [le Roi] n'est qu'un pantin, actionné par les ministres, tantôt ce sont les ministres qui ne sont que des marionnettes aux mains du roi » (p.230). Le caricaturiste n'a que faire de la cohérence que Mme Van Ypersele souhaite, il ne serait pas caricaturiste mais propagandiste. Léopold II et ses ministres, catholiques et libéraux, sont les cibles, quoi de plus normal ! Si, au sujet du Congo, « quelques caricatures attaquent le souverain personnellement » (p.244), c'est évidemment parce que l'E.I.C. est la propriété personnelle de Léopold II. Il n'est pas étonnant que « quelques caricatures quasiment toutes publiées dans des feuilles socialistes, se permettent de dénoncer les atrocités congolaises. » (p.244) « Ces images résumeront pratiquement toute la personne de Léopold II pour très longtemps » (p.246). Et Mme Van Ypersele réfute « ces images résumées » en s'appuyant sur le livre de son compère M. Dumoulin: Léopold II un roi génocidaire ? ; Bruxelles ; Académie royale de Belgique ; 2005. Il se fait que nous avons analysé le livre et sa critique parue dans le n°73 de la revue Toudi 5. Le roi génocidaire a effectivement bien vécu . . . et ce dans tous les sens (!) du terme. Mme Van Ypersele conclut p.247 : « Au fond, la Belgique a mal à son roi. » L'inverse est plus vrai. C'est Léopold qui a eu du mal avec la Belgique, sans parler du Congo. « Il faut constamment cravacher les Belges pour obtenir quelques progrès. Ils n'aiment pas cela et se rebiffent alors. » « Les pires ennemis de la Belgique sont les Belges. La Belgique est le pays du dénigrement. On se dispute trop. Il n'a pas de patriotisme, on se mange les uns les autres. » (Léopold II, Pensées et réflexions ; G.H. Dumont l'amitié par le livre ; Bruxelles 1948 ; p.21)

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins caricaturé, sur l'air de Bajoli.

Léopold II ou la figure de l'absent dans les discours officiels (Valérie Rosoux)

Y aurait-il un « décalage entre mémoire officielle et mémoires vives ? » (p.251) On n'ose y croire! Et en plus de cet éventuel décalage l'auteure avance que sur 1200 discours officiels prononcés de 1960 à nos jours « très peu de textes renvoient à la figure de Léopold II » (p.252) N'est-ce pas normal puisque le Congo est indépendant et que la Belgique a d'autres rois à imager. Si l'auteure cite quelques extraits du discours de Baudoin, du 30 juin 1960 (p.253) sans souligner son contenu déphasé à la limite de l'incantation et la réponse improvisée de Lumumba, atténuée quelques heures plus tard, elle ne souligne pas suffisamment l'importance de ces deux discours, puisqu'ils reflètent les décisions qui allaient être prises de part et d'autres après le 30 juin 1960 : encadrer le Congo d'une part, affirmer son indépendance d'autre part, soit les bases du conflit majeur de l'après 30 juin. L'auteure reprend une intervention d'un parlementaire p. 256 qui déclare que « La fortune des Saxe-Cobourg a commencé à se constituer sous Léopold II. » La famille royale doit bel et bien sa fortune au Congo et la façon scandaleuse dont elle a été acquise est un fait historique. « Il faut préciser que le Congo n'a fait qu'augmenter la fortune des Saxe-Cobourg. Léopold I avait déjà... veillé au grain.

En effet, en 1810, le prince Léopold de Saxe-Cobourg n'a pas de fortune, son père ayant été ruiné par l'occupation napoléonienne. De 1831 à sa mort Léopold Ier s'implique financièrement dans les affaires. A sa mort, il dispose d'une fortune de +/- 50 millions de francs or (Contradictions n°23-24, article de W. De Bock, p.81 à 121) 6. Les Saxe-Cobourg continueront à s'intéresser aux affaires et leur fortune ne fera qu'augmenter sauf pendant quelque temps sous Albert Ier qui avait trop investi dans l'empire Kreuger mais M. De Launoit le sauvera et deviendra le Baron de Launoit. (Les finances de la dynastie : Le Baron de Launoit contre la Société générale ; W. De Bock ; Les plus belles années d'une génération ; p.110, Ed. EPO ; 1976). Faire le tri de la figure de Léopold II et des évènements entre positif, négatif et neutre (p.257-260) est une tentative de mettre l'étouffoir sur toute la recherche scientifique qui, à notre avis n'est pas une gare de triage. Ça balance entre « génie hardi, tâche civilisatrice et erreurs et limites » C'est un système global qu'on doit analyser. On peut s'étonner du fait que la commission Lumumba soit citée sans en relever l'origine qui est le livre de Ludo De Witte L'assassinat de Lumumba paru en septembre 1999 aux éditions Karthala. L'interpellation développée le 8 décembre 1999 en commission des relations extérieures est donc une conséquence du livre de Ludo De Witte. Celui-ci formulant l'hypothèse de la responsabilité de la Belgique dans l'assassinat en janvier 1961 du Premier ministre de la République du Congo.Le nom de Ludo De Witte est d'ailleurs imprimé dans l'introduction p.13 du rapport de l'enquête parlementaire volume 1 du 16 novembre 2001. Reprendre la langue de bois d'Armand De Decker et les envolées affairistes d'Henri Simonet (p.261) ne suscitent pas un intérêt considérable. Ces citations à sens unique sont obsolètes tant qu'elles ne sont pas confrontées à d'autres. Et cela continue avec les rodomontades de Louis Michel sur le film de Peter Bate, Le Roi blanc, le Caoutchouc rouge, la Mort noire, alors qu'à l'époque il a avoué n'avoir visionné qu'une partie du film. « Il est utile de dresser un parallèle entre la figure de Léopold II et celle de Napoléon » (p.273) Et comment ! Pas du tout comme l'auteure l'effectue pour le nombre de références de l'un et de l'autre dans les manuels pour doser leur célébrité, mais plutôt pour le nombre de sentences de morts décidé par ces personnages, l'un par le travail forcé et l'autre par l'esclavage. A chaque page de sa contribution, l'auteure n'a de cesse de produire des extraits des discours officiels. On a rarement lu des extraits des discours opposés. La mémoire officielle est donc toujours mieux nourrie.

Primo Levi a proclamé : « Le devoir de mémoire » comme démarche nécessaire aussi bien pour les victimes que pour les bourreaux. On en est loin, alors que l'objet de cette intervention a pour but : « [...] de repérer les éventuels décalages entre mémoire officielle et mémoires vives » (p.251). Le décalage n'a pas été démontré, aux lecteurs de le décrypter.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins décalé, sur l'air de Baloji.

Le roi colonisateur à l'école : Portrait ambivalent d'un anti-héros (Stéphane Planche)

Le manuel scolaire : « lieu de mémoire à part entière, situé au croisement de la mémoire officielle et de la mémoire vive. » (p.269). Qu'est ce que c'est qu'un lieu de mémoire à part entière ? Et il y aurait dans ce lieu un carrefour d'officiel et de vive? Dans ce brouillamini, il est à craindre nombre de télescopages. Le manuel scolaire a une fonction officielle qui est de former les esprits à « un récit de la nation » (p.270). Par rapport à l'histoire réelle, il ne peut s'agir que de stéréotypes. La preuve : « Le manuel scolaire étant par nature dépositaire d'une version simplifiée du passé. » (p.272) D'abord, nous ignorions que le manuel scolaire avait une « nature », nous pensions qu'il était un objet de culture, ensuite version simplifiée égale réduction et donc choix de clichés. Les pages suivantes (pp.272-276) ne font que confirmer la figure de Léopold II qui domine dans les manuels scolaires relève de ces clichés : « œuvre civilisatrice, récit héroïque, merveilleux cadeau, etc. » jusque dans les années 1990. Et cela fait plus d'un siècle que cela dure : « [...] commencent à se faire sentir dans certains manuels francophones, les signes d'une sortie du mythe... » (p.275) Nous insistons sur « se faire sentir » et « les signes ». Ce n'est pas un vent fort ni un ouragan et pourtant, après 20 ans de ce léger vent contraire. « La mémoire scolaire de la colonisation est désormais « saturée » de références aux atrocités congolaises et succède donc une phase d'hypermnésie par rapport aux crimes coloniaux. » (pp.276 - 277) Trop beau tableau pendant plus d'un siècle dans les manuels scolaires, il y a des signes de sortir du mythe, ceux-ci deviennent « hypermnésie ». N'y a-t-il pas là un hyper déséquilibre? Mais il faut sauver . . . l'homme à la barbe blanche ! « [...] une sorte d'acharnement se déploie dans le contre-mythe suite aux « révélations » d'A.Hochschild, (pp.277-278) on en arriverait même à une « diabolisation » (p.278).

D'abord A. Hochschild n'a rien révélé, il n'est ni prophète, ni père de l'Eglise mais historien, ensuite il vient après de dizaines d'autres historiens qui ont analysés le colonialisme (voir bibliographie). Au banquet de l'histoire, si on comprend bien l'auteur, mythe et contre-mythe sont des nourritures indigestes. Il faut trouver une approche plus « historienne » et donc plus « scientifique » des faits. (p.278) C'est la troisième voie, celle de son collègue, P.-L. Plasman. La ficelle ne s'use entre historiens que quand ils ne s'en servent pas.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins mythique, sur l'air de Baloji.

Le Roi descendu de son piédestal. Le Soliloque du Roi Léopold (Véronique Bragard)

Le Soliloque du Roi Léopold de Mark Twain est d'emblée taxé de satire « grotesque » (p.285). La grosse artillerie est de sortie...aux abris. N'est ce pas un tantinet...grotesque de commencer ainsi une intervention à un colloque historique plutôt qu'en faire un conclusion après l'avoir démontré ? Libre à chacun de ne pas apprécier le Soliloque de Mark Twain mais il est loin d'être grotesque. De plus, l'historienne se trompe lorsqu'elle le taxe de satire. Il s'agit d'un pamphlet, elle n'a pas lu la première phrase du Soliloque : « Le roi jette les pamphlets qu'il vient de lire » (Le soliloque du roi Léopold, M Twain, Ed. L'Harmattan, 2004, p.5). Mais qui est Mark Twain ? Mark Twain est le nom de plume de Samuel Langborne Clemens. E. Hemmingway a dit que « toute la littérature moderne découle des romans de Mark Twain ». Bernard Shaw l'a présenté comme « de loin », le plus grand écrivain américain. Aux États-Unis, les intellectuels progressistes le comparent à Voltaire. Il a parcouru le monde en tant « qu'ambassadeur non rétribué » des États-Unis étant une des figures de proue avec G. Warlington, Williams, R. Casement, E.D. Morel, Ch. Péguy, C. Doyle, J. Conrad du mouvement international qui a poussé Léopold II à céder le Congo à la Belgique. Présenter M. Twain en écrivain réduit à une « satire grotesque » équivaut à présenter Malraux comme seulement « voleur de statuettes ». Poursuivant sa présentation, l'historienne appuie sur l'accélérateur de : « satire grotesque, comédie burlesque et effet grotesque, jusqu'à l'embardée du « devoir de mémoire commandé par de nouveaux mouvements émotionnels » (p.286) Ce type de devoir de mémoire est le pire de tous. Il fait partie de la littérature « pipélisante » qui fait passer l'émotionnel avant le rationnel et il est aux antipodes des antis mythes. En ce qui concerne la référence de l'auteur - alinéa 1, p.286, M. Dumoulin. Léopold II, un roi génocidaire ? 7

Quant au coup de patte sur la dépopulation (p.286), voire pages précédentes, la réplique à l'intervention de M. P.-L Plasman. L'auteur découvre plus loin que Léopold « entame avec...les pamphlets (tiens, tiens !)...qu'il lit et dénonce !!! (p.287) ça tire (sic) vers le pamphlet subitement ? Pour elle, celui de M. Twain a été écrit « dans un contexte de difficultés familiales et de perte de créativité vers la fin de sa vie. » (p.286) Si une « perte de créativité » peut provoquer autant de commentaires depuis 1905, on aimerait que beaucoup d'écrivains s'en inspirent. Quant aux difficultés familiales, c'est quoi au juste? Comme argument cela ne vaut pas une Schnouff ! Voici pourquoi. Le Soliloque est publié en 1905 et Mark Twain meurt en 1910, Léopold en 1909. Ils sont donc tous les deux « à la fin de leur vie » et Léopold II a de grandes difficultés familiales. (Léopold II, le Royaume et l'Empire. Barbara Emerson ; Ed. Duculot ; 1980 ; p.275-280) Ce qui vaut pour l'un ne vaudrait pas pour l'autre ? Page après page, il n'y en a que pour « l'exagération de Twain » (p.288-289) en prenant comme références les écrits des opposants au Soliloque par incapacité de le traiter comme un pamphlet. Poursuivant l'adaptation théâtrale du soliloque de son harcèlement . . . pittoresque les remarques de l'auteure deviennent de plus en plus lourdaudes. En effet, sur les cinq pages d'analyse de la pièce, nous avons compté treize fois les expressions : burlesque- grotesque ! N'est-ce pas un peu . . . gros dans le texte ! Le Soliloque doit être traité pour ce qu'il est : « Un texte pendard et qui prête au souverain un côté humain décapant ». Quant au titre du dernier chapitre (p.295) Du personnage de gêne au personnage gênant, nulle trace dans ces dernières pages de la gêne - quel euphémisme - subie par les Congolais. Si la personne de Léopold II est omniprésente dans ces pages, le peuple congolais est cité une fois, pas sous la violence absolutiste de Léopold II, mais bien sous la violence d'aujourd'hui. Quelle échappatoire ! (p.296)

Antoine Tsitungu, écrivain congolais, est cité pour équilibrer la violence par une explication passe-partout de « riche d'affrontements...d'hier comme aujourd'hui » (p.296) - encore que le mot « riche » paraît insolite - qui passe sous silence le type de violence. La violence colonialiste n'est pas la même que la violence contemporaine. Les antagonismes intérieurs actuels découlent en grande partie du néocolonialisme installé depuis les années 60. On concède que : « on ne peut nier l'exploitation sauvage » (p.295), mais on ajoute « [...] encore bien actuelles des ressources congolaises par de nombreuses nations ». En un peu plus d'un siècle on est donc passé de l'exploitation des sauvages à l'exploitation sauvage actuelle. On est toujours en pays sauvage ! La représentation théâtrale est une adaptation d'un pamphlet. L'historienne s'obstine dans son incompréhension en voulant y trouver : « comment aborder et représenter le passé avec complexité. » (p.296) Dans cette expression théâtrale, comment l'image de Léopold II pourrait elle être autre que négative? (p.296) C'est la portée même du pamphlet ! Encore qu'à négative, on préférerait image amplifiée. L'historienne n'en a pas saisi la particularité. Elle n'a pu freiner son désir exclusif de régler ses comptes avec Mark Twain dans une dérive qui se veut d'audace, mais qui n'est que bravache. Qui veut attaquer Twain, doit s'abstenir de toute...(Tw)...haine !

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins « soliloquiste », sur un air de Baloji.

La couronne découverte. Contre-lecture du discours léopoldien (Hugo Claus - Yves T'sjoen)

En écrivant : « Il se fait qu'il n'existait encore aucune pièce ou roman au sujet de Léopold II (p.300) ». Claus avoue ne pas connaître Batouala, véritable roman nègre de René Maran paru en 1921 et qui obtint le prix Goncourt, Le voyage au Congo d'André Gide, Terre d'ébène d'Albert Londres et d'autres, sans oublier Mark Twain et son Soliloque publié en 1905. On n'est jamais si bien servi que par soi-même, aussi M. Yves T'sjoen présente son analyse en ces termes : « L'angle d'approche qui sous-tend cette analyse peut-être qualifié d'historico-contextuel...historicité du texte...lecture contrapuntique » (p.301 Et ça dans ton punching-ball !Pages 302 - 303 - 310 - 313, le « grotesque » de Véronique Bargard est de retour. A croire que tout est dit, quand entre historiens on pratique la redite. Répétition n'est pas argumentation.L'auteur déclare s'inspirer du livre : Culture et impérialisme d'Eward Said, auteur palestino-américain qui développe, paraît-il, une lecture contrapuntique (p.301). Contrapuntique est l'adjectif de contrepoint et le contrepoint est une technique de composition musicale. Edward Saïd serait le premier étonné de se trouver en contrapuntique. S'il fait appel au contrepoint (p.119) c'est pour opposer impérialisme et résistance et il le prouve en marquant plutôt des points (!) contre les penseurs européens qui glorifient la civilisation : la culture occidentale comme Voltaire, Rudyard Kipling, Albert Camus, Charles Dickens, Montesquieu, Jules Ferry, Teilhard de Chardin, Albert Schweitzer etc.

Voyons ces penseurs dans des extraits de leurs œuvres : Voltaire : « Les blancs sont supérieurs à ces nègres, comme les nègres le sont aux singes et comme les singes le sont aux huîtres. » (Odile Tobner, Du racisme français, quatre siècles de négrophobie ; Ed. Les Arènes ; 2007) Rudyard Kipling : « Un grand artiste comme Kipling décrit l'Inde (et on trouvera difficilement plus impérialiste et réactionnaire que lui » (Edward Said, Culture et Impérialisme, Ed. Fayard, 2000, p.24). Albert Camus : « [...] bien des éléments de ces récits (par exemple le procès de Meursault) constituent une justification furtive ou inconsciente de la domination française » (Edward Said, Culture et Impérialisme ; Ed. Fayard ; 2000 ; p.255). Charles Dickens : « [...] il s'en est peu trouvé pour s'insurger contre l'idée des races ''sujettes'' ou « inférieures »...c'est même vrai pour Dickens » (Edward Said, Culture et Impérialisme, Ed. Fayard, 2000, p.14). Montesquieu : « Les nègres sont si naturellement paresseux que ceux qui sont libres ne font rien » 8 (Odile Tobner ; Livre cité). Jules Ferry : « Je vous défie de soutenir jusqu'au bout votre thèse qui repose sur l'égalité, la liberté, l'indépendance des races inférieures...il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. » (Odile Tobner ; Livre cité). Teilhard de Chardin : « Les noirs sont depuis des temps immémorial livrés sans contrôle à une sensualité abjecte, à la cruauté, au mensonge. » (Odile Tobner ; Livre cité). Albert Schweitzer : « Quant à l'effort intellectuel que représentent les conquêtes techniques, l'indigène n'est pas capable de les évaluer. » (Odile Tobner ; Livre cité). Et dire que ces grands noms de la pensée occidentale sont en haut de l'affiche intellectuelle médiatique. Revenons à Hugo Claus qui n'est pas aussi...claustré que les précédents ! « Grand officier de Léopold II », entre nous, il n'était pas forcé d'accepter cette décoration, mais comme il le déclare à la télévision belge (sic) en 1979 : « Je suis un grand admirateur du roi » (p.305). Tout en voulant « faire rire les gens d'un idiot qui a la mort de millions d'être humains sur la conscience » (p.305). Avec cette dénonciation de Léopold II, accompagné de son admiration, Hugo Claus ne sort pas du dilemme que lui pose la personnalité de Léopold - d'un côté figure de proue, et de l'autre dinosaure (p.300). Même l'ampleur des horreurs le pousse à penser : quel bonhomme efficace. Il reste impressionné par l'ampleur du personnage vu dans sa globalité. L'auteur s'appuie sur une thèse de son confrère Marc Reynebeau qui avance que le fait que « [...] le Roi belge ait pu s'emparer de Congo tient surtout comme on l'a dit, de l'attitude de laisser-faire et de laisser-aller affichée par les grandes puissances » (p.307). Cette thèse ne tient pas face à la grande puissance (!) diplomatique de Léopold II. Il parvient à neutraliser les appétits des grandes puissances en promettant à chacun une part du gâteau, promesses qui n'engagent que ceux qui y croient et surtout pas le prometteur. (Le Congo de Léopold II ; Michel Massoz ; 1989 ; pp.143-155). Autre constat : « Le Congo, où tout est à faire, est un placement à long terme qui a besoin des attentions d'un état aux reins solides ou d'un nabab doublé d'un mécène. Léopold II n'est ni l'un, ni l'autre et sa faute morale est de tout promettre sans scrupule parce qu'il ne songe qu'à satisfaire son impérialisme et ne se sent lié par aucun engagement ». (Bauer Ludwig ; Léopold le mal-aimé, roi des belges ; Ed. Albin Michel ; Paris ; 1935) De la page 306 à la page 312, les thèmes de la pièce sont amplement décrits : « un continent ou règne le travail forcé, la répression, l'intimidation et la violence » (p.308), d'immenses souffrances humaines (p.309), les représentations de « l'autre » inférieur (p.310), il réifie et brutalise les Congolais. (p.312), l'autre décrit comme sauvage et arriéré (p.312). Ces thèmes stigmatisent les pratiquent coloniales de Léopold II. Mais dans la conclusion de son intervention, voici tout ce que M. Y. T'sjoen parvient à écrire : « La représentation grotesque que livre Claus de l'aventure congolaise de Léopold ». (p.313)Définition du mot grotesque : caractère bizarre ou ridicule (Larousse). Où est le bizarre et qui est ridicule? Un critique de théâtre peut éventuellement donner son impression sur une pièce dans ces termes, mais venant d'un historien, cela prête à sifflement.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins théâtral, sur l'air de Baloji.

Léopold II et la représentation impériale dans la littérature (Tanguy de Wilde d'Estmael)

Alors qu'en haut de la page 317, l'auteur écrit, exemple à l'appui que : « L'art libère de toute contrainte », en bas de la page, il écrit : « Léopold II échappera toujours pour une part aux historiens ». Si l'art libère de toute contraint pourquoi les historiens ne pratiqueraient-ils pas vis-à-vis de Léopold II l'art de ne pas le laisser s'échapper? Mais Léopold II n'échappe pas à une nouvelle figure celle d' : « une sorte de Janus monarchique » (p.318) Tout le monde sait que Janus est représenté avec deux visages opposés. Ce que Léopold II n'est absolument pas puisque : L' « absolu Congolais » est le prolongement du « constitutionnel Cobourg » et que la Belgique en avait autorisé « l'(ex)croissance ». (p.319) S'il y a prolongement, il n'y a pas opposition ! Se contredire aussi vite, il faut le faire. Léopold II n'a donc pas deux visages opposés. Et on retrouve Mark Twain qui a « écrit sans recul la satire grotesque » (p.330). C'est le troisième qui enfonce le clou, mais le mur de l'écrit résiste! Peut-on demander aux historiens de bien lire les textes qui les dérangent. La première phrase du Soliloque comme nous l'avons déjà rappelé est celle-ci : « Le roi jette les pamphlets qu'il vient de lire ». Utile précision en ces temps de lecture défaillante. Deuxième précision : un pamphlet se nourrit d'humour à caractère ridicule ou corrosif, tandis qu'une satire se nourrit plus de dénigrements, de sarcasmes. Constatons que si « l'exactitude est la politesse des rois », encore que cela ne se vérifie pas toujours, la confusion est l'impolitesse des historiens. L'auteur poursuit sa présentation en évoquant les écrits de deux auteurs : « Les deux auteurs (Hugo Claus et Patrick Roegiers) qu'a priori rien ne rapproche ont un point commun : la présence critique de leur pays d'origine dans leurs œuvres ». (p.320) Présence critique nous laisse sceptique. Ne serais-ce pas constante critique ? Pour nous, il n'y a aucune comparaison entre les deux. Hugo Claus, au vu de la qualité et la quantité de ses écrits a régulièrement été « Nobélisable », tandis que Patrick Roegiers belgicain parisianisé a tartiné une brique intitulé : La spectaculaire histoire des Rois des belges, après d'autres...maux du pays qu'il soigne dans les salons parisiens. Le public qui aime le spectaculaire, l'a ingurgité avec délices. On ne compare pas un écrivain...hugolien (sic) avec un écrit...vain, tellement vain, qu'il devrait en...Rougir (sic) de honte. On ne compare pas un grand artiste de la plume avec un petit plumitif obséquieux. 9

Après Twain, c'est Hochschild et Bate qui sont descendus en flammèches, l'un ne « résiste pas à la critique historique » et l'autre « amplifie les simplismes et les approximations » (p.321). Pauvres lecteurs et téléspectateurs qui ont dû subir de telles horreurs sans s'en rendre compte. On souhaiterait voir apparaître du côté des historiens un modérateur en neurone pour calmer de telles ardeurs simplettes. Car Hochschild et Bate apportent des preuves et des documents irréfutables. On en arrive maintenant au « psittacisme » (sic) à une sorte de « crase » (sic) (p.321). Eh oui, cela arrive dans la vie ! Voyons cela de plus près. Psittacisme : répétition mécanique de phrases et de formules par un sujet qui ne les comprends pas et crase : contraction de la voyelle ou de la diphtongue finale d'un mot avec celle d'un mot suivant (Larousse). Rien de moins ! Ces deux phénomènes linguistiques sont attribués à un roman écrit par un Russe émigré aux États-Unis, intitulé Absurdistan dont un chapitre décrit le Congo de Léopold II. Ce romancier a effectivement beaucoup d'imagination en ce qui concerne Léopold II (p.322). Cela déplaît . . . souverainement à notre historien. Mais que serait-ce un roman sans imagination ? Foin donc de psittacisme et de crase, laissons fleurir les roses de l'imagination dans l'Absurdistan et ailleurs, elles en manquent tellement dans les romans d'aujourd'hui. La trouvaille finale de notre historien réside dans les extraits choisis du livre : Le conte du Roi souverain Léopold II. Le géant qui hante notre Congo, de Nite Mukendi, écrivain congolais, trempé dans la politique avec Mobutu, puis opposant avec l'UDPS et brièvement conseiller de Désiré Kabila. (pp.324-325).

Pour certains, peu importe la boisson politicienne pourvu qu'on ait l'ivresse du pouvoir. L'historien stipule que ce conte fait partie d'une série de textes romancés (p.325), mais quelques lignes plus loin il quitte ce conte romancé pour reprendre : « une conviction forte » de Nite Mukendi lorsque celui-ci écrit : « le système léopoldien a été un moment fondateur, empli de maladresses à l'évidence, mais il en est sorti honorablement ». Adieu contes et textes romancés, épinglons ce qui nous convient : « une conviction forte ». Aussi forte que celle de la note 1 de la page 327 en ce qui concerne Léopold III ? Non, car il le présente comme suit : « Nite Mukendi indique, par exemple, fort confusément à propos du roi Léopold III : " [...] en quelques horribles quatorze jours de résistance désespérée, son armée fut totalement écrasée et lui-même kidnappé et enfermé dans un château hors du pays en Suisse." ». Plus fort que ça, tu ne sais plus...compter. Pour un extrait...conviction forte, pour l'autre...fort confusément. Résistons à une forte envie de rire et disons que pour nous, aussi bien ce qu'il écrit sur Léopold II que sur Léopold III, cela doit rester dans le domaine du conte. Mais Monsieur de Wilde d'Estmael en remet une couche : « Il en ressort une appréciation extrêmement positive de la colonisation belge, plus proche du discours du roi Baudouin du 30 juin 1960 que de la diatribe de Patrice Lumumba à la même occasion » (p.326). On aurait été étonné du contraire de sa part mais il aurait mieux fait d'éviter cette « Baudouinmania. Qu'a dit Baudouin, sinon une bordée de pommade « paternalistement » ringarde?

Qu'a dit Patrice Lumumba, sinon ce que les Congolais ont gardé dans les reins de la colonisation. Il faut relire ces deux discours, cinquante ans après et à la lecture de celui de Baudouin, impossible de ne pas se retenir de sourire de commisération. Et à celle de Patrice Lumumba, savoir qu'en énonçant ne serait-ce que cette partie de la vérité, il signait son arrêt de mort, en refusant le pacte néocolonialiste de Baudouin. L'assassinat de Lumumba est pour l'Afrique un moment historique particulièrement fort, mais pas une exception. Tous les leaders politiques africains qui ont fait passer les intérêts de leur pays avant ceux de l'Occident ont été écartés par des coups d'Etat ou physiquement liquidés.

En voici la liste : F. Moumié : Cameroun, P. Lumumba : Congo, D. September : Afrique du Sud, M. Ben Barka : Maroc, H. Curiel : Egypte, Cabral : Guinée-Bissau, E. Mondlane : Mozambique, S. Machel : Mozambique, G.Olympio : Togo, Gquabi : Zimbabwé, T.Sankara : Burkina-Faso.Si en conclusion d'après l'auteur : « il reste de la place dans la galaxie littéraire » (p.327) pour écrire sur le Congo, il faut espérer que dans ce vaste ensemble d'étoiles, Tanguy de Wilde d'Estamael et d'autres n'encombrent plus le ciel littéraire de nébuleuses absurdes « littéroïdes » et d'autres astres d'amour léopoldien. Place au ciel bleu de la littérature congolaise sans l'étoile léopoldienne.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins impérialiste, sur l'air de Baloji.

Léopold II et l'Etat indépendant du Congo dans les arts populaires. Contestataires et officiels entre nord et sud (Sabine Cornelis)

On est gêné (!) de lire que par - traite, colonisation - p.330 « les sociétés du cœur de l'Afrique centrales ont été confrontées à l'intrusion d'un monde en voie de globalisation ». Les mots ont un poids et ceux-ci sont d'une incompatibilité irresponsable face à une tragédie qui a duré plusieurs siècles et a coûté la vie à des millions d'Africains. « Intrusion et confrontation ». Pourquoi ces mots trop polis pour être honnêtes ? Ils ne sont jamais utilisés quand il s'agit de l'invasion allemande et de la barbarie nazie ? On peut être barbares entre blancs, mais jamais les Blancs ne l'ont été vis-à-vis des noirs. Étrange répartition? On exige des Allemands une position de honte permanente, mais on salue les Blancs qui ont apporté la civilisation au cœur de l'Afrique ! Parler de « confrontation », c'est une imposture, les forces en présence étaient totalement inégales : des flèches contre des canons, des civils sans armes contre des professionnels en armes, etc. L'auteure continue à se pavaner sur le boulevard de ses euphémismes quand elle écrit : « Contacts européens du XVIe au XVIIIe siècles inclus » (p.330). Ces « contacts » dans la réalité consistent à pratiquer un abominable déplacement de population entre deux continents. Il s'agit de millions de femmes, d'hommes et d'enfants qui payèrent de leurs souffrances et de leur vie le prix de la traite et de la colonisation. Quel historien européen oserait parler de « contacts » au sujet des trains de déportés et de prisonniers politiques de 1940 à 1945 ? Il y a des mots dont l'utilisation est choquante pour exprimer une situation révoltante. De son inculture de la traite, l'historienne saute dans la culture congolaise coloniale et postcoloniale comme suit : « Des images comme chronique du temps » (p.330). De nouveau le terme « image » fait penser à l'enfance ! Évidemment, tout le monde sait que les Africains sont de grands enfants, mais quand même, faut-il encore préciser, que la colonisation a provoqué un changement radical dans le mode de vie des Congolais : travail forcé, déplacement de populations etc. Mais aussi changement radical dans la production culturelle. Pendant les années de la domination de l'E.I.C. la production culturelle congolaise a été presque inexistante par rapport à l'énorme production culturelle précédente qu'on a appelé l'art nègre qui date d'avant la colonisation. Cet « art nègre » est appelé maintenant : art traditionnel africain. Cette période a donné naissance à une esthétique réaliste abondante sous la forme de masques aux caractères idolâtriques, de fétiches et de différents objets particulièrement sensuels.

Cet art ne pouvait être que traité de sauvage par les Blancs et les missionnaires sous l'E.I.C. Il a donc été condamné, méprisé, brûlé, il y eut nombre d'autodafé. Il fallait imposer un modèle culturel occidental.Ce que l'historien présente des pages 330 à 338, comme production culturelle des Congolais et des Blancs, sans aucune distance critique élémentaire, démontre la pauvreté d'expression de ces réalisations culturelles par rapport à la richesse luxuriante de l'art traditionnel africain. S'il fallait classer cette pauvre production culturelle dans la discipline des arts plastiques, il est presque certain qu'elle entrerait péniblement dans la catégorie des arts naïfs, et encore ! Heureusement que tous les Blancs n'étaient pas des iconoclastes : Picasso, Breton, Derain, Leiris et d'autres ne s'y sont pas trompés, les collectionneurs et les musées ont suivis. On leur doit d'avoir sauvegardé un des plus riches patrimoines de l'humanité. Nous n'avons pas fini de lire des choses ahurissantes à propos de l'art colonial: « [...] sous l'influence de la propagande coloniale et de l'enseignement missionnaire, la libération de l'esclavage est le thème qui l'emporte, tandis que les dérives de l'Etat et l'impact humainement désastreux de l'exploitation des ressources naturelles ne sont pas reproduits parce que...ces épisodes ne semblent pas connus » (p.339). De nouveau, écrire « épisodes » pour cette exploitation maximale...c'est une catastrophe historiographique. A quand « un épisode » pour la guerre 14 - 18 et 40 - 45 ! Reconnaître la propagande coloniale et l'enseignement missionnaire et ne pas percevoir que l'effet de ces pouvoirs ne peut que produire des thèmes admis par ce pouvoir à l'exclusion de tout autre forme d'expression qui nuirait à l' « image » que le pouvoir veut se donner, c'est affligeant. Ce que les Congolais subissaient ne pouvait pas être exprimé. La libération de l'esclavage est le thème qui l'emporte, parce que le pouvoir absolu de l'E.I.C impose l'image que cette libération est un « bienfait de la colonisation » et que l'esclavage est exclusivement attribué aux Arabes. Pour exprimer c e que l'on a subit, il faut un espace de liberté d'expression qui n'existe pas sous le régime de l'E.I.C.

Heureusement la mémoire est sauve, la jeunesse congolaise actuelle témoigne de sa connaissance de ces « épisodes » (pp.367-368). Celle-ci connaît ce que ses prédécesseurs ne pouvaient reproduire bien qu'ils les avaient subis ! Ces témoignages sont intéressants dans leur disparité identiques aux réponses qu'on obtiendrait en Belgique sur Léopold II et le colonialisme.S'il y a des peintres actuels au Congo pour considérer que : « Lumumba, Mobutu ou Kabila sont des briseurs de chaînes » (p.341), c'est que leur esprit reste enchaîné (!) à une confusion regrettable. En effet, Mobutu a fait arrêter puis assassiner Lumumba, il a pillé son pays. A sa mort, sa fortune était égale à la dette extérieure du Zaïre. Kabila s'est « enchaîné » au libéralisme. Lumumba, Mobutu, Kabila, « briseurs de chaînes », quel amalgame et que de crimes ! Allons respirer ailleurs du côté de l'Institut St François de Sales qui conservent des milliers de témoignages de l'art populaire (pp.341-342). Il s'agit principalement de productions artisanales et d'expressions picturales récoltées dans les milieux modestes dans les années 1980 - 1990. Entre nous, on aimerait savoir comment ces témoignages ont été rassemblés, acquisitions, réquisitions, dons, achats? Sans que cela soit péjoratif, il s'agit de situer ce genre de productions : il se range dans l'artisanat régional et dans le genre « peintres du dimanche ». Leurs contenus ont une portée d'expression immédiate parce que leur espace de communication reste limité. Que Léopold II n'y soit pas représenté n'a rien d'étonnant (p.342) puisque dans les années 1980 - 1990, il était devenu moins présentable.

Quant à Ngongo Leteta, exécuté le 15 septembre 1893, « c'est une des pages les plus sombres de cette histoire de conquête. L'Etat s'est empressé de se débarrasser de cet homme gênant, vu qu'il ne lui était plus utile. . . Cet acte allait lui coûter cher, car il allait constituer, deux ans plus tard, une des causes principales de la révolte de Luluabourg » (Histoire générale du Congo ; Isidore Ndaywel è Nziem ; Editions Duculot ; 1998 ; p.297) - Lire aussi à ce sujet le chapitre 19 - l'exécution de Ngongo Leteta, p.339 à 361, Le Congo de Léopold II ; Michel Massoz ; 1989. L'historienne ne chipote pas avec la chicotte : « cette peine, héritée de la traite et appliquée dès l'époque de l'E.I.C. ne fut abolie qu'en 1959 » (p.343). La chicotte désigne la lanière de nerf d'hippopotame séchée, extrêmement dure et meurtrière. Ce supplice, d'une cruauté naturelle en soi fut fréquemment aggravé par le zèle et le sadisme de ceux qui eurent à l'infliger. Une vingtaine de mots aseptisés pour réduire la souffrance et parfois la mort sous la chicotte des milliers de Congolaises et de Congolais. C'est plus que de la désinvolture, c'est de l'imposture.« Héritée de la traite », comme si tout héritage était obligatoire. Le particulier peut refuser l'héritage, a fortiori l'Etat, qui n'a aucune obligation ce de genre. Au contraire, beaucoup d'Etats se sont honorés d'avoir aboli l'esclavage. La Belgique se serait honorée en abolissant la chicotte. Quant aux monuments de la période coloniale dans les deux pays (pp.344-348), d'abord et heureusement, il n'y en a pas des masses, les colonialistes s'occupaient de « coloniser ». Il importe de qualifier ces monuments. Il y en a de monstrueux, d'envahissants, d'inesthétiques et de risibles, rares sont ceux qu'on pourrait qualifier d'artistiques. Les plus nombreux ne servent qu'à illustrer l'idéologie dominante. C'est de l'obésité pierreuse ! Dans le genre, c'est la grenouille Léopold « qui veut se faire aussi grosse que le lion africain. »Il est heureux qu'enfin en 2006, un mouvement s'organise contre : « l'image héroïsée de Léopold II et les dérives de l'E.I.C. [qui ] se cristallisent notamment autour des monuments » (p.348). Il faut saluer avec grâce et soutenir vigoureusement le collectif d'artistes belges et congolais : MANIFESTEMENT. S'il existe un « malaise dans la société belge par rapport à son histoire coloniale » (p.350), le terme malaise serait plus approprié aux effets de l'histoire coloniale au Congo, et le terme est faible en ce qui concerne le Congo. En Belgique, la société officielle se sent bousculée par une avalanche de preuves qui la rend mal à l'aise parce que pendant des décennies elle en a pris trop à son aise (!) avec l'histoire congolaise.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold plus artistique, sur l'air de Baloji.

Léopold II - Vu du Congo : Présence dans l'Histoire et Absence dans la Mémoire (Isidore Ndaywel é Nziem)

Dans ce chapitre, il est question de « la mémoire coloniale congolaise » (p.351). Il ne s'agit pas d' « histoire coloniale congolaise ». Il apparaît donc qu'il faut distinguer mémoire et histoire puisque certains historiens sont les chefs d'orchestres de ces deux chorales, sinon antagonistes, du moins parallèles. Pour nous, l'histoire est un chant universel et la mémoire un chant institutionnel, l'un est dialectique c'est-à-dire mouvement global de la réalité, l'autre est chronologique, c'est-à-dire succession partiale dans le temps, l'un explique, l'autre édicte.Ce sont donc deux mondes différents, et puisque l'auteur a choisi : « la mémoire coloniale congolaise », il ne se place pas face à « l'histoire coloniale congolaise » mais de profil. Il risque un torticolis, alors que, par ailleurs, il a écrit une intéressante Histoire générale du Congo.

« Si les colonisés n'ont pas eu à apprendre que leurs ancêtres étaient des Gaulois » (p.352), ils n'ont pas eu à apprendre non plus qu'ils avaient des ancêtres congolais puisque d'après l'histoire qu'on leur apprenait, les Congolais n'avaient d'existence que depuis la colonisation. C'est cela le chant institutionnel, cela sonne faux mais il ne faut pas demander au chef de la chorale de chanter juste, du moment qu'il dirige la mémoire à la baguette c'est tout ce qu'on lui demande.La mémoire coloniale aurait subi des « fortunes divers de Lumumba à Kabila » (p.353). Fortunes diverses est un euphémisme, les fortunes n'ont pas été diverses, elles sont restées d'un côté. Ce qui l'est moins, c'est la distance entre les deux, Lumumba a subi l'infortune puisqu'il dénonçait le colonialisme, tandis que Kabila « rend hommage à la mémoire de tous les pionniers » (p.353) de la fortune coloniale. Deux mondes plus que divers « Pionniers, pionniers, vous avez dit, pionniers, M. Kabila au Sénat ! » 10Eh bien en honorant ceux-là vous êtes un...Cas...bilieux (sic). Parce que vos pionniers, M. Kabila, étaient des malfrats. En plus ajoute l'auteur : « L'histoire avait été vengée » (p.353). D'un côté, un homme couché, transpercé de balles, Lumumba, et de l'autre un homme qui se couche et se déballe, Kabila, cette sorte de vengeance a un goût de cadavre froid. Car l'histoire de ce pays chaud n'a pas besoin de vengeance froide, elle a surtout besoin du calorifère de la connaissance et de la chaleur de l'intelligence. Lumumba ouvrait sur la page blanche (sic) le livre noir (sic) du colonialisme. Kabila veut le refermer en le blanchissant comme d'autres blanchissent l'argent sale. Mettre sur le même plan, l'anticolonialisme de Lumumba, Mobutu et Kabila (p.354) ne manque pas d'air, Lumumba en a été privé, Mobutu en a privé plus d'un et Kabila ne peut que « prendre des airs ». « Contexte embrouillé » ? (p.355) Kimbangu, Lumumba, le caoutchouc rouge, qu'y a-t-il d'embrouillé dans ces trois manifestations du pouvoir ; Kimbangu embastillé pendant des années, Lumumba assassiné et le caoutchouc rouge de travail forcé. Dans ce contexte, il n'y a que...de l'embrouille. L'extrait du discours de Mobutu (pp.356-357) est révélateur d'un Mobutu, qui choisit Léopold II en tant que modèle. Mobutu a « léopoldisé » son régime de violence comme Léopold II sous l'E.I.C. L'auteur n'a donc pas à s'étonner qu'il ne dénonce pas le régime de violence de Léopold II. Comme pour la chicotte (voir plus haut), cela fait partie de l'héritage !

On en vient à la production littéraire des Congolais (pp.358-359) dont la figure de Léopold II est absente. Pour expliquer « cette amnésie », l'auteur prétend que la cause réside dans « un ton mesuré, une sobriété étonnante de l'histoire officielle de Léopold II ». (p.360) Cette sobriété n'existe que dans l'aveuglement de l'auteur. Sobriété ? Les qualifications outrancières et totalitaires de Léopold II pendant des décennies : « génie, Grand roi, Pharaon des Belges, géant etc. » Si la figure de Léopold II est absente de la littérature congolaise, c'est que les écrivains en ont assez ! Ça suffit, on nous en a assez donné du Léopold II. Quant au roi souverain qui « n'a jamais mis les pieds sur le territoire de son Etat » (p.361) alors qu'il adorait voyager, ne faut-il pas en chercher une des raisons dans le mépris qu'il avait des « nègres » qualifiés de paresseux, sauvages et barbares ?« Foutez-moi la paix avec vos nègres je ne veux plus en voir d'ici deux mois, vous entendez ? Cela fait très mauvais effet à l'extérieur, on ne voit que des nègres, tous les jours à l'Élysée » Charles de Gaulle à Jacques Foccart. (Odile Tobner ; Livre déjà cité ; p.199). Léopold II aurait répondu dans le même sens si un de ses conseillers lui avaient demandé de visiter le Congo : « Un Roi blanc, au milieu des nègres, vous n'y pensez pas ! Cela ferait très mauvais effet à l'extérieur. » Entre Léopold II et Charles de Gaulle, il y a un siècle. Le grand Charles avait, dans ces moments-là, la petitesse du raciste primaire. Comme quoi, les « Grands Hommes » ont de la suite dans la suite. L'auteur reconnaît page 364 que « les manuels d'histoire congolais soient discrets voire muets sur les abus de l'exploitation du caoutchouc », nous sommes dans l'institutionnel, mais l'histoire réelle est présente dans la mémoire populaire qui entretient « le souvenir de ces violences » Comment pourrait-il en être autrement? De la page 364 à 368, l'auteur nous balance de droite à gauche avec des réponses des élèves de 5e et 6e année à la question : « Qui est Léopold II ? Que représente-t-il pour les Congolais? »

Dans l'ensemble, les réponses ne seraient pas différentes si on posait ces questions en Belgique. L'auteur conclut qu'il y a une opposition entre « l'absence mémorielle » (p.369) et « présence institutionnelle » alors que dans les cinq pages précédentes il fournit des témoignages qui prouvent justement que dans l'institutionnel il peut y avoir du mémoriel. Cela montre que même dans un pays du sud, on peut ne pas perdre le nord ! Quant au monopole de l'objectivité ou de la vérité personne ne la revendique. (p.371)Et s'il y eut une période, beaucoup trop longue d'ailleurs, pendant laquelle l'histoire officielle la revendiquait, ces temps là sont définitivement révolus. Il existe encore des forces répressives qui vont jusqu'à l'assassinat, mais pour un qui meurt, 10 autres se lèvent.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II moins pédagogique, sur l'air de Bajoli.

Nouvelles contributions à l'étude de la politique extérieur et coloniale de Léopold II (Els Witte)

« Enfin Stengers vint ! » Comme Malherbe en son temps, mais lui est venu rajeunir la langue française tandis que l'exemple de Sengers a été vain, car les textes, que nous avons lus des vingt historiens, ont pris un sacré coup de vieux. Mme Els Witte rend donc hommage (p.374) à M. Stengers et lui attribue un titre : avoir « débarrassé l'historiographie de son caractère apologétique ». Comme si d'autres, et ils sont nombreux, avant lui n'avaient pas fait ce travail. Seulement, on n'a pas voulu les lire, la carrière ne s'y prêtait pas. De plus, entre nous, après avoir lu ces vingt interventions, il faut souligner que pour la plupart, il reste encore beaucoup de travail à faire pour se débarrasser d'encombrantes casseroles afin de montrer patte blanche (sic) pour être admis au club des sans-papiers idéologiques exempts de fils à la patte colonialistes.Il n'y a pas d' « images ambiguës de Léopold II » (p.374) qui auraient « empêché les historiens d'écrire des biographies scientifiquement étayées de ce souverain ». S'ils ne l'ont pas fait, c'est qu'ils avaient choisis de ne pas le faire pour ne pas se faire exclure du cercle des bien-pensants, pour la carrière officielle et aussi par paresse d'esprit. On dort mieux dans les draps du conformisme.Hélas, l'éclairage nouveau tant souhaité (p.374) n'a pas fonctionné. Il aurait fonctionné si à la suite de « l'écrivain contestataire Théophile Giraud », ses rayons lumineux avaient été dirigés sur « le lien entre Léopold, Hitler et Staline (pp.348-349) 11

Mais là, attention, c'est de la dynamite ! Pour nous, ce colloque est un ramollissement de la cervelle des historiens. Toujours impressionnés par la statue de bronze de Léopold II érigées par l'histoire officielle. L'historien n'a pas à mollir même devant un « dinosaure » (p. 310). Il doit garder un cerveau d'airain pour sonder les reins de l'histoire. Ce soi-disant éclairage nouveau, n'est qu'une lampe de chevet qui continue à éclairer une partie moribonde de l'histoire, celle du « géant dans un entresol » de thuriféraires, la palme d'avoir fait du Congo une mortuaire. La Belgique, entre sol (sic), doit être comprise là où elle est : entre le sol de la France et celui de l'Allemagne, et pas du tout dans le sens du mépris royal. Léopold II a certainement beaucoup ri dans sa barbe durant son règne, pour tous les tours qu'il a joué à tous le monde, dont le plus pendable est celui de « la civilisation ». Cette « civilisation » a provoqué pendant 80 ans des quantités de larmes des Congolais, larmes impossibles à sécher. Si on pouvait les récolter comme on a récolté le caoutchouc, on pourrait y noyer 80 fois la Belgique. Enfin, il faut définitivement et souverainement en finir avec cette idée prédominante qu'un individu, pour marquer l'histoire de son empreinte, comme il est répété à satiété, doit être un grand homme, voir un génie, alors que tout individu, dans la réalité, compte moins que les moyens dont il dispose. Dans le cadre historique du XIXe siècle, les forces matérielles poussent à la conquête, poussent au développement industriel en Occident, ainsi qu'aux transformations urbaines. Encore fallait-il accompagner cette poussée. Au niveau du pouvoir, il suffisait de ne pas être borné pour implanter des nouvelles bornes extérieures. La vague colonialiste a affecté tous les pays occidentaux. Pour prendre deux exemples de ces soi-disant génies, citons Napoléon III et Haussmann. Napoléon III en était complètement dépourvu et n'a donc jamais été considéré comme un génie et pourtant il a conquis la Cochinchine, pacifié l'Algérie et annexé la Nouvelle Calédonie. Haussmann n'a jamais été reconnu comme un grand bâtisseur, mais comme un administrateur des Grands boulevards parisiens. A côté de ceux-ci, entre nous, les avenues de Léopold II ne tiennent pas...la route.

Ces deux exemples, tout proches (il y en a d'autres), suffisent à prouver que la plus-value de Léopold II est idéologique et surfaite par rapport au cadre historique dans lequel il évoluait. Histoire et idéologie n'ont jamais fait bon ménage. Quand on veut analyser lucidement ces hommes et leur impact dans l'histoire, il s'agit de réunir tous les ingrédients comme un chef-coq préparant ses plats dans sa cuisine. Les ingrédients des chefs d'Etat et autres « chefaillons » à leurs ordres les ont menés à fabriquer des plats grandement indigestes pour les « indigènes ».

Toute l'eau de la mer ne suffira pas à laver une tâche de sang intellectuel (Lautréamont)

La place de Léopold II n'est donc pas : ENTRE GENIE ET GENE, mais dans l'exercice de mettre en place de sang-froid un pays en guenilles. Léopold II est effectivement un GENOCIDAIRE SANG GÊNE.

Tout ceci ne nous rendra pas un Léopold II plus civilisé, sur l'air de Baloji.

Pour finir, deux prières d'insérer dans la tête des vingt historiens : « C'est à qui peuples de l'Europe, aura la plus grande part dans cette curée où l'on se précipite avec avidité. L'Afrique peuplée de noirs semble être de si bon droit accessible aux conquêtes de l'Européen que rien ne repousse les prétentions de ceux qui veulent s'y procurer un lopin de terre au détriment de l'indigène. L'homme noir n'est-il pas de race inférieur ? N'est-il pas destiné à disparaître de la surface du globe, afin de faire place à la race caucasique à laquelle Dieu a donné le monde en héritage ? » (Firmin Anténor. De l'égalité des Races humaines ; Ed. Pilronrie Cotillon ; 1885 ; fac-similé présenté par Ghislaine Gelouin ; L'Harmattan ; 2003). « L'Europe est responsable du plus haut tas de cadavres de l'histoire de l'humanité. L'Europe est moralement, spirituellement indéfendable » (Aimé Césaire ; Discours sur le Colonialisme ; Présence africaine ; 1956).

Aux Armes Africains

Formez des Historiens

Écrivons, Écrivons

Pour que les Histrions

N'abreuvent plus les Citoyens.

Daniel Olivier, Ansart, janvier 2010.


  1. 1. Léopold II, entre génie et gêne, Racine, Bruxelles, 2009, p. 267.
  2. 2. Léopold II criminel contre l'humanité ?
  3. 3. Critique : "La Terre Promise. Flamands en Wallonie" (Pascal Verbeken)
  4. 4. Extrait du livre La Férocité blanche. "Des non-Blancs aux non-Aryens. Génocides occultés de 1492 à nos jours." Rosa Amelia Plumelle Uribe Albin Michel, Paris, 2001
  5. 5. Critique de livres: Léopold II, Un Roi Génocidaire ? (Michel Dumoulin)
  6. 6. Voir aussi Comment Léopold I vit sa fortune faire des petits
  7. 7. Critique de livres: Léopold II, Un Roi Génocidaire ? (Michel Dumoulin)
  8. 8. Mais il ne faut pas oublier son plaidoyer contre le racisme.
  9. 9. Critique : "La spectaculaire Histoire des Rois des Belges" Patrick Roegiers, Editions Perrin, Paris, 2007
  10. 10. Le 10 février 2004, Joseph Kabila déclare devant le Sénat de Belgique : « L'histoire de la RDC, c'est aussi celle des Belges, missionnaires, fobctionnaires et entrepreneurs qui crurent au rêce de Léopold II de bâtir au centre de l'Afrique, un Etat. Nous voulons à cet instant précis, rendre hommage à la mémoire de tous les pionniers. »
  11. 11. voir le livre : La Férocité blanche, génocides occultés de 1492 à nos jours (Rosa Amélia Plumelle Uribe, ED. Albin Michel, 2001).