Deux caricatures antiwallonnes étrangement actuelles

12 août, 2010

Quand LE SOIR pourfendait le régionalisme (18 juillet 1998)

Depuis quelque temps il apparaît que du côté francophone (des Wallons et des Bruxellois francophones serait une façon plus juste de s'exprimer), il y a une unanimité en faveur d'un fédéralisme à trois puisque la position de ces mêmes Wallons et Bruxellois francophones semblent unanimes en faveur de transferts de compétences aux Régions (et non pas aux Communautés), comme le voudraient NVA et CD&V.

Or, depuis des décennies, comme le montre la caricature du journal Le Soir ci-dessus, toute proposition régionaliste était combattue par une grosse majorité du monde dit "francophone". On le remarque dans la caricature de Royer ci-contre, parue dans Le Soir du 18 juillet 1998 : Robert Collignon à qui on a imposé une camisole de force, entouré de Charles Picqué et Laurette Onkelinx habillés en psychiatres. Parce que le même Collignon avait proposé le transfert de l'enseignement et de la culture aux ... Régions.

On ne peut pas nier que cette position hostile aux Régions soit une obsession de certains milieux francophones de la capitale puisque, neuf ans avant, le thème était traité de la même manière par le même dessinateur dans le même journal en vue de réagir cette fois à des propos de Van Cau. sur le même sujet.

Comment peut-on donc expliquer ce revirement régionaliste radical du monde dit francophone?

Serait-ce uniquement parce que ce même monde considère avant tout les Flamands comme des ennemis qu'il faut contrer par tous les moyens? Non, sans doute, puisque certains partis flamands comme le SPA et Groen! sont également en faveur de transferts aux Régions.

Serait-ce par crainte d'une concurrence ethno-sociale à l'intérieur de la société bruxelloise (avec par exemple des lois sociales plus généreuses de la Communauté flamande que celles de la Communauté française qui toutes deux exercent des compétences à Bruxelles)?

C'est évidemment pour cette raison.

Van Cau. guidé vers l'ambulance psychiatrique par Ph. Moureaux et Louis Michel (alors sans barbe) Le Soir du 25/9/1989


Mais si le principe des trois Régions est si fortement affirmé en cette circonstance, comment les francophones (la majorité d'entre eux en tout cas), vont-ils encore pouvoir s'opposer aux Wallons et aux Bruxellois qui réclament depuis longtemps que l'enseignement et la culture soient régionalisés?

Au temps de ces caricatures et jusqu'à aujourd'hui, on a toujours défendu l'idée d'une Communauté française une et indivisible au nom de la solidarité avec Bruxelles et au nom de la solidarité de tous les francophones.

On a constamment répété également que les Wallons et les Bruxellois ensemble, dans la même institution (la Communauté), étaient plus "forts". Or ici, c'est le contraire qui est démontré.

Ne seraient-ils justement pas plus forts et, surtout, mieux gouvernés si Bruxelles comme la Wallonie étaient deux Régions l'une et l'autre à part entière, dotées de toutes les compétences qui ne sont plus exercées par l'Etat fédéral?

On pourrait nous répondre que la Flandre n'acceptera jamais d'être privée de ses compétences communautaires à Bruxelles. Eh bien! oui, peut-être, mais qu'est-ce que cela empêche? On peut comprendre que les Flamands tiennent à conserver l'exercice de ces compétences, mais qu'est-ce qui empêche que les Wallons et les Bruxellois s'arrangent autrement. Car, on ne le sait pas assez mais il leur est loisible (sans supprimer à la lettre la Communauté française), de transférer l'exercice de ses compétences à la Commission communautaire française à Bruxelles et à la Wallonie.

Voir aussi Comprendre (facilement) le débat Communauté/Région de 1983 à aujourd'hui ///////// Le concept "Communauté" antiwallon et antibruxellois

et Conversation avec Jean-Maurice Dehousse et Charles-Étienne Lagasse [les institutions de l'Etat belge]

Dont on peut lire l'extrait suivant (fin du dialogue entre JM Dehousse et CE Lagasse):

- J.M.Dehousse : La communauté est le berceau de la Région. C'est par la Communauté que la Région a grandi lentement et sûrement. Car, à un moment donné, alors que l'on pensait que la Communauté et la Région allaient voir le jour en même temps, dans les faits c'est d'abord la Communauté qui a vécu. On ne peut pas dire que ces deux choses sont des éléments indépendants. Maintenant, doit-on rester dans le berceau, le traîner derrière soi ? En tout cas, c'est comme cela que cela s'est fait. Il n'y a pas eu de projet de communauté dans le mouvement wallon. C'est ce qui explique qu'il y a toujours eu des tensions dans la Communauté, car ,dans le mouvement wallon, il y a toujours eu deux forces profondes. La première, dont tout le monde parle, ce sont les Wallons et les Flamands. Mais la deuxième, qui est tout aussi forte en réalité, c'est la tension entre les Wallons et Bruxelles. Perin lorsqu'il écrit La Belgique au défi est très sévère sur Bruxelles. Il y a une tension à cause de la centralisation. Nous avons gagné deux choses importantes, c'est de discuter de plus en plus ces choses-là nous-mêmes sans les Flamands. Et l'introduction en 1994 de l'autonomie constitutive est importante.

La Communauté les Wallons et Bruxelles

Nous avons gagné aussi la capacité de discuter seuls en tant que Wallons avec nos compatriotes germanophones. Nous pourrons changer les choses comme nous en déciderons, c'est un Nous (francophones) collectif, cher Charles-Étienne Lagasse. Vous dites que les Wallons sont majoritaires dans la Communauté comme les communes étaient majoritaires au Crédit Communal et comme théoriquement elles le sont toujours à Dexia. Mais elles ne peuvent pas se mettre ensemble dans les faits. Dans les grandes sociétés, ce ne sont pas les actionnaires les plus nombreux qui décident. Mais le noyau le plus efficace. Il y a une double évolution très curieuse en Belgique. Les Flamands de Bruxelles sont devenus plus régionalistes et moins communautaires et, inversement, les Wallons sont devenus plus communautaires depuis la révision de la Constitution. C'est la fonction qui crée l'organe. Les Wallons sont les plus nombreux dans la Communauté, mais dans une institution qui ne l'est pas et dans une institution qui a choisi d'être le donjon du belgicanisme. C'est cela qui crée une tension de plus en plus forte, Parce que quand tu parles des dettes, quand tu parles de la RTBF, tu as une conception belgicaine qui s'accroche à cela. Et on vient de faire à cet égard des choses qui sont inquiétantes. D'autre part, la Communauté dans sa réalité est précaire. Elle a été rendue dangereusement précaire par l'application qu'on a faite des lois de financement de 88 et dans le changement d'attitude (je vais être schématique) de G.Deprez acceptant soudainement la communautarisation de l'enseignement. Car l'entité « Communauté française de Belgique » est budgétairement invivable : la masse de personnel est telle qu 'une petite augmentation de la masse produit une inflation qui chasse les autres dépenses. Du coup on est obligé de faire sans cesse du dépannage ; il y a eu en 1988 une loi de financement désastreuse que Moureaux trouvait excellente. Et en 94, on a fait un choix décisif qui rend la situation de la Communauté plus complexe encore.C'est le choix de la primauté de la Région. On pouvait concevoir le fonctionnement de la Communauté et de la région de deux manières ; on pouvait élire les députés de la Communauté puis qu'ils se répartissent entre Bruxellois et Wallons. Ou les élire à la base, dans les Régions et les Wallons désigner un certain nombre d'entre eux, les Bruxellois de même pour aller à la Communauté. C'est le choix qui a été fait et il n'est pas innocent. Nous allons avoir des élections régionales, pas des élections communautaires. La sociologie électorale des deux Régions a toujours été différente. La Communauté est appelée à avoir une vie difficile. Or je suis frappé par l'action néfaste des derniers gouvernements de la Communauté et plus particulièrement du dernier gouvernement qui est en train de jouer avec le feu. D'abord, il y la défenestration des centres de production régionaux de la RTBF et la reprise en main à un niveau centralisé, à Reyers. C'est lourd de conséquence pour la population wallonne, Prenez bien garde ! à l'heure actuelle, la télé la plus proche du peuple c'est RTL. C'est lourd de conséquences pour une institution dans une institution-mère qui est bloquée dans son financement et dont le rayonnement est sans cesse mis en cause par l'Europe pour des raisons d'organisation générale. Lourde erreur. Deuxième erreur, le décret de Françoise Dupuis : il crée une Communauté Hainaut-Bruxelles dans le monde universitaire et ultérieurement dans le monde de la recherche scientifique. Ces décisions prises vont provoquer des chocs en retour, inévitablement. On a crié casse-cou, on n'a rien voulu entendre.Trois, le Ministre-Président de la Communauté française, Hervé Hasquin vient de faire savoir à la première institution culturelle hors la RTBF, c'est-à-dire à l'Opéra Royal de Wallonie qu'il refusait d'honorer les signatures de ses ministres, ajoutant qu'il ne reconnaissait pas la signature de R.Miller car c'était un ministre incompétent. L'Opéra Royal de Wallonie va être en cessation de payement en février. On ne va pas attendre février. J'ai le sentiment d'une injustice. À la différence de José Happart, j'ai toujours défendu la communauté parce que la communauté est menacée par la Flandre, et Bruxelles aussi. Il y a des menaces pour Bruxelles. On a fait fort peu de choses pour les communes à facilités et les Fourons. J'ai connu Laurette Onkelinx qui m'avait dit que les Flamands avaient changé etc. Maintenant, elle chante une autre chanson. Nous avons besoin d'une institution commune. Mais il faut qu'un gouvernement soit juste, car sinon il y a des choses intéressantes dans la Constitution américaine sur la légitimité qu'il y a à changer un gouvernement ou même à en instituer un autre à la place.

- C.E.Lagasse : Les Wallons sont majoritaires dans la Communauté. Je ne comprends pas ce sentiment de minorisation. Ce n'est quand même pas Françoise Dupuis, la seule Bruxelloise du gouvernement qui inhibe à ce point ses 7 collègues wallons ! Ils sont majoritaires partout. Et parmi les présidents de parti, lieu du pouvoir réel, sur quatre partis francophones, trois sont wallons, je ne comprends pas.

- J.M.Dehousse : Factuellement, tu n'as pas tort. Mais c'est la théorie de Leburton sur la parité du Gouvernement qui lui faisait dire qu'il ne fallait pas aller à la régionalisation...

Commentaires

Régionaliser du seul côté francophone

Alain Deneef propose de régionaliser la seule Communauté française puisque, manifestement, les Flamands n'accepteraient pas de perdre le point d'appui qu'ils possèdent à Bruxelles. //// Voir http://www.bruxsel.info/files/Deneef.pdf //// C'est une proposition intéressante.//// Mais il ne faut pas perdre de vue que, malgré les efforts wallons en sens contraire, beaucoup de choses ont été centralisées à Bruxelles qui concernent la culture et l'enseignement, y compris l'enseignement supérieur ou même d'autres institutions comme toute l'administration de l'enseignement en Communauté française. La majorité des fonctionnaires "culturels" de la Communauté travaillent à Bruxelles et récemment on a affaibli les centres régionaux wallons de la RTBF pour également renforcer la RTBF bruxelloise. Cette centralisation d'institutions publiques va de pair avec d'autres centralisations comme, par exemple RTL (pour rester dans le cadre de la radio-diffusion), les associations non gouvernementales, les syndicats, les mutuelles, la ligue des familles, bref un nombre considérable d'institutions privées, associatives ou publiques et sans doute un nombre important d'entreprises dans tous les domaines de la communication en même temps, sans doute, que la plus grande part de l'enseignement supérieur et universitaire (l'IHECS a été récemment déménagé à Bruxelles venant de Tournai après une halte à Mons). Il faut ajouter à cela les états-majors des partis, toute l'administration de la politique extérieure de la Wallonie et de la Communauté, les deux administrations étant réunies dans le même bâtiment. Et aussi les institutions dites bi-communautaires (la Bibliothèque royale par exemple). Certaines de ces institutions sont transférables à la Wallonie d'autres pas. Mais il est évident que Bruxelles profite beaucoup de l'installation de tout ce qui vient d'être dit sur son sol. Aucune ville ne refuse de voir s'établir sur son territoire les institutions dont nous venons de parler. Et il n'est pas dit non plus que toutes les institutions dont on vient de parler doivent rester à Bruxelles. L'état-major de la Fédération wallonne de l'agriculture a été par exemple déménagé à Gembloux il y a plus de dix ans (alors que l'agriculture est une matière tout autant régionale qu'européenne). C'est même de toute justesse en 1985-1988 que l'administration wallonne n'a pas été également installée à Bruxelles. Tout cela représente un coût pour Bruxelles, mais aussi un avantage, donc un désavantage en cas de ''dégraissage'' de Bruxelles (souhaité longtemps par le mouvement wallon). Reste à savoir de combien d'emplois il s'agirait et ce que perdrait Bruxelles si ces transferts étaient faisables. S'ils l'étaient tous, il faut admettre que la perte pour Bruxelles serait appréciable et le gain pour la Wallonie et ses grandes villes tout autant. Mais cela démontre aussi que les avantages dont Bruxelles bénéficie en tant que plus importante ville de la Communauté française (et que plus importante ville francophone du pays en général), on peut dire que les Wallons y contribuent largement car sans eux, pas mal de tout ce qui vient d'être énuméré ne fonctionnerait pas (l'édition, la radio-télévision, tout ce qui est lié à Bruxelles à la langue française). //// Enfin, on peut comprendre que les régionalistes bruxellois peuvent dire que les Wallons contrôlent la Communauté française mais le fait qu'ils y soient majoritaires ne transparaît nullement dans le monde la communication, bien au contraire. Il suffit de comparer la façon somme toute positive dont les manifestations régionalistes bruxelloises ont été traitées par comparaison avec le le rejet souvent brutal et même injurieux des manifestations de régionalisme wallon (par la presse ou le pouvoir politique et tout le monde de la communication qui, rappelons-le, est tout de même fort ancré dans la capitale). Les deux caricatures dans l'article ci-dessus en donnent une idée excellente.