FDF, Wallonie, Bruxelles, rattachisme (II)

A Bruxelles, défense de la Wallonie ou de Bruxelles français (1900-1964): dilemme psycho-social
5 mars, 2010

Politique

Cet article est la suite d'une première étude consacrée au FDF 1

Chantal Kesteloot qui a longuement compulsé les archives des mouvements wallons à Bruxelles dresse le portrait («iconoclaste» selon ses dires), du Wallon (qui deviendra militant wallon) à Bruxelles avant 1964 (date de fondation du FDF): « Militant, il ne l'est pas nécessairement lorsqu'il quitte sa ville ou son village d'origine. Mais l'arrivée dans la grande ville le confronte à une réalité qu'il n'imaginait pas. D'abord il y a l'accent. Pour des périodes plus récentes, plusieurs militants ont fait part du malaise qu'ils avaient éprouvé en prenant brutalement conscience de leur accent qui, par définition, ne leur était pas apparu dans leur région d'origine. » 2 Soulignant le nombre élevé de cercles, ligues, groupements wallons à Bruxelles, l'historienne du FDF nuance cependant l'idée que le mouvement wallon serait né en Flandre et à Bruxelles; comme l'affirmaient les signataires du Manifeste francophone de 1996 3, manifeste typiquement FDF.

L'image que le FDF se fait de la Wallonie et des Wallons

Il y a du vrai dans la description du Wallon de Bruxelles. Ce vrai a sans doute inspiré Pirenne quand il qualifie le mouvement wallon de recherche d'amon nos autes, repris avec les sarcasmes que l'on sait par François Perin et finalement avalisé diplomatiquement par le FDF. La question de l'accent n'est pas une expérience qui se limite à Bruxelles dans la mesure où les Wallons ont toujours eu assez de mobilité pour se rendre compte de la diversité de leurs propres accents, avec une propension à juger le leur (liégeois, montois, ardennais, carolo - flamand dans les entreprises wallonnes qui utilisent 700.000 travailleurs en 1900 dont un bon nombre de Flamands - etc.), comme le meilleur. S'il s'agit d'insécurité linguistique (comme le texte le laisse entendre), ce n'est pas propre aux Wallons. Emmanuelle Labeau a souligné que cette insécurité linguistique était tout autant celle des Wallons que des Bruxellois dont deux oeuvres populaires majeures témoignent Le mariage de Mademoiselle Beulemans et les romans d'Arthur Masson 4. On parle ici de la période correspondant au règne d'Albert Ier et l'on suggère que cet accent wallon a pu être jugé infidèle à la norme bourgeoise, donc stigmatisable. Or le roi Albert parlait le français avec l'accent wallon 5.

C.Kesteloot poursuit le portrait FDF du Wallon: « Il y a leur accent, mais aussi celui des autres, l'accent bruxellois, l'accent flamand et enfin celui des bourgeois francophones qui, eux, se piquent de ne pas en avoir. Si cette réalité perturbe le nouveau venu, la porte du cercle régional s'ouvre à lui, telle une évasion possible, un lieu où l'on peut enfin être soi, parler wallon ou ne pas avoir peur de son accent. Les cercles dont les locaux sont souvent situés dans les cafés, fonctionnent tels de véritables réseaux de sociabilité (...) On assiste à des pièces de théâtre mettant en vedette des personnages emblématiques de la petite patrie... » 6 Cette remarque nous a frappé dans la mesure où il y a quelques jours, un militant FDF d'une ligue « wallonne » à Bruxelles, s'étonnant que nous ne puissions pas adhérer à l'idéologie du FDF en raison du fait que celle-ci ignore la Wallonie, nous parlait justement de son « attachement » à la Wallonie à travers le souvenir ému qu'il gardait de son « petit village ». Il mettait en cause la contestation portée contre le FDF, un FDF dont il pensait qu'il menait le seul combat possible, celui contre la Flandre, une spécificité wallonne de la démarche semblant exclue, sauf sous forme de repli wallon. Somme toute, il s'agissait là d'un Wallon ayant intériorisé l'idéologie FDF à l'endroit des Wallons. Et ceci démontre la pertinence de l'analyse de l'historienne du FDF.

Nous ne voulons pas pour le moment expliquer par quels mécanismes complexes, finalement, concrètement (surtout dans les années 50 et 60), c'est la vision de la Belgique française qui s'est imposée à Bruxelles à travers le FDF, mettant au second rang les préoccupations wallones, voire les gommant, une vision dont Chantal Kesteloot considère qu'elle est une émancipation des Bruxellois francophones d'origine wallonne ou en général à l'égard du mouvement wallon. Nous voudrions plutôt souligner, parallèlement à la partie I de cet article, à quel point à nouveau Pirenne, Perin sont sur la même longueur d'onde que Chantal Kesteloot l'historienne du FDF. C'est évidemment en rapport avec les perceptions de Bruxelles par les Wallons de Bruxelles que Chantal Kesteloot écrit dans son livre : « Les crispations que suscite l'existence d'une Communauté française Wallonie-Bruxelles auprès d'une partie des élites wallonnes d'aujourd'hui a des causes très lointaines, enfouies dans une perception de Bruxelles qui remonte à la fin du XIXe siècle. » 7 La vision du repli sur soi, se fermant aux horizons d'une grande ville, de la Belgique française... Ou d'une Grande nation car la Belgique française peut se concevoir sans la Flandre et rejoindre alors la soi-disant mère-patrie. L'idéologie du FDF est toujours proche du rattachisme. Evidemment, on a vu que les élites bruxelloises étaient tout aussi « crispées » par la Communauté Française avec le Manifeste Nous existons...

Les analyses quantitatives des rapports Bruxelles/Wallonie

On peut opposer à cela les analyses quantitatives de gens comme Pierre Lebrun (voir la partie I de cet article), ou Michel Quévit 8: la méfiance de la Wallonie à l'égard de Bruxelles ne fut pas affirmée en raison d'une sorte de complexe psycho-ethnique et elle n'est pas liée à une perception fantasmatique, mais tout simplement fondée sur une analyse quantitative de l'histoire économique du capitalisme en Belgique. L'analyse de Philippe Destatte ne lui est absolument pas personnelle, mais elle résume les études diverses de Jean Gadisseur 9, par exemple ou de Michel Quévit, ou de Pierre Lebrun ou de Francis Biesmans ou de Daniel Seiler, ou de P. Bairoch 10. Que dit Philippe Destatte ? Simplement que la Wallonie est, vers la fin de la deuxième moitié du 19e siècle, « la deuxième région industrielle du monde ... », mais qu'en arrivant à sa phase de maturité, la productivité wallonne s'emballe, les entrepreneurs prennent « des risques démesurés », avec cette conséquence que « Le système bancaire domine dès lors l'industrie en prenant des participations financières dans les entreprises, principalement par la création de sociétés anonymes. La décision économique échappe ainsi à l'espace wallon pour s'installer à Bruxelles, devenu centre financier lors de la mise en place du pouvoir politique belge en 1830. En 1847, tout est joué. Bruxelles structure et domine l'espace belge. » 11. Cette description a quelque chose de frappant en plein cœur de la crise financière qui ruine le monde en 2009.

Ultérieurement, quand les choses se renverseront, pour quelqu'un comme Pierre Lebrun, le choix de la bourgeoisie belge en faveur de la Flandre, après les difficultés rencontrées par la Wallonie, est délibéré. Huit avantages, selon lui, expliquent ce choix: proximité de la mer, majorité démographique, solidité physique, ordre et discipline, salaires légers, dynamisme des PME, bilinguisme et occupation des postes administratifs, effets positifs des lois d'expansion belges et européennes... 12 Ces analyses si classiques sont souvent oubliées chez ceux qui portent un jugement sur les origines du fédéralisme belge en en oubliant la dimension renardiste prédominante.

D'autres approches plus ethniques de ces rapports

Mais à notre avis, tant aux analyses (et préjugés) de Perin que de Pirenne ou du FDF (contre la Wallonie d'amon nos autes si complaisamment évoquée), ou celles de C.Kesteloot, il ne faut pas seulement opposer d'autres analyses sur le plan économique, comme nous venons de le faire. Mais signaler d'autres approches montrant que la vision FDF est incomplète. En 1983, Johan Leman rendait compte dans la revue Kultuurleven d'un numéro de la revue Kreatief consacré aux écrivains flamands de langue française 13 Ce compte rendu a été traduit dans la revue TOUDI, annuelle n° 2 en 1988. Johan Leman compare certains écrivains flamands de langue française à des immigrés de la seconde génération. Certains, comme Verhaeren ou De Coster par exemple, ne sont pas dans cette situation, mais dans la même que celle d'écrivains comme Ionesco ou Beckett chez qui le fait de s'exprimer en français est un choix conscient et pleinement assumé, pas du tout lié aux conflits psychiques qui sont, selon J. Leman, le fait d'autres écrivains flamands comme Ghelderode, Liliane Wouters ou même Brel. Conflits psychiques typiques des immigrés de la seconde génération.

Quels sont ces conflits ? Selon J.Leman, « Chez les immigrés de la seconde génération cette situation [soit le fait que les parents choisissent la culture du pays qui les accueille], entraîne plus d'une expérience de conflit durant l'adolescence, ce qui peut les marquer pour plus tard. L'enfant peut refuser le père complètement ainsi que le peu de la culture d'origine que celui-ci lui a transmis. L'enfant va alors accentuer les tics de la culture dominante qui est devenue son environnement... » 14 et l'auteur d'ajouter en une parenthèse éclairante : « combien d'anciens Flamands ne sont-ils pas devenus par ce biais, à un certain moment antiflamands ? » N'est-ce pas le cas de beaucoup de militants FDF ? Il est d'ailleurs une autre possibilité : « L'enfant peut aussi, même si cela semble paradoxal, refuser le père de manière plus subtile (et l'intégration à la culture d'accueil que celui-ci représente), en se rattachant à la culture d'origine dédaignée par les parents. »

On nous dira que cette ethno-psychologie est contestable sur le plan intellectuel ou théorique, tout comme celle, bien moins travaillée sociologiquement et anthropologiquement de C.Kesteloot. Mais Johan Leman, qui deviendra quelques années plus tard après la parution de cet article le président du Centre pour l'égalité des chances, ne discerne aucune pathologie chez les écrivains qu'il analyse, et salue positivement leur oeuvre, leur parcours, ce qui ne nous semble pas le cas de l'analyse des militants wallons par Chantal Kesteloot. L'historienne du FDF (et professeure à l'ULB) discerne chez les militants wallons de Bruxelles (ou d'ailleurs), rien moins que la psychologie de certains groupes génocidaires (voir plus bas), et tend à analyser les groupes wallons dont elle parle à partir de leurs perceptions et fantasmes, étendant cette observation aux intellectuels wallons d'aujourd'hui, comme on vient de le voir.

Sans aller jusque là, avec Johan Leman, on peut dire, pour compléter cette analyse, que Brel a des rapports d'amour-haine avec la Flandre : toute son œuvre a été analysée par un écrivain aussi subtil que Thierry Haumont comme l'idéal belge par excellence : une Belgique d'esprit flamand, mais chantée en français. Il est possible évidemment que certains Bruxellois, tant d'origine flamande que wallonne, fassent ce choix qui est l'idéologie FDF même, minimisant (ou disqualifiant), leurs autres appartenances (ou origines), un peu à la manière de Brel ou des militants wallons tels que décrits par l'historienne du FDF quand ils se rallient à ce parti. Mais il est évident que le choix du français (chez les Flamands), ou le choix d'une vision purement « Belgique française » (chez les Wallons), débouche sur une claire exclusion tant de la Flandre que de la Wallonie. Et sur le rattachisme.

Malaise face à l'idéologie FDF

On peut se demander si le choix de l'idéologie FDF est bien le choix mûr d'une identité bruxelloise apaisée, dans la mesure où elle suscite le rejet tant de la Flandre que des Wallons les plus lucides. On peut se demander aussi si ce choix FDF est le gage d'une issue démocratique et équitable à la question belge où serait fait droit à toutes les identités, tant de Flandre que de Bruxelles et de Wallonie.

J'ai critiqué en 2004 la conclusion de C.Kesteloot dans la mesure où elle révèle l'idéologie du FDF (je cite à nouveau cette conclusion en raison de l'affaire Aernoudt). La voici : « A l'instar de ce que Renan formulait il y a plus d'un siècle, à savoir que la nation se nourrit davantage de souvenirs douloureux que d'événements heureux, il apparaît plus facile de construire une identité nationale forte avec des souvenirs d'oppression qu'avec des souvenirs de domination. Et si c'était là aussi une des pièces du puzzle identitaire où, malgré l'affirmation assurée des uns, les autres ont du mal à se positionner, encombrés d'une identité mal partie, parce que mal définie, mal partie parce que trop conflictuelle et nourrie de trop d'obstacles. Là où l'identité wallonne cherche à se construire en soulignant d'abord ce qu'elle n'est pas, l'identité bruxelloise s'est élaborée sans trop se poser de questions. A partir d'une non-identité forgée de l'extérieur, tel un enfant non désiré, elle s'est imposée. Fruit de la Belgique, comme les identités wallonne et flamande, elle a cherché à s'émanciper de ses parents qui, chacun à leur façon, lui reprochait d'exister et de les opprimer soit linguistiquement soit économiquement. Restait alors à ce petit bout d'homme de puiser aux sources, sans être une addition et surtout pas une fusion, mais plutôt comme toutes les identités... une construction. » 15

Qu'est-ce une identité « nourrie de trop d'obstacles » ? Une identité qui a rencontré des obstacles sur la route qui mène à son affirmation ? Sans doute, mais ne faudrait-il pas le dire simplement ainsi pour se faire comprendre ? Et s'il s'agit de l'identité wallonne, aurait-elle rencontré des obstacles pour s'affirmer si elle se nourrissait surtout de souvenirs de la domination qu'elle aurait imposée ? Car, quand on domine, on a une longue série de souvenirs d'obstacles plutôt surmontés... Mais, ici, ce sont des obstacles qui créent des problèmes. Admettons que l'auteur veuille dire que contrairement aux Wallons, les Flamands ont été dominés et méprisés ? Mais par qui surtout ? Par les Wallons ? Alors que l'on sait que les Flamands francophones ont dominé les gouvernements belges à partir de la moitié du 19e siècle et que c'était eux, surtout, qui avaient des rapports avec les Flamands, par définition ? Les points d'interrogation ne sont pas rhétoriques. Il y a quelque chose d'obscur dans cette façon de s'exprimer, de vraiment pas du tout clair dans la forme (surtout), et sur le fond. Ainsi par exemple que signifie : « une non-identité forgée de l'extérieur » ? Cela veut peut-être dire que les Wallons comme les Flamands ont considéré que ni Wallons, ni Flamands, les Bruxellois étaient « en l'air » et donc n'étaient rien. Pourtant, les Wallons du moins ont été toujours conscients de cette spécificité bruxelloise dans la mesure où la Belgique définie comme étant en trois parties, c'est une constante du mouvement wallon. Et beaucoup de Flamands ont signé le Manifeste Nous existons, Wij bestaan. En plus, les Bruxellois ne nous semblent pas avoir subi vraiment une identité forgée de l'extérieur...

Si, du moins, on comprend ces lignes à partir de tout ce que dit Chantal Kesteloot et à partir de ce qu'elle aime à dire aux Flamands, à savoir que les Wallons les ont méprisés et ont eu un discours agressif à leur égard, on s'étonne un peu. Car il n'y a pas qu'eux qui ont été antiflamands tout de même ! et même pas d'abord eux. D'autant plus qu'aujourd'hui, très clairement, le discours antiflamand est l'apanage du FDF qui n'est jamais critiqué du tout pour cela par C.Kesteloot. Si l'identité bruxelloise s'est affirmée « simplement », ne serait-ce pas à cause du fait que l'identité d'une ville est bien plus vite définie que celle d'une région ou d'une nation ? La montée du FDF aurait correspondu à une affirmation francophone de Bruxelles débarrassée de la tutelle wallonne en quelque sorte. Mais aussi de la tutelle flamande ? Oui, mais les Flamands n'ont-ils pas des souvenirs d'oppression ? Ils auraient donc aussi opprimés ? Et, par ailleurs, cela n'a-t-il pas été une constante des projets fédéralistes wallons de toujours ménager une spécificité bruxelloise ? Contrairement aux Flamands ?

L'identité bruxelloise ne semble vraiment pas être celle du FDF

Il y a dans la façon de conclure de C.Kesteloot (dans ce livre éclairant sur le FDF mais qui est aussi éclairant parce que pro-FDF), un ton péremptoire qui semble s'étendre dans le temps bien au-delà de l'année où il a été tenu et qui n'est pas sans rappeler l'arrogance elle-même du grand parti antiflamand de la capitale.

Or deux ans plus tard, est paru le Manifeste bruxellois Nous existons qui, par la qualité de ceux qui l'ont signé au départ, est très représentatif de Bruxelles. Mais dont aucune signature n'est ou n'a été proche du FDF, aucune. Et dont l'affirmation est claire : Bruxelles autonome dans une Belgique à trois, ce qui était la position des Wallons du Congrès national wallon, dès 1945, ces Wallons supposés incapables de se définir. Les Wallons du Manifeste de 83, héritiers de cette tradition du fédéralisme à trois n'ont pas hésité une seconde à tendre la main, immédiatement, aux Bruxellois régionalistes de Nous existons. Pourtant, ces mêmes Wallons et leur mouvement politique sont considérés par l'historienne du FDF comme s'inscrivant (certes, partiellement), dans « la définition des conflits identitaires développé par François Thual » 16 Bon ! Que dit François Thual de ces conflits identitaires ? Selon Jean-Marc Ferry qui le résume : « François Thual est l'auteur de réflexions à la fois alarmantes et stimulantes sur le phénomène identitaire. Les conflits identitaires, tels qu'il les caractérise, ne sauraient être confondus avec les conflits classiques du XIXe siècle, marqués par les nationalismes. Le conflit identitaire suppose un "processus victimaire" dont Thual brosse un tableau clinique, inspiré par le modèle des psychoses paranoïdes : le sujet est assailli par l'idée d'une conjuration généralisée, autorisant le crime (en l'occurrence, le crime génocidaire). Le processus victimaire a été amplifié et porté à son paroxysme par les médias. Cela permet de renforcer l'identification de l'individu au groupe sur un principe d'adhésion fusionnelle et irrationnelle, par quoi "l'identitaire se situe au point de rencontre de l'individuel et du collectif". Les exemples actuels, parmi les plus frappants, en sont la Serbie, la Croatie, la Géorgie, l'Arménie. La guerre s'explique par la hantise de la haine de l'autre. Cela déclenche un processus guerrier, voire barbare, qui renvoie à des mécanismes dont, par ailleurs, Franco Fornari avait pu offrir une analyse kleinienne à propos des risques pantoclastiques inhérents à la "situation atomique " » 17.

Evidemment,ce qui étonne le plus en tout ceci c'est que Chantal Kesteloot ait finalement signé le Manifeste bruxellois Nous existons!

D'autant plus étonnant qu'elle avait apporté au FDF à la fin du livre qu'elle lui consacre, cette référence absurde à Thual qui lui permettait de conforter la manière outrancière dont le FDF prend position vis-à-vis de ceux qu'il appelle les extrémistes tant flamands (explicitement) que wallons (implicitement). Il ne semble pas que ce soit la bonne façon de favoriser l' agir rationnel en vue de l'entente dont Flamands, Bruxellois et Wallons ont tant besoin. On en rirait si le FDF n'avait montré qu'il est capable d'imposer ses vues (celles-là comprises, fatalement, même si c'est implicite), à tout parti wallon qui s'allie à lui, comme le MR vient d'en faire l'amère expérience après le Rassemblement wallon en 1981 qui en est mort.

Pourquoi, au lieu de stigmatiser les Wallons (ou les Flamands), les militants du FDF ne reconnaîtraient-ils pas qu'ils ont à s'entendre avec ces deux partenaires? Les Bruxellois attachés à leur Région pourraient, sans rien renier, voir le bien qu'il y a à s'entendre avec les deux autres groupes de « Belges » et se contenter de s'exprimer au nom de la région centrale du pays et de ses intérêts, au lieu d'habiller leurs dires des clichés universalistes éculés de l'humanisme français en vue, soit de diaboliser la partie flamande du pays, soit de déclarer hors-la-loi sa partie wallonne si elle s'affirme comme telle. Ils ne perdraient pas - et même c'est le contraire - les liens forts qui les unissent à la Wallonie. Tant du côté régionaliste wallon que bruxellois, on est parfaitement conscient d'avoir le français en héritage, soit entièrement, soit en bonne partie. Mais cela ne signifie pas que Bruxelles doive s'armer comme une machine de guerre francophone et antiflamande. Cela ne signifie pas non plus que toute affirmation des Wallons en faveur de leur identité wallonne serait une manière de rejeter Bruxelles voire de renier leur caractère francophone et la France. Il est évident que la montée en puissance de Bruxellois qui s'affirment simplement comme Bruxellois met à l'aise tant les Flamands que les Wallons. Elle mène peut-être à son terme l'émancipation réalisée par le FDF. Et, en ce sens, le travail de Chantal Kesteloot est intéressant en ce qu'il montre qu'une étape a été franchie, les analyses de ce travail étant dépassées (si l'historienne n'avait pas à prévoir l'avenir, elle aurait pu cependant anticiper sur l'accord que donneraient les régionalistes wallons aux régionalistes bruxellois d'autant qu'elle cite une déclaration d'André Renard : ''Je déplore sincèrement qu'il n'y ait pas un mouvement bruxellois pour le fédéralisme.'' 18). Le manifeste bruxellois augure d'une entente et permet d'espérer une fin apaisée et féconde des conflits communautaires. En s'estimant de valeur égale pour ce qui regarde son identité, au lieu de supposer des fantasmes génocidaires chez les uns, des complexes de supériorité chez les autres, des impérialismes chez les troisièmes. L'idée de se sauver en s'annexant à la France est absente de pareil propos qui invite plutôt à s'assumer dans des procès d'entente. 19

  1. 1. Le FDF au coeur des invariants transhistoriques belges
  2. 2. Au nom de la Wallonie et de Bruxelles français, Complexe-Ceges, Bruxelles, 2004, p. 13.
  3. 3. Un Manifeste francophone
  4. 4. Emmanuelle Labeau The paradox of Linguistic specificity and Dependence on Central Norms in the Belgian Regionalist Novels of Arthur Masson in Kamal Salhi Francophone Post-colonial Cultures: Critical Essays, Published by Lexington Books, 2003 pp 275-282.
  5. 5. Jacques Willequet, Albert Ier, roi des Belges, Presses de Belgique, Bruxelles, 1979, p. 214. « un accent wallon mâtiné d'allemand » écrit Jacques Willequet.
  6. 6. C.Kesteloot, op. cit., pp-13-14.
  7. 7. Chantal Kesteloot, op. cit, p. 281.
  8. 8. Les causes du déclin wallon, EVO, Bruxelles, 1978.
  9. 9. Le Produit physique de la Belgique, 1830-1913, Thèse de doctorat, Liège 1980
  10. 10. Niveaux de développement économique de 1810 à 1910, in Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, novembre-décembre 1965, p. 1110
  11. 11. Philippe Destatte, L'identité wallonne, IJD, Namur, 1997, pp. 49 et 51
  12. 12. Pierre Lebrun, Le traitement idéologique du problème majeur de l'emploi par la société-époque belge, in Contradictions, n° 80, 1996, pp. 61-88.
  13. 13. Moeder Vlaanderen en haar franse kinderen, in Kultuurleven, mars 1983, pp. 282-287.
  14. 14. Johan Leman, op. cit, p. 120.
  15. 15. C. Kesteloot, op. cit., p. 301.
  16. 16. C.Kesteloot, op. vit., p. 120.
  17. 17. Jean-Marc Ferry, Conflits identitaires, droit cosmopolitique, justice reconstructive, in : J. Barash, M. Delbraccio (Ed.), La Sagesse pratique. Autour de Paul Ricœur, CNDP-CNRP, Amiens, 1998.
  18. 18. Chantal Kesteloot, Au nom de la Wallonie et de Bruxelles français, p. 423.
  19. 19. Manifesto for Walloon Culture et Manifeste pour la culture wallonne