La Belgique qui meurt (II): Actualité du renardisme

7 août, 2010

Bart Sturtewagen écrit dans De Standaard de ce jour que l'approche de Di Rupo dénote l'attentisme et la circonspection qui a marqué sa carrière. 1 Il y aurait de quoi se demander si cette manière d'être (qui ne relève pas seulement du caractère), n'est pas significative d'une inertie wallonne plus généralisée dans la structure présidentocratique. Les hommes qui précédèrent Di Rupo au PS ont été des gens quand même profondément marqués par la puissance du mouvement wallon et le renardisme, mouvement et modèle d'action demeurés vivants en certains points d'appui de la société wallonne, sans doute apparemment affaiblis, mais qui ont toujours été minorisés (une minorité peut cependant entraîner une majorité).

Actualité du renardisme

Un auteur anglais Erik Jones a récemment analysé en ces termes le conflit entre syndicalisme de défense professionnelle et le syndicalisme plus politique d'André Renard en 1960-1961: "Le conflit à l'intérieur du mouvement ouvrier se développa entre partisans d'un syndicalisme de défense des intérêts professionnels et partisans d'un syndicalisme d'action directe et politique 2 Chez les socialistes, le fait que Renard ait été isolé permit à Major de reprendre le contrôle de la FGTB-ABVV. Major se mit aussitôt à promouvoir un syndicalisme de défense des intérêts professionnels par opposition au syndicalisme d'action directe. Dans le même temps, la discipline observée par les syndicats chrétiens durant les grèves de l'hiver [NDA 1960-1961] donna à l'ACW-MOC une nouvelle autorité dans les négociations avec le gouvernement et les entreprises. Une telle autorité était capitale dans le cadre du partenariat social étant donné qu'à la même époque les syndicats chrétiens avaient le plus grand nombre d'adhérents. Ces modifications dans le mouvement ouvrier modifia l'équilibre entre le syndicalisme de revendications professionnels et le syndicalisme d'action directe, permettant par là-même une coopération plus étroite entre le monde des affaires, les travailleurs et le gouvernement. 3 Ces lignes gardent une réelle actualité dans la mesure où la FGTB wallonne demeure une structure syndicale qui développe des vues politiques, ce que faisait mais ne fait plus guère la CSC.

...et du combat wallon

S'inspirant du récent e-book publié par Re-bel 4, La Libre Belgique estime que les Communautés et Régions assument 25% des dépenses totales de gouvernement. Mais y compris la Sécurité sociale qui, d'une certaine façon, est autonome par rapport au(x) gouvernement(s). Rappelons que Charles-Etienne Lagasse estimait que, hors le service de la dette, sur l'ensemble des recettes budgétaires des trois niveaux de pouvoir, l'Etat fédéral ne représentait plus que 48,40%. Et que 87,8 % des agents des services publics relevaient des Etats fédérés 5.La Fondation André Renard 6, compare plutôt les différentes dépenses de tous les niveaux de gouvernance publique (y compris la Sécurité sociale): 39,8 milliards d'€ au fédéral (dont 14,3 milliards de charges d'intérêt), 19,7 milliards d'€ pour la Communauté flamande, 6,8 pour a Communauté Wallonie-Bruxelles, 5,4 pour la wallonie, 2,3 pour Bruxlles, 17 pour l'ensemble des pouvoirs loccaux et 52,4 milliards pour tous les secteurs de la Sécurité sociale.

L'affadissement de la gauche en Wallonie mène également à un affadissement du combat wallon, mais celui-ci n'a jamais pu finalement être efficace qu'en se trouvant des lieux relativement extérieurs au monde politique et même au monde syndicaliste classiques.

Voir La Belgique qui meurt (I)

  1. 1. Tot dusver vertoont zijn aanpak de omzichtigheid en de afwachtendheid die zijn politique carrière kenmerken. DS, 7 août 2010
  2. 2. Nous traduisons le mot anglais "corporatism" par l'expression "syndicalisme de défense des intérêts professionnels" et le mot "syndicalists" par "partisans du syndicalisme d'action directe" étant donné que le mot "syndicalism" en anglais est une doctrine qui prône un rôle directement politique pour les syndicats avec des nuances au sein des ''syndicalists''. Même si cette tendance est peut-être affaiblie dans le syndicalisme wallon FGTB, elle le différencie toujours d'une CSC wallonne qui, un certain temps, s'en est rapprochée mais qui sur ce plan-là, apparaît comme complètement éteinte.
  3. 3. Erik Jones, Economic Adjustment and Political Transformation in Small States: "The conflict within the labour movement was between corporatists and syndicalists. Among the Socialists, the isolation of the Renardist syndicalists placed Louis Major firmly in control of the FGTB-ABVV. Major soon began promoting the doctrine of corporatism as opposed to direct action. At the same time, the discipline of the confessional trade unions during the winter strikes gave the ACW-MOC new authority in dealings with the government and with industry. Such authority was essential to the social partnership given that the confessional trade unions by this time had the largest membership. These changes within the labour movement altered the balance between the syndicalist and corporatist traditions in labour relations, thereby permitting a form of close co-operation between management, labour and government, which hitherto had been impossible." Document PDF, p. 92. Ce PDF deviendra d'un livre paru aux presses de l'Université d'Oxford en 2008, avec le même titre.
  4. 4. Towards a more efficient and fair funding of Belgium’s regions?
  5. 5. Les nouvelles institutions de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, p. 289.
  6. 6. Voir La Belgique qui meurt (I) (L'obsession du "projet francophone" )