Les pauvres et la "Wallonie qui gagne"
Christine Mahy est la secrétaire générale du RWLP 1, le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté et préside le Conseil d'administration du Réseau belge de lutte contre la Pauvreté dont la présidence est tournante (confiée tour à tour à un responsable wallon, bruxellois ou flamand).
TOUDI - Qu'est-ce que ce Réseau?
Christine Mahy - Le Réseau est né, il y a 25 ans d'ici, de la fédération d'associations de luttes contre la pauvreté, actives sur le terrain et désireuses de porter cette lutte sur le plan politique. En 2002, celles-ci se sont interrogées sur la question du sens et de l'efficacité du Forum (le réseau portait ce nom alors), d'une telle association d'associations. Il a été demandé à Joseph Charlier d'étudier la chose. Riche de son parcours de vie assez singulier, il devient conseiller pour notre Réseau. Fils de fermier, il a fait des études d'instituteur, puis l'histoire à l'université. Il a travaillé durant une quinzaine d'années en usine dans la région de Verviers. Il a été aussi consultant dans le monde syndical. Il a notamment piloté le Projet Pays de Herve
Il a donc rencontré des associations en vue de voir l'intérêt qu'elles avaient à travailler ensemble, notamment Le Miroir vagabond et en 2004 nous avons fondé l'asbl RWLP avec un projet bien déterminé par son appellation même Eliminer la pauvreté à l'horizon 2025.
L'idée a tout de suite été de dire que si on veut réduire et même éliminer la pauvreté, il faut agir sur les structures qui l'engendrent. Car, quand les gens ont le minimum nécessaire pour s'en tirer, ils s'en tirent et ne tombent pas dans la pauvreté. Ce raisonnement est vraiment à la base de toute notre philosophie.
Nous avons une convention avec le Gouvernement wallon, non pas tel ou tel responsable du gouvernement wallon, par exemple le ministre responsable des affaires sociales, mais avec l'ensemble de ce gouvernement en vue de poser la question de manière globale et que la problématique de la pauvreté ne soit pas enfermée dans une catégorie ou un espace de pouvoir clos du type « affaires sociales ».
TOUDI - Ne faut-il pas cependant une politique sociale ?
CM - Oui. Mais si la politique de lutte contre la pauvreté était organisée globalement ou si le souci du social était présent dans les différents départements ministériels, cela changerait les choses. Si les politiques du logement, de l'emploi, de l'enseignement étaient mieux conçues en fonction de ce que devraient être leurs finalités, il y aurait infiniment moins besoin de politiques réparatrices (aides spéciales, assistance etc.). Par exemple, concrètement, si le logement était moins coûteux. Il y aurait alors bien des politiques sociales qui n'auraient plus leurs raisons d'être. Une société vraiment saine, vraiment équilibrée, n'aurait plus besoin de politique sociale réparatrices. Elle n'en aurait plus besoin que pour les situations tout à fait particulièress d'individus qui font, comme on le dit « de grosses conneries » ou, alors, les accidents inévitables de la vie comme par exemple les maladies, ainsi que pour les aléas inévitables tels que le vieillissement, le handicap, tout ce pourquoi précisément la Sécurité sociale est conçue et l'aide sociale devrait se consacrer
TOUDI - Ce n'est pas le cas évidemment...
CM - Aujourd'hui, on n'a jamais eu autant d'assistants sociaux et d'assistantes sociales qui accomplissent des missions de plus en plus variées vis à vis de populations de plus en plus différenciées qui n'ont plus d'emploi, qui n'ont plus de logement, que l'école n'a pas réussi à intégrer ou à émanciper etc. Et qui sont pauvres...
TOUDI - Qu'est-ce qu'un pauvre ?
CM - La pauvreté c'est être gravement privé de l'accès à des biens élémentaires de trois sortes : matériels, immatériels et naturels. Soit, dans l'ordre (pour donner des exemples simples) : avoir une maison, être en bonne santé, être en mesure de se déplacer... ; posséder une bonne formation, avoir accès à la culture et au savoir... ; disposer d'espaces non pollués et d'espaces verts, voire d'espace tout court...
Les pauvres sont des battants
Il y a des personnes qui peuvent être momentanément privées de l'un ou l'autre de ces biens élémentaires : la voiture est totalement sinistrée, on perd son travail, on tombe gravement malade... Cela ce n'est nullement la pauvreté, ce sont des épreuves que l'on rencontre dans la vie et au bout desquelles on finit par rebondir et peut-être même par renforcer ses capacités de faire face.
La pauvreté c'est quand on est installé pour longtemps, durablement, dans la privation de ces biens élémentaires et quand, de ce fait, plus aucune erreur ou aléa de la vie ne sont permis parce que, alors, on retomberait encore plus bas. Prenons l'exemple d'un jeune célibataire qui gagne 1200 € par mois qui vit seul, qui doit donc louer un petit appartement et qui peut-être aussi doit, pour son travail, avoir une voiture. Il n'en sort, il n'arrive à la fin du mois que s'il ne commet jamais d'erreurs et qu'il ne lui arrive rien comme imprévu. Il suffirait par exemple qu'il ait un accident de voiture - admettons même que ce soit de sa faute, suite à une négligence, une erreur , ce qui peut arriver à tout le monde - il risque de se retrouver dans la pauvreté. Tel est le piège de la pauvreté. Les personnes qui sont dans des situations de ce type, qui sont des situations limites si l'on veut, doivent être vraiment tout le temps parfaites - ne jamais commettre d'erreurs, je le redis - car si c'est le cas elles basculent. Il ne faut d'ailleurs pas seulement éviter les erreurs ou les accidents, mais il faut aussi s'autocensurer face aux désirs que les incitations permanentes à la consommation font naître en chacun d'entre nous (désirer une télé à écran plat, un Smartphone, faire plaisir à ses enfants... tout ce que l'on voudra qui fait partie de ces tentations auxquelles chacun d'entre nous peut succomber). Il faut aussi qu'il résiste à la tentation d'aller boire un verre ou deux, comme nous sommes en train de la faire ici même, qu'il conduise toujours bien la voiture. S'il (elle) a un enfant et que cet enfant a des lunettes, il ne faut pas que cet enfant casse ses lunettes car la dépense pour les remplacer peut avoir de graves conséquences. Il y a là un stress intense.
TOUDI - N'est-ce pas le cas de tout un chacun ?
CM - Non, parce que ici il faut bien s'imaginer que les pauvres doivent faire des parcours sans aucune faute puisque la moindre faute peut leur être fatale ou du moins avoir des conséquences incalculables. Il faut bien se rendre compte que lorsque l'on est dans une telle situation, il y a une énergie considérable qui est exclusivement consacrée à la gestion de la matérialité du quotidien. Toute l'énergie de ces personnes se trouve totalement mobilisée en fonction de ce seul but. Ce sont des personnes finalement assez extraordinaires quand elles tiennent le coup (et c'est le cas d'une majorité d'entre elles), car outre toute cette énergie dépensée à affronter les difficultés sans pouvoir se permettre une seule erreur, elles doivent être en plus sans cesse sur le qui-vive, tout le temps anticiper les problèmes ou les accidents possibles de la vie... Les gens qui ont un peu d'aisance peuvent se permettre tel ou tel écart, peuvent subir tel ou tel accident ou revers, aller même jusqu'à perdre momentanément un emploi : chez eux, il y a des réserves (de tous ordres, sociales, financières...), qui permettent de voir venir en cas de coup dur alors que chez les personnes pauvres, on se retrouve tout de suite en grave difficulté au moindre pépin.
Beaucoup de ces personnes se retrouvent terriblement appauvries par exemple à la suite de la perte d'un boulot. A un tel point que la perte de ce travail les oblige à « travailler » peut-être encore plus qu'avant, c'est-à-dire à résoudre tous les problèmes liés à la situation de cette perte d'un emploi. Alors, les gens s'usent moralement, physiquement, d'autant plus qu'à ces deux usures viennent s'ajouter la perte de confiance en soi et un état de stress permanent qui peut avoir comme conséquence le naufrage dans la dépression profonde ou l'alcoolisme. Car cela mange l' énergie.
TOUDI - C'est curieux, en vous entendant parler, on a l'impression que les pauvres doivent subir la pression qu'on dit être celle de grands sportifs par exemple ou de vedettes un peu comme s'ils devaient être des battants...
CM - Oui, c'est le mot. Les pauvres doivent être des battants, ils ne peuvent qu'être des battants...
TOUDI - On se souvient aussi que Geneviève de Gaulle-Anthonioz qui avait fait l'expérience des camps de la mort nazis, comparait la situation des familles de l'époque des bidonvilles en France à celle des internés des camps de concentration, la résistance en vue de la survie étant comparable.
CM - Oui, et ce qu'il a de plus curieux chez un grand nombre de responsables, c'est que tout ce que je vous dis ici est très mal compris. Combien de fois n 'entend-on pas dire : « Ah ! mais si ces gens avaient un peu de volonté, ils s'en sortiraient ! », alors que, précisément, ces personnes précarisées ont énormément de volonté, de résistance.
Les pauvres sont des gens créatifs et volontaires
Les pauvres doivent également dégager une énergie fantastique pour s'insérer dans la société, tandis que les non-pauvres n'ont pas ce genre de difficultés et que, eux, ne doivent justement pas faire d'efforts. C'est très paradoxal au sens étymologique : ce que je viens de dire ici est bien la réalité mais à l'opposé de l'opinion dominante.
TOUDI - Une difficulté pour s'insérer ?
CM - Oui, pour s'insérer. Celui qui n'a pas connu ces difficultés ne peut pas vraiment comprendre ou réaliser de ce dont il s'agit. J'ai connu ainsi une maman qui, lorsqu'elle était petite, a eu une vie à l'école extrêmement pénible parce qu'elle y arrivait en retard, sale et mal nourrie. Du coup, avec le souvenir des critères qui l'avaient exclue et stigmatisée, elle se souciait seulement pour ses propres enfants de la lessive et de la nourriture à l'exclusion de toutes les autres choses dont des parents doivent se préoccuper. L'école ne soupçonnait absolument pas les immenses efforts que cette femme accomplissait pour que ses enfants arrivent à l'école à temps et propres. D'une manière générale d'ailleurs, la société ignore complètement les efforts faits par les personnes pauvres dans la mesure où la population moyenne ne doit pas redouter trop les accidents qui mettent en péril grave les personnes en étant de privation grave.
Je déteste aussi des mots ou des expressions comme « pauvreté générationnelle » (définissant le fait que les situations de pauvreté en quelque sorte s'héritent). Je préfère l'idée de « pauvreté durable » à l'idée de pauvreté générationnelle. Ce qu'il faut surtout voir, c'est que les populations précarisées ont des habitudes de vie liées à la privation : le manque de mobilité, l'absence de réjouissances en famille par exemple, tout une façon de vivre qui est marquée très profondément par le fait que les ressources disponibles sont très limitées. C'est d'ailleurs aussi cela que l'on ne comprend pas quand on reproche à ces personnes de ne pas vouloir sortir de l'état où elles se trouvent. Car pourquoi résistent-elles à ces changements qu'on veut parfois leur imposer ? Parce que ce serait pour elles détruire justement ce qu'elles ont le mieux réussi à faire, avec parfois des prodiges d'ingéniosité. L'exemple à donner ici, c'est celui des campings en Wallonie. Les résidants de ces campings seraient mieux dans une maison, peut-être, mais ils ne disposent pas de ressources pour cela et par contre ils habitent ces campings avec beaucoup d'intelligence. Ils y ont été d'ailleurs contraints par les coûts du logement et d'autres obstacles qui les ont poussés à faire preuve parfois d'une inventivité extraordinaire, même si elle est parfois illégale mais dans le cadre d'une société qui les coule.
TOUDI - Illégale ?
CM - Oui ce qu'aujourd'hui on qualifie de fraude sociale par exemple. Moi, je trouve que cela révèle au contraire une grande intelligence des mécanismes qui les détruisent par ceux qui sont privés de choses essentielles, en même temps qu'un courage pour rester debout qui n'est nullement compris. Comme par exemple le fait d'avoir des domiciles fictifs pour ne pas perdre une allocation dont la suppression signifierait le basculement dans la misère. J'ose même dire que lorsque les gens ne sont même plus assez motivés pour« tricher » en ce sens, c'est alors qu'ils s'effondrent. Mais le courage de « frauder » socialement s'explique par le fait que la société en bien des cas n'offre plus le minimum vital qui permet de survivre. Alors que ces gens se battent, la machine semble s'ingénier à les broyer. Si l'on fraude ici, c'est parce que c'est une question de vie ou de mort. Au lieu de combattre cette fraude, la société devrait comprendre que cette fraude révèle à quel point le système ne fonctionne décidément plus . Au fond, ces personnes dans les campings inventent un logement social que la société est incapable de mettre à leur disposition.
TOUDI - Il y a tout de même fraude ?
CM - Oui, évidemment, mais... J'entends des gens qui me disent alors qu'il faut garder le respect pour l'Etat de droit etc. Mais si certains citoyens doivent inventer des systèmes pour contourner les lois et cela tout simplement pour survivre dans des conditions de privation déjà très grandes, c'est que les lois ne sont plus adaptées. Le « peuple d'en-bas » est obligé d'aller contre les lois. Du coup certaines « élites d'en-haut » estiment alors que les « en-bas » font tout pour demeurer dans une situation d'assistés. Plutôt que de prendre en compte que les « en-bas » proposent par la pratique des dispositions qui seraient adaptées à leurs besoins. Ils participeraient ainsi aussi à l'organisation de l'état de droit.
En réalité, ces soi-disant assistés sont en face de situations terriblement difficiles à gérer et utilisent tous les subterfuges possibles. Comme cette maman seule avec cinq enfants à l'école qui, pour pouvoir faire face à tous les frais entraînés par la scolarité se débrouillait pour que ces enfants soient absents en classe pour en éviter le plus possible, tout en s'arrangeant pour que ces absences ne dépassent pas le maximum admissible. Evidemment, les pauvres n'expliquent pas tous les trucs qu'ils utilisent pour s'en sortir de sorte que leur intelligence n'est pas reconnue. Or, quand ils sont en difficultés, ils en arrivent parfois à se retrouver dans un CPAS et devant une assistante sociale qui leur dit qu'ils devraient faire un effort pour s'en sortir alors qu'ils ne font que cela, des efforts et depuis toujours.
TOUDI - Ce sont des gens humiliés ?
CM - Ce que les gens vivent le plus mal c'est que l'on mette en doute leur capacité à faire face : lors d'une rencontre informelle avec des acteurs du monde économique en Wallonie, un patron me dit que les gens se complaisent dans leur situation d'assistés, mais il n'y a vraiment que peu de gens qui veulent être des assistés. Car « assistance » signifie contrôle. Il y a une contradiction dans le système à prôner d'un côté l'esprit entrepreneurial et à prôner de l'autre la mise sous tutelle des personnes précaires.
Les aides n'aident pas
Jusqu'à présent je n'ai jamais dû demander une aide sociale de sorte que je ne suis pas contrôlée et donc je fais ce que je veux. Quand vous recevez une aide c'est lié à une batterie de contrôles. La logique de l'aide sociale c'est une logique de la domination. Quand des personnes sont aidées elles sont soumises à une batterie d'expertises et de contrôles : on leur envoie un expert en économies d'énergie, on les oblige à faire des repas diététiques, on leur demande de résister à la tentation de la consommation, etc.Logique de domination : il est curieux de voir que les même personnes qui reprochent aux pauvres de succomber aux tentations de la société de consommation - par exemple d'avoir de grandes télé à écrans plats - en ont aussi ! Les gens qui sont aidés socialement sont tenus d'avoir une vie parfaite. Ils sont à ce point écrasés par les contrôles liés aux aides reçues qu'une des manières pour eux de s'en sortir, c'est d'avoir la chance de se retrouver dans une situation où ils ne soient plus forcés de devoir demander des aides.
TOUDI - L'esprit entrepreneurial, la Wallonie qui gagne ?
CM - Le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté peut s'insérer dans cette logique-là en disant aux monde politique, syndical et économique : « Vous voulez une Wallonie dynamique et qui gagne ? Eh bien ! alors il faut la faire avec tout le monde. » Si les gens d'en-bas sont placés dans des conditions où ils sont mis à genoux tous les jours, c'est une perte sèche pour le dynamisme global. Pour eux l'essentiel de la vie est investi dans quelque chose de si étriqué socialement (la matérialité la plus limitée de la vie quotidienne), que leur créativité, leur courage, leur dynamisme est perdu pour la collectivité. Or, on est en train d'intégrer dans le système la gestion de la pauvreté durable, car on augmente les services pour s'occuper de ce paquet de pauvres. Les gens pauvres et appauvris génèrent la création de tout un champ d'emplois, notamment d'emplois qui visent à les contrôler. Il peut aussi exister une tendance à qualifier ces personnes de personnes atteintes de maladie mentale alors que c'est la pauvreté qui tue. Et puis après la maladie mentale on trouve la prison. Va-t-on accepter que ces personnes puissent faire des choix de vie pour eux ou pour leurs enfants ou bien songe-t-on à eux comme aux rebuts du système qu'il faut intégrer ou gérer ? Je viens d'évoquer le passage de la situation de la pauvreté à sa caractérisation comme maladie mentale et de celle-ci à la prison. C'est un peu comme le système scolaire qui fait passer les gens de techniques en professionnelles, de CEFA (Centre de formation en alternance), en SAS (Services d'accrochage scolaire). et après cela c'est la prison ? On va vers cela vers une exclusion durable et structurelle. La pauvreté ne serait plus alors qu'un secteur du système à gérer alors que l'on devrait développer les potentialités du pauvre et de la pauvreté, reconnaître par exemple leur aptitude à se débrouiller dans les situations les plus complexes et périlleuses.
On parle d'esprit entrepreneurial. Voici un exemple. Il y a sur la commune de Durbuy, des chalets installés dans une zone agricole. L' autorité régionaleoblige les résidants à tout démonter et à partir alors qu'ils ont acheté la parcelle sur laquelle est édifiés leurs chalets de longue date pour beaucoup. Ils ont mis au point des panneaux solaires, des groupes électrogènes, un système de fosse sceptique et d'épuration des eaux usées, le tout avec une certaine organisation collective, ayant même développé pour l'un d'eux tout un petit élevage comme c'était prescrit autrefois pour les acquéreurs de logements construits par la petite propriété terrienne. Or voilà, face à cela, on massacre tout. Ne devrait-on pas au contraire reconnaître leur compétence ? Et revoir la définition de la zone, que l'administration soit inventive comme ces gens ? C'est d'ailleurs étrange qu'on agisse de cette façon puisque ce qui est demandé au niveau collectif wallon, c'est que les gens soient imaginatifs et créatifs.
TOUDI - Le fait de reconnaître cette compétence, cette créativité et cette imagination ne va quand même pas résoudre le problème ?
CM - Cela amènerait quelque chose d'important, un déplacement du regard chez les décideurs qui pourrait également générer un climat de confiance entre l'administration et la population, un climat qui existe déjà peu entre la population en général et l'administration, mais encore moins entre l'administration et les pauvres. Or ce type de réactions de dénigrements, c'est lié à des préjugés sociaux. Les premières familles qui dans les classes moyennes privilégiées ont été amenées à faire des habitats groupés avec une série de choses mises en commun ont été aidées par la collectivité, au moins par le regard que l'on portait sur ces gens qui étaient considérées du fait de leur démarche comme les inventeurs d'une nouvelle manière d'habiter, de vivre ensemble etc. En les valorisant socialement, on les a aidés (et pas seulement sur ce plan), tandis que les plus pauvres prenant des initiatives semblables sont critiqués, même si contrairement à ce que l'on dit d'eux (« ce sont des assistés »), ils cherchent à s'en tirer par eux-mêmes. Il y a là une violence extraordinaire. Le terme même d'assisté est d'une terrible violence. Qui sont les assistés ? Il est intéressant de voir à quel point le secteur associatif se culpabilise de vivre aux prétendus « crochets » des subsides alors que l'on peut facilement se rendre compte que les entreprises les plus aidées sont celles du secteur industriel et commercial.
TOUDI - Les pauvres ne sont pas des assistés ?
CM - Les déductions fiscales ne profitent jamais aux pauvres. Les aides qui concernent les ménages les plus démunis comme certains prêts à 0 % pour des économies d'énergie, les primes pour l'électroménager de base (frigos par exemple), tout cela reste anecdotique.
Il faudrait revenir par exemple à l'individualisation des droits qui ferait que, au sein d'un même ménage, on puisse cumuler plusieurs allocations sociales. Le fait qu'on empêche ces cumuls a des effets contreproductifs. Le cas n'est pas rare d'un fils qui devient majeur au sein d'une famille démunie occupant un logement social et qui peut bénéficier d'une allocation de chômage pour pouvoir recevoir l'allocation plus élevée d'un chômeur isolé, va louer un autre logement social un peu plus loin qui sera en réalité un domicile fictif, car il ne va rien changer à sa façon de vivre, mais, en attendant, de telles pratiques diminuent l'offre de logement social. La non individualisation des droits a des conséquences lourdes, car si deux personnes vivent ensemble, elles vont alors avoir des revenus moindres, ce qui aura comme conséquence qu'elles devront être aidées à moins qu'elles ne fraudent en prenant par exemple des logements faussement distincts. Cette possibilité de vivre ensemble ne cause aucun problème à ceux qui ont un emploi et qui par exemple louent une maison en commun. On devrait organiser un système permanent capable d'évaluer, dans tous les cas de nouvelles législations, quel en serait l'impact sur les plus démunis.
Un économiste américain a étudié le lien entre la santé globale d'une population donnée et le niveau d'inégalité de cette société. Il en conclut que plus les injustices sont grandes, plus les difficultés globales de santé sont grandes pour l'ensemble de la population, quel que soit le niveau social. Alors que le dans une société plus égalitaire le confort social et même physique est plus grand pour tous.
Le texte de cette conversation a été établi par Christine Mahy et la rédaction de la revue TOUDI
Voir aussi Conversation avec Christine Mahy, élue wallonne de l’année