Médias et "Wallonie terre promise" (sur P.Verbeken)

VRT et RTBF se ruent sur de formidables poncifs
6 février, 2010

Voir l'article rédigé après lecture du livre Critique : "La Terre Promise. Flamands en Wallonie" (Pascal Verbeken) (ajout du 27/2/2010)

Je n'ai pas encore lu La terre promise (Flamands en Wallonie) de Pascal Verbeken (Le Castor Astral, 2010), mais mes appréhensions sont grandes à l'égard de ce livre. Les médias, plus cyclopéens que jamais, se sont rués vers ce livre en le décrivant déjà d'une manière fausse comme s'attachant à une dimension oubliée de notre histoire. C'est absurde parce que Yves Quairiaux avait longuement analysé cette question, limitant d'ailleurs son enquête solide, étayée par des chiffres, d'innombrables documents, un travail long et acharné, à la période qui précède 1914 dans L'image du Flamand en Wallonie, Labor Bruxelles 2006 (sans doute déjà trop tard pour que les médias le lisent), un ouvrage de 664 pages dont 200 qui contiennnent les 2000 notes de ce travail qui lui ont pris bien plus de temps à mon avis que le bouquin de Verbeken, les médias n'en ont d'ailleurs pas parlé autant. On peut lire un long compte rendu de ce livre à partir du lien indiqué ci-dessous.

En outre, le film qui est tiré de ce livre va être projeté à la VRT et à la RTBF, cette dernière télévision particulièrement compétente en lutte contre les préjugés, notamment antiwallons dans lesquels, tout le monde le sait, elle excelle plus que jamais, étant, plus que jamais, la télévision de la capitale se penchant sur "la province".

J'ignore le temps qu'a pris Pascal Verbeken pour rédiger ses 316 pages dans la même maison d'édition (peu regardante à mon avis, on va voir pourquoi), qui avait accueilli le livre de Guido Fonteyn Adieu à Magritte, publié la même année que l'ouvrage de Quairiaux et où les erreurs s'accumulent (je donne le lien en bas de ce court éditorial vers le livre de Guido Fonteyn et les critiques que je lui ai faites, à contre-coeur parce que c'est un ami).

On lit l'interview de Pascal Verbeen dans Le Soir et on n'est guère rassuré parce que William Bourton et Pascal Lorent osent parler pour le 19e siècle de "l'opulence wallonne d'autrefois" (Le Soir, 6/2/2010 p. 16). Il faut le redire, les médias sont cyclopéens. Surtout quand ils se mettent à poursuivre les "préjugés" un peu comme Don Quichotte se lançait à l'assaut des moulins. S'il y a bien un préjugé unitariste, c'est celui des deux commentateurs du livre de P.Verbeken. L'idée que la Wallonie a d'abord été "riche" face à une Flandre "pauvre" est une idée extrêmement répandue en Wallonie depuis des décennies. C'est tellement de notoriété publique que je ne veux même pas le prouver: il suffit de réécouter ce que dit le primat de Belgique à ce propos.

Or, les vrais historiens comme Martin Conway ne parlent pas d'une Wallonie opulente. Martin Conway, professeur à Cambridge, dans son ouvrage Degrelle. les années de collaboration, Labor Bruxelles, 2005, discrédite profondément cette thèse sur laquelle les médias vont se jeter tous, dans les prochains jours, comme la pauvreté sur le monde. Il écrit de la Wallonie industrielle avant 1940: "Cette industralisation creuse des divisions profondes entre la classe ouvrière, qui endure des conditions de vie parmi les plus pénibles de l'Europe occidentale, et une bourgeoisie, principalement francophone, particulièrement confiante en elle-même..." 1.

Ceux qui douteraient de cette non-opulence de la Wallonie n'ont qu'à aller revoir le film Misère au Borinage qui est visible sur ce site avec les commentaires appropriés d'historiens anglais et américains, décidément plus éclairés que nos journalistes, flamands ou wallons. Il est évident que la "misère au Borinage" aurait pu tout aussi bien être filmée dans n'importe quel autre bassin industriel wallon. On notera qu'il y est notamment dit que les mineurs borains font deux métiers durant l'été et vont, après le travail dans la fosse, arracher les betteraves (ceci contre le mythe exclusif du pauvre Flamand arracheur de betteraves en Wallonie alors que l'on sait pourtant bien que les Wallons ont partagé ce sort avec les Flamands).

Tout cela est vraiment consternant. Autrefois, les analystes marxistes, pas toujours opposés d'ailleurs au fédéralisme, insistaient sur le fait que tant les travailleurs flamands que les travailleurs wallons avaient été soumis à une exploitation sans vergogne. On en est à une analyse aujourd'hui purement nationaliste, mais nationaliste belge.

Yves Quairiaux souligne bien que cette conscience d'un certain retard e la Flandre a été forte en Wallonie, au point que pour lutter contre le dumping social au nord du pays, des militants ouvriers sont allés fomenter des grèves en Flandre. Pascal Verbeken fait partie de cette intelligentsia flamande de gauche qui renie le mouvement flamand au profit de la Belgique unitaire (En raison de ses vertus sociales d'antan, sans doute? Rien ne nous sera épargné, vraiment!). Il faut dire d'ailleurs que le présentateur de l'émission à la VRT sur la base du livre de P.Verbeken n'oublie pas d'insister à la fin de son interview dans Le Soir sur la nécessité de parler la langue de l'autre quand on s'installe dans une autre région que la sienne. Ce principe n'est pas à rejeter, bien sûr. Mais on voudrait inviter les journalistes tant wallons que flamands à faire preuve d'un peu moins de préjugés, surtout quand ils se lancent dans la lutte contre les préjugés à l'aide de leurs propres préjugés belgicains.

Nous n'avons besoin ni des mensonges de la VRT, ni de ceux de la RTBF et le mensonge est haïssable qu'il vienne de Flandre ou de Wallonie. Même s'il est dû à la légèreté de ceux qui le profèrent.

A consulter absolument

Adieu à Magritte (Guido Fonteyn et un livre discutable...)

Critique : L'image du Flamand en Wallonie (Yves Quairiaux) (ou Une vision de la Wallonie radicalement autre : le même article a paru sous deux titres...)

Critique: Misère au Borinage (Storck et Ivens) (Le film par excellence de la Wallonie dite "opulente")

  1. 1. p. 25: José Gotovitch, dans la préface de l'ouvrage, souligne toute l'importance de ces pages que rédige Conway dans son Introduction, non pas même d'abord parce qu'elles introduisent à la collaboration, mais en raison de la présentation très juste de la Belgique dans son ensemble pour la période qui va de 1830 à 1940... Conway n'a donc aucune chance d'être jamais interrogé à la RTBF, même s'il parle mieux le français que pas mal d'hommes politiques...

Commentaires

Un livre bien plus complexe

Le travail de P.Verbeken est bien plus complexe et nuancé que ce que les médias en ont dit, voire ce que lui-même en a dit. En revanche, ce qui est dit ci-dessus, en particulier contre l'idée d'une Wallonie qui aurait été riche puis pauvre, demeure exacte et l'auteur dépend de cette mythification abusive. Il n'évite pas non plus la caricature. il ignore aussi souvent que ce qu'il dit de la Wallonie, la RTBF nous en assomme tous les jours et que ce n'est pas étranger au mépris des rattachistes à la Gendebien. Le problème est historique: la Wallonie a-t-elle jamais été vraiment riche? Je me pose la question en lisant ce livre: je pense que non. La force de l'industrie wallonne a engendré la force d'une classe ouvrière qui a pu défendre la Wallonie et les conquêtes sociales, le tout étant lié. Mais cette force ouvrière, cette prospérité n'ont jamais fait des Wallons des gens riches ni même des gens qui auraient été mieux pourvus d'emplois hier qu'aujourd'hui. A la limite (mais je le nuancerai), la Wallonie de Verbeken est une Wallonie qui a toujours existé et qui a toujours été à la peine, même la légende de betteraviers seulement flamands doit être revue, de même que le fait que la domination symbolique de la langue française (et la violence de cette domination), ne concerne la Wallonie qu'un peu indirectement. Il faut lire attentivement ce livre dont le message est riche et profond (contestable aussi), et que, malheureusement les médias (mais l'auteur y a une responsabilité), ont un peu trahi. De même on peut regretter que dans les librairies, il faille toujours attendre un Flamand pour qu'un livre sur la Wallonie soit mis en évidence. C'est un aspect de la misère wallonne dont, à son corps défendant, bien sûr, Pascal a profité. Lisons-le. C'est un portrait juste d'une Wallonie qui n'est pas seulement celle d'aujourd'hui, même si l'auteur le présente ainsi, un peu par ignorance historique et par manque de culture historique, malgré un vrai talent de journaliste, HONNÊTE, cela il fallait le souligner. Et, je le redis, instructif. Ce livre pourrait peut-être même avoir quelque chose de vraiment INEDIT. Je réserve mon jugement avant de l'avoir terminé.