"Ma Terre" : de la vraie télé

5 janvier, 2010

Histoire de Belgique et de Wallonie

Ma Terre
Le documentaire Ma Terre programmé à la RTBF, réalisé par cette télévision et l'Institut du Patrimoine wallon 1 le dimanche 3 janvier au soir sauve le service public de bien des accusations qu'on ne lui adresse pas toujours à tort. Jamais à notre sens un tel effort de compréhension de notre histoire n'a été réalisé. On dépasse ici ce que l'on appelle « patrimoine ». L'émission qui dure deux heures a été suivie par plus de 400.000 téléspectateurs, soit 20% de l'audience potentielle en Wallonie et en Belgique 2.

Il est saisissant d'assister à la rencontre d'une historienne wallonne et du dernier descendant de Louis de Geer qui « mena » l'immigration wallonne en Suède 3. Le documentaire présenté par Corinne Boulangier (la responsable de l'émission, une femme sensible qui ne cache pas ses convictions), estime à un million le nombre de Suédois se réclamant encore aujourd'hui de racines wallonnes. C'est un chiffre qui peut sembler exagéré, mais qui n'étonnera pas tous ceux qui ont un peu voyagé, qui ne renient pas leur identité wallonne et qui se présentent comme Wallons à l'étranger : pas mal deSuédois rencontrés leur diront qu'ils savent ce qu'ils doivent à la Wallonie ou évoqueront avec fierté leurs ancêtres wallons. Le nationalisme wallon est, à la limite, bien plus fort en Suède qu'en Wallonie. Le documentaire Ma Terre doit énormément aux photos prises du ciel par David Van Den Dooren, la forme, ici, servant le fond. Loin d'une vision nostalgique ou passéiste du « patrimoine », le documentaire montre que, dans le domaine de l'acier, les Wallons sont toujours un peu là, avec notamment la part prise par le bureau Greisch dans la construction du viaduc de Millau 4 qui n'est d'ailleurs que l'une des réalisations internationales de ce bureau d'études 5. Ou, en général, dans les techniques modernes comme le pont de Wandre qui sert de modèles à bien des ponts construits selon cette technique en Europe. Ou même la garde de Calatrava à Liège qui n'est pas le seul fait de l'architecte catalan.

[La carte suivante a été jointe à l'Accord international sur la Meuse du début de ce siècle signé par la France, le Luxembourg, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Wallonie et la Flandre 6 Elle délimite ce que l'on appelle en géographie le "bassin versant de la Meuse" c'est-à-dire l'ensemble du territoire d'où ruisselle l'eau vers la Meuse (à travers ruisseaux, plus grandes rivières, grands affluents: Le territoire wallon représente le 12.000 des 36.000 kilomètres carrés de ce bassin versant, la France en a 9.000, les Pays-Bas 8000, l'Allemagne 4000, la Flandre 2000, le Luxembourg 500. Nous en avons tiré une Carte géopolitique de Wallonie, dans la mesure où, en dehors de toutes autres indications, sauf les frontières de la Wallonie, la Meuse, la Moselle et le Rhin, la Manche et la Mer du Nord permettent à tout Européen un peu averti de situer la Wallonie dans le voisinage des grands pays européens, Allemagne, France, Royaume Uni ainsi que les Pays-Bas et le Luxembourg.]

Carte de l'Accord international sur la Meuse

Localisation de la Wallonie dans cette carte:

Carte géopolitique de la Wallonie

Le travail de l'émission sur les marbres wallons est tout aussi saisissant. L'émission aurait d'ailleurs pu signaler au passage qu'en français et même en anglais (au moins jusqu'à tout récemment), les noms de bien des roches sont empruntés à de multiples localités wallonnes (Dinant, Tournai etc.). On connaissait sans doute Rennequin Sualem, mais l'émission a bien expliqué le contexte dans lequel cet « ingénieur » de Modave a construit la machine de Marly qui amenait l'eau au Château de Versailles, sans doute le plus impressionnant de toute l'Europe. Même les Dinantais auront sans doute appris avec étonnement que la dinanderie ne peut pas servir uniquement de prétexte au chauvinisme local du chant dinantais de Pierre Rodrigue « Ils étaient tous de rudes compagnons, ces fiers lurons batteurs de cuivre... » En fait, à Dinant comme tout au long de la Meuse wallonne, s'est développé un travail qui n'est pas terminé et qui a envahi l'Europe et même le monde (Ma Terre citait en passant les chemins de fer de la Russie et de la Chine 7). Cela ne se limite pas à la province de Liège et de Namur mais concerne aussi - comme Hervé Hasquin l'a rappelé - une grande partie du Hainaut, et le Luxembourg. On peut même se demander si l'on ne devrait pas étendre encore la remarque dans la mesure où l'art mosan (dont il a été surtout question dans l'émission pour le trésor d'Hugo d'Oignies, que nous aurions prononcé plutôt « wagnies » que « ognies » ce qui ne nous semble pas la prononciation locale), ne se limite pas aux provinces citées par Hervé Hasquin (ni même à la Wallonie d'ailleurs). Et, en tout cas pour Dinant, même si la recherche est encore à faire, il semble bien que ce qui y a été produit en fait de « batteries de cuivre » s'est répandu travers l'Europe. Les découvertes archéologiques récentes démontrent que l'extension de la dinanderie à Dinant justifie le lien du travail du cuivre au nom de ce qui fut une grande ville mosane, seule membre wallonne de la Ligue Hanséatique.

On entendra Pierre Tourneur, géologue, présenté comme le spécialiste du calcaire de Wallonie visitant des carrières et le Palais de Versailles. Les Marbres et pierres de Wallonie sont liés à l'un des phénomènes - les phénomènes karstiques - qui a le plus marqué à la fois la géographie de ce pays mais aussi l'une de ses langues, le wallon 8 Les pierres calcaires reçoivent diverses appellations: pierre bleue dans ses diverses variétés, le Petit granit de Belgique, celui du Bocq , le Calcaire de Vinalmont, celui de Longpré, la Pierre de Tournai ou encore le Noir de Tournai.

Pour les marbres on cite : le Noir de Golzinne qui fait l'objet d'une exploitation souterraine à Golzinne, le Marbre noir de Dinant, ainsi appelé bien que n'ayant pas la forte et pure couleur noire de celui de Golzinne, les Marbres rouge, rose et gris', le Marbre Grand antique de Meuse, tous ces marbres ayant servi à embellir le Château de Versaille 9 Enfin il y a les Pierres blanches, le Calcaire gréseux de Fontenoille ainsi que celui de Gobertange (encore appelé Pierre de Gobertange). Les portails de la Région wallonne ou d'autres sites officieux ont déjà bien mis en valeur cette richesse régionale 10

On a entendu peut-être surtout le géographe Dimitri Belayew et Marc Suttor auteur d'un livre somptueux sur la Meuse qui prolonge et dépasse les travaux si essentiels de Félix Rousseau et qui montrent mieux que le grand historien que la prospérité de la Meuse a traversé tout le Moyen-Âge et ne s'est pas arrêtée aux 12e ou 13e siècles 11. L'historien et le géographe se donnent la main pour expliquer cette prospérité de la Meuse qui en fait un fleuve européen majeur, si intimement lié à la Wallonie que celle-ci représente un tiers de son bassin versant de 36.000 kilomètres carrés. On apprendra par exemple les raisons de la prospérité de Bouvignes et de Dinant au Moyen-Âge, prospérité liée au fleuve mais aussi à certaines configurations du terrain, à l'existence de terres riches de part et d'autre de la vallée. D'une manière générale, ce qui est montré ici ne participe pasque du passé mais aussi de l'avenir : Liège est le deuxième port fluvial européen après Paris.

Le Chantier naval Meuse & Sambre est installé à Namur, Beez et Liège. Le documentaire Ma Terre raconte l'histoire de la construction d'une péniche de luxe pour un homme d'affaires parisien : le savoir-faire de cette entreprise est impressionnant 12

Ce compte rendu imparfait (même s'il a ajouté quelques informations à l'émission), permet également d'adresser une critique au projet réalisé par la RTBF avec l'Institut du patrimojne wallon. C'est une critique que nous avions déjà entendue, dans un cadre plus modeste (le colloque de la Fondation wallonne sur les Wallons de Suède à Louvain en 1997) : on a vu d'immenses moyens rassemblés pour une œuvre didactique brillante, apportant en deux fois soixante minutes un maximum d'informations. Mais comment pouvoir s'approprier toutes ces informations rassemblées dans l'émission afin de les transmettre? Il ne s'agit pas seulement des informations en elles-mêmes que l'on peut avec patience glaner dans les livres spécialisés ou les encyclopédies. Il s'agit surtout de la logique de ce récit, de cette synthèse dont la force est soutenue par des images qui sont à l'opposé absolu de l'abus des images à la télé car, ici, elles ne sont pas abstraites (dégagées du contexte, exploitées pour elles-mêmes comme les émotions, « le clic, le boum et l'humain » si mis en cause par Henri Mordant), mais au service d'une intelligence du pays, au service du cœur et de l'esprit. Comment va-t-on donner aux professeurs, aux journalistes, à tous ceux qui doivent transmettre, les moyens de le faire qu'ils sont dans l'incapacité de rassembler ? Cette question il fallait la poser même si c'est aussi une sorte d'objection à cette émission?

Pendant sept pauvres jours, cette émission sera visible « gratuitement » nous dit Corinne Boulangier 13, mais, en vue de donner une simple idée, l'ouvrage si passionnant de Marc Suttor coûte 140 €. La RTBF devrait permettre que cette formidable émission serve vraiment son public en lui permettant de l'exploiter et d'en tirer le meilleur pour l'humanisme ancré en terre wallonne.

Il est vrai cependant la responsable de l'émission a annoncé qu'un site était en construction qui allait développer le concept de l'émission alternant films, photos et visions aériennes, discussion de plateau mais intégrée dans le scénario même du documentaire, avec la participation à la fois de scientifiques (historiens, géographes, sciences humaines ou exactes qui leur sont liées), tout cela en vue de faire connaître une Wallonie et un patrimoine wallon (lié à l'actualité économique et sociale), encore, selon Corinne Boulangier, trop méconnus des premiers intéressés 14

J'ai lu la réponse de Michel Antaki à Mauro Soldani (s'exprimant sur des questions communautaires actuelles en Belgique), qui propose de jeter des "ponts entre les communautés". Ce n'est certainement pas une mauvaise idée. Mais à voir l'émission formidable de Corinne Boulangier ce dimanche soir à la RTBF, Ma Terre, je me demande s'il n'y a pas une réponse plus profonde que cela à faire et un projet plus fort à lancer dans les conflits institutionnels. Une remarque en particulier m'a frappé dans les réflexions très riches de l'émission: si la Wallonie globalement ne se saisit pas comme telle, en revanche, disait le commentaire, les gloires locales sont connues. Or précisément, en faisant éclater le cadre étroit de ces gloires seulement locales (Dinant, Liège, Bouvignes, Namur etc.), en resituant la Wallonie et le Pays de la Meuse dans un cadre plus large (dans l'espace et dans le temps), le documentaire nous permettait de voir que nous sommes liés à l'Europe et au Monde.

Ma Terre évoquait donc principalement la Suède, la France et Paris dirais-je, mais aussi, quoique plus vite, les chemins de fer de la Chine et de la Russie, les Amériques. On a lu souvent en Belgique qu'il fallait "jeter des ponts entre les communautés".Ce n'est certainement pas une mauvaise idée. Mais à voir l'émission formidable de Corinne Boulangier ce dimanche soir à la RTBF, Ma Terre, on se demande s'il n'y a pas une réponse plus profonde que cela à faire et un projet plus fort à lancer dans les conflits institutionnels. Une remarque en particulier aura frappé dans les réflexions très riches de l'émission: si la Wallonie globalement ne se saisit pas comme telle, en revanche, disait le commentaire, les gloires locales sont connues. Or précisément, en faisant éclater le cadre étroit de ces gloires seulement locales (Dinant, Liège, Bouvignes, Namur etc.), en resituant la Wallonie et le Pays de la Meuse dans un cadre plus large (dans l'espace et dans le temps), le documentaire nous permettait de voir que nous sommes liés à l'Europe et au Monde.
Alors, "jeter des points entre les communautés", oui! Mais à condition de ne pas nous considérer comme existant seulement dans l'étroit cadre de la Belgique. Il ne semble d'ailleurs pas non plus que la Flandre désire s'y limiter.
Alors pourquoi ne pas l'imiter et sans rejeter l'idée de "jeter des ponts entre les communautés", pourquoi ne pas imiter aussi les ingénieurs liégeois qui créent aussi de par l'Europe et le Monde des viaducs plus larges et plus hauts que les "ponts entre les communautés", des solidarités plus vastes et qui nous seront possibles parce que nous nous assumerons nous-mêmes comme Wallons? Ma Terre affirmait donc qu'un million de Suédois se réclament de leurs racines wallonnes. Ce n'est pas qu'une anecdote, c'est peut-être une invitation à sortir de nos querelles par le haut comme cette émission unique l'a intelligemment - quoique implicitement - proposé. D'autant plus fortement qu'elle ne nous a imposé aucun message à cet égard, simplement indiqué une plus vaste ouverture que la "petite vérité belge périmée" dont parlait un poète flamand durant la Grande Guerre... 15

Il faudrait citer aussi l'entreprise Lebeau-Courally que l'on situe dans le top 5 des entreprises mondiales fabricatrices d'armes de luxe.

Voir aussi

- Espace et culture de Wallonie chez Michelet

- Espace lotharingien et espace wallon en Europe

Le Bureau Greisch, avec plusieurs images, commentaires et explications de ses réalisations partout en Europe

Enfin, pour un très grand nombre de thèmes abordés dans cette émission (les armes, l'art mosan, les trésors, l'orfèvrerie) une visite au GRAND CURTIUS de Liège s'impose.

  1. 1. Institut du patrimoine wallon
  2. 2. Institut du patrimoine wallon Actualités
  3. 3. Les Wallons de Suède (en bref)
  4. 4. Présentation du Bureau Greisch
  5. 5. Prix obtenus par le bureau Greisch et réalisations. Voir aussi Bureau Greisch : images et commentaires de quelques réalisations .
  6. 6. Si nos informations sont bonnes le "Royaume de Belgique" n'a été mentionné que pour la forme et - évidemment - à la demande des Français.
  7. 7. L'évidence en apparaît à travers les chiffres: Wallonie, deuxième puissance industrielle mondiale (1790-1910)
  8. 8. VOCABULAIRE DE WALLONIE POUR PHENOMENES KARSTIQUES
  9. 9. Les marbres au château de Versailles
  10. 10. Pierres et marbres et Portail pierre.
  11. 11. Marc Suttor, Vie et dynamique d'un fleuve, La Meuse de Sedan à Maastricht (des origines à 1600), De Boeck, Bruxelles, 2006.
  12. 12. Les services de Sambre & Meuse
  13. 13. http://www.rtbf.be/tv/revoir/detail_Ma+terre?uid=41613821668
  14. 14. Site de ''Ma Terre''
  15. 15. Voir Clément Pansaers in Résurrection une revue wallonne d'avant-garde sous la première occupation.

Commentaires

Le site de la RTBF s'enrichit chaque jour...

...et nous y avons noté (entre autres choses), un lien vers l'intéressante revue suivante: http://www.mesancetres.ca/pages.php?section=6&lang=fr&texte=71