Régionalisme wallon toujours vivant
On pourrait penser que Bart De Wever a réveillé un régionalisme wallon qui se serait endormi depuis la démission de Guy Spitaels et surtout depuis l'arrivée d'Elio Di Rupo à la présidence du PS. C'est à cela que fait penser la déclaration ce dimanche midi à la RTBF de Laurette Onkelinx estimant que le PS était un parti régionaliste! Le journaliste lui a d'ailleurs dit immédiatement qu'elle semblait changer de discours. Et c'est vrai. Car aussi peu excessif que soit le mot « régionaliste », il est connoté en Wallonie et n'est pas loin d' « autonomisme », voire même de « nationalisme » (mais nous sommes proches de la France et ce mot a une connotation péjorative).
Il faut aller au-delà de ces considérations de vocabulaire. Tout qui a assisté à l'assemblée du Mouvement du Manifeste Wallon le 29 février 2008, sait que demeurent au sein de la FGTB, de très nombreux partisans « renardistes » de l'autonomie de la Wallonie. Il est certain que lorsque la FGTB, du temps du retour à l'unitarisme avec l'Elio Di Rupo d'avant le 13 juin, prenait position contre la scission du financement de la Sécurité sociale, cela sonnait fortement comme « unitariste ». Je me souviens de fortes déclarations dans ce sens faites lors de Congrès de la FGTB wallonne où pourtant l'accent pouvait être mis, par exemple et par ailleurs, sur la culture wallonne. Cela veut dire que le régionalisme de la FGTB n'a pas été nécessairement réveillé par la nouvelle conjoncture politique qui suit les élections du 13 juin, le recul très net du CDH en deçà des plus mauvais résultats de l'ancien PSC 1, le recul (également), des Ecologistes, le succès du PS lui-même et le triomphe de De Wever. Il n'est pas impossible non plus que les bonnes nouvelles sur le chômage en Wallonie, la hausse des investissements étrangers, le succès des exportations aient joué également un rôle, à la fois dans ce retour possible (soyons quand même prudents !), à un certain régionalisme du PS.
Il faudrait aussi bien voir que le régionalisme wallon n'est pas nécessairement (comme on le dit trop souvent), une simple conséquence du nationalisme flamand par rapport auquel ce régionalisme ne serait que défensif voire même (comme on l'a dit de Destrée lui-même), purement tactique. Nous sommes empoisonnés par un discours unitariste qui place les syndicats dans leur totalité du côté de l'unité du pays, car elle irait bien avec l'unité de ses travailleurs. On se souvient peut-être qu'aux Forges de Clabecq, Roberto D'Orazio, lors de la marche multicolore pour l'emploi qui suivit la fameuse Marche Blanche, avait fait un discours très antifédéraliste, assimilant les réformes de l'Etat à une volonté de division du pays (donc de ses travailleurs), au grand étonnement d'un Jacques Yerna présent dans la foule. Un étonnement d'autant plus grand que le leader syndical de Clabecq posait la question de savoir qui avait voulu le fédéralisme en Belgique ! Il aurait pu se souvenir que la FGTB a été l'un des moteurs du fédéralisme et de la prise de conscience wallonne avec la grève de l'Hiver 60.
Il est vrai aussi de dire que les récentes déclarations régionalistes de Francis Gomez 2, ne tombent pas du ciel. Dès avant les élections et cela de manière constante depuis plusieurs mois, la FGTB wallonne a, à maintes reprises, réaffirmé sur tous les tons son engagement régionaliste. Le 19 mai dernier Nico Cué réclamait une banque publique régionale, idée qui mûrit dans les bureaux d'études de la FGTB depuis bien plus longtemps encore 3. Trop obnubilé par l'analyse flamande de la situation du pays (mais aussi par la trop grande retenue des socialistes wallons dans leur ensemble ou, du moins, de leur présidentocratie), les médias ne sont jamais assez attentifs à ce qui se lève du côté wallon. Cela a toujours été le cas, ce l'est encore. Même si le syndicalisme n'est plus ce qu'il était du temps d'André Renard, même si la classe ouvrière s'est aussi profondément modifiée, on a toujours été attentif du côté de ceux qui défendent la Wallonie dans une optique sociale, aux menaces qu'a fait peser sur la Wallonie économique la politique des holdings belges. Mais aussi de la prolongation que la classe dirigeante flamande lui a donnée en accélérant le mouvement d'une Belgique centrée sur Bruxelles et sur Anvers 4. On est évidemment loin, quand on parle de cette façon des questions linguistiques et de la problématique de BHV.La clarification qu'opère du côté flamand la victoire de la NVA, le fait que cette victoire lève la grave hypothèque que faisait peser sur le dialogue entre la Wallonie, la Fandre et Bruxelles, le nationalisme raciste du Vlaams Belang, le recul de deux partis de tendance fort unitariste en Wallonie ouvrent des perspectives aux propositions de la FGTB wallonne. On a vécu depuis trop longtemps sur des équations dogmatiques comme par exemple Unité belge = Unité des travailleurs. Mais le drapeau belge n'a jamais été un drapeau syndical. Le drapeau wallon, oui, effectivement. Et on ne sait pas assez que, à Liège, où ce drapeau fut pour la première fois brandi en décembre 1960 5, il était suivi tant par les travailleurs wallons que par les milliers de travailleurs flamands présents dans les usines liégeoises (et à qui d'ailleurs les discours de Renard étaient traduits en néerlandais).
Cette plongée dans l'histoire nous ramène au présent dans la mesure où, comme le suggère à tout moment le livre de Quévit, le fédéralisme a tout simplement sauvé la Wallonie de la mort économique. L'idée si répandue dans les cercles de droite les plus réactionnaires, que le fédéralisme des socialistes et des gens de gauche, serait un fédéralisme de pur opportunisme (donner du pouvoir à la Wallonie parce que le PS peut y occuper tous les postes), ne tient pas debout quand on sait les raisons qui ont fait que la sidérurgie wallonne fonctionne toujours. Alors que les charbonnages limbourgeois, pourtant eux aussi copieusement arrosés, sont fermés depuis longtemps. Et les raisons qui font que les aéroports wallons, les liaisons de la Wallonie avec Rotterdam etc, se développent. On peut même aller jusqu'à dire, comme François André, que sans les réformes de l'Etat successives depuis 1970, il n'y aurait pas de cinéma wallon 6. Du côté de l'unitarisme ordinaire - encore si massivement répandu aujourd'hui - on ne comprend pas que l'autonomie de la Flandre et de la Wallonie (avec celle de Bruxelles), est le seul moyen de sortir des querelles belgo-belges en les rendant inutiles parce que chacun se sentira maitre chez lui. Et aussi parce que la démocratie commande de s'extraire de ce conflit qui, à force d'occuper tout l'espace public, étouffe le débat classique entre la gauche et la droite, renforce le sentiment d'impuissance sur leur destin qu'éprouvent tant de gens en Flandre, en Wallonie et à Bruxelles et dont profite vraiment trop la présidentocratie. A ce point de vue, l'analyse qu'ont faite plusieurs personnes du Mouvement du manifeste wallon est remarquable 7. Ce ne sont pas les problèmes communautaires qui sont artificiels et dangereux. Ce qui est dangereux, pour l'économie wallonne comme pour la démocratie en général, c'est le maintien d'un Royaume désuet où presque tout devrait être régionalisé, sauf la seule vraie solidarité rationnelle qu'est la Sécurité sociale. On sait d'ailleurs que, malgré les gesticulations de certains, c'est tout aussi vital pour la Wallonie que pour la Flandre 8.Post-scriptum de ce 21 juin 2010:
Dans La Libre Belgique du 19 juin on pouvait lire que la secrétaire générale [nationale belge] de la FGTB, Anne Demelenne, déclarait, après avoir lu le journal la veille, que le point de vue de F.Gomez n'est pas celui de toute la FGTB. "Le Congrès de la FGTB wallonne d’abord, celui de la FGTB ensuite ont adopté récemment un autre point de vue [...] Pour notre organisation, il faut maintenir au fédéral la sécurité sociale, mais également la formation des salaires et la fiscalité. Nous n’accepterons pas que les travailleurs belges soient mis en concurrence les uns par rapport aux autres. Alors que la FGTB se bat pour harmoniser la fiscalité entre les Etats de l’Union européenne, on ne va quand même pas plaider pour une régionalisation des taux d’imposition. On a vu ce que cela a rapporté à l’Irlande de faire du dumping fiscal pour attirer des entreprises étrangères sur son territoire. Elle a mis à mal ses finances publiques et s’est trouvée désemparée quand la crise est venue." Quant à Thierry Bodson, le secrétaire général de la FGTB wallonne, il affirmait, lui, toujours selon La Libre Belgique, que la régionalisation de la concertation sociale n’a jamais été discutée à la FGTB wallonne. Il était donc plus réservé vis-à-vis de critiques faites à F.Gomez et affirmait que les interlocuteurs sociaux en Wallonie doivent en tout cas avoir une position commune sur les politiques de remise à l'emploi, l'impôt des sociétés et les lois spéciales de financement. Il lui paraissait d’ailleurs urgent d’avoir une discussion là-dessus " Car ces thèmes, ils vont venir rapidement sur la table."
Sans trancher sur le fond, on pourrait se demander pourquoi toute politique économique ou sociale spécifique est rapidement taxée par ses adversaires de favoriser un dumping social. Alors qu'il est vrai que, même déjà simplement entre les communes, les fiscalités sont très différentes. Pour quelqu'un comme Jean-Marc Ferry - Européen convaincu - la fiscalité doit être une matière devant demeurer nationale, autant vaut dire régionale pour ce qui est de la Belgique, même si cela ne doit pas être nécessairement dans tous les domaines. Les Etats fédérés ont des fiscalités différentes les unes des autres au sein des Etats fédéraux. Il est curieux que l'on assimile un peu vite toute politique unitariste à une politique de gauche et toute politique autonomiste à une politique de droite ou nuisible aux travailleurs. Le fédéralisme wallon n'a pas les mêmes motivations que le nationalisme flamand.
Post-scriptum de ce 26 juin 2010
« La justice et la fiscalité y passeront aussi » - Dans « Vers l’Avenir » du vendredi 25 juin, Robert Collignon répond aux questions de Catherine Ernens
Robert Collignon, régionaliste historique, dénonce la cécité des politiques francophones. Et prédit la scission de la Justice et de la fiscalité.
***
Robert Collignon, dans les années 80, le PS était très en pointe sur le régionalisme. Est-ce un retour aux sources pour les socialistes?
La situation est très différente de celle des années 80. Nous étions alors avides de compétences. Nous étions demandeurs. Vous avez entendu une seule revendication francophone, vous ? Même Elio Di Rupo ne revendique pas la moindre compétence.
Qu'est-ce qui a changé?
En 1999, le Parlement flamand a voté une résolution pour augmenter ses compétences. Tous les partis flamands ont été unanimes dans cette volonté. Et leur programme n'est pas triste. Et qu'ont fait les politiques francophones ? Semblant de rien. Tous les politiques francophones ont souffert pendant dix ans de cécité. Ils ont tous dit non. Tous. Et pas seulement Mme Milquet. Ils ont tous analysé les revendications flamandes comme de la musculation.
Et ce n'était pas de la musculation...
Non. Tout d'un coup, aujourd'hui, on est confronté au problème réel. Les Flamands ont persisté dans leur volonté d'autonomie. Les partis francophones ont une lourde responsabilité, celle d'avoir fermé les yeux pendant dix ans. Tout le monde s'est endormi en se disant qu'il fallait sauver la Belgique. On a développé chez les Wallons une véritable phobie de la division du pays en leur faisant craindre une faiblesse sociale. Le message flamand est même passé dans l'inconscient wallon qui s'est cru fainéant. Or la transformation économique est en cours. Le plan Marshall est en route. Sans la régionalisation, nous n'aurions pas développé cette économie. Et je vais plus loin. Si nous disposions en Wallonie de la compétence sur l'enseignement, nous pourrions aller plus loin dans la lutte contre le chômage.
La réforme de l'État pourrait apporter du bon pour les Wallons...
Oui mais maintenant, avec la N-VA, ce sera d'autant plus incisif. Il faut regarder ce qui se passe. On nous annonce la scission de la fiscalité. Le ministre-président flamand, Kris Peeters, l'a encore réclamée mardi. Qu'est ce que ça veut dire scinder l'impôt sur les personnes physiques et celui sur les société ? En quoi les Belges seront-ils encore égaux devant la loi dans ce contexte? Nous allons passer du fédéralisme de dotations au fédéralisme de responsabilité. Qu'est-ce que ça veut dire? Actuellement, le niveau fédéral reçoit et puis répartit les dotations aux régions et communautés. Aujourd'hui, la Wallonie est responsable de ses dépenses. Avec une fiscalité propre, elle sera aussi responsable de ses recettes. Ça n'arrivera pas cet été. Mais ils préparent ça. Ce sera pour 2014. En quoi alors pourrons-nous encore parler de Belgique?
- 1. Voir EDITO: Pourquoi Quévit est si écouté, la note 2 sur les déclarations très récentes d'un C.F. Nothomb parfait représentant de l'aveuglement PSC sur les réalités wallonnes, aveuglement dont Joëlle Milquet est le dernier avatar.
- 2. Une opportunité historique
- 3. Une banque publique régionale tout de suite
- 4. Voir le livre de Michel Quévit et la critique que a revue en a faite : Critique : Flandre-Wallonie. Quelle solidarité ? Michel Quévit (Couleurs livres)
- 5. Il avait été brandi aussi à Charleroi, au Borinage, même à Bruxelles, lors de l'affaire royale, en 1950.
- 6. Cinéma wallon et réalité particulière
- 7. Qu'est-ce que la Présidentocratie?
- 8. Les mensonges sur les fins de carrière
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Interview de Robert Collignon