Un des meilleurs films du XXe siècle ("Déjà s'envole la fleur maigre")
Le film de Paul Meyer Déjà s'envole la fleur maigre est, selon quelqu'un qui n'a pas l'habitude de faire l'éloge de ses confrères, Jean-Jacques Andrien, le véritable « premier grand film d'un cinéma wallon ». Il vient de ressusciter à Paris, une sortie, une « re-première » qui a suscité l'enthousiasme là-bas.
Un film censuré
Le film de Paul Meyer était au départ un film commandé par le Ministère de l'Instruction publique qui avait demandé à Meyer d'illustrer la bonne intégration des enfants d'immigrés au Borinage. Sur place, Meyer se rend compte que ces ont enfants ont des problèmes d'adatation et son film change de nature. Il devient un long métrage de fiction. Mais le commanditaires du film ne sont pas contents. P-H Spaak interdira que le film soit présenté au festival de Moscou. Le film est retiré des écrans une semaine après sa sortie. Quant à Paul Meyer, il sera accusé d'avoir détourné des fonds publics et condamné à rembourser ces sommes durant toute sa vie... Meyer trouva cependant des amis et des alliés, Emile Cavenaille, Henri Storck, le bon-papa (talentueux), de tout le cinéma belge, le bureau d'avocats de Pierre Vermeylen. La presse lui fi n accueil enthousiaste. Et il est juste de dire que le mouvement wallon culturel s'est intéresséau film de Meyer. Les éditions Wallons-nous ?, notamment ont édité Du documentaire social au film de fiction, avec notamment les collaborations de H.Trinon, J.C. Batz, D.Geluck, Th. Louis, J.Cordier. Roger Mounège lui-même établit un parallèle avec trois écrivains du Borinage, Marcel Moreau, Constant Malva, Emile Cavenaille et n'hésite pas à parler d'une filiation du cinéma wallon : de Misère au Borinage d'Henri Storck (1933), au tout aussi extraordinaire film de Jean-Jacques Andrien Le grand paysage d'Alexis Droeven (1981), en passant par les œuvres de Thierry Michel et des frères Dardenne. Cette tradition est celle d'un cinéma wallon - cela n'a pas de sens que l'on nous rétorque qu'Henri Storck soit ostendais, on le comprendra, cela n'aurait pas plus de sens de nous rétorquer que le sujet du film de Meyer est l'immigration italienne -, où la fiction prend sa naissance dans la réalité . C'est toujours le cas, dira-t-on, de toute ficion, de tout « poème » (au sens d'Aristote). Mais il y a des œuvres qui le disent lieux que d'autres, des œuvres dites parfois « réalistes ».
Un des cent meilleurs films du siècle ?
Paul-Henry Gendebien qui nous transmet tous les extraits de la presse française, n'hésite pas à dire du film qu'il est un des cent grands films du XXe siècle. Et on avouera que la presse parisienne lui donne raison par exemple Libération : « Si le cinéma n'était pas capable de transformer un tas de déchets miniers en Olympe, on se demande à quoi il servirait [...] Le film de Paul Meyer prend sans coup férir une place au tout premier rang de l'histoire du cinéma européen de l'après-guerre. Pépite néoréaliste, préfiguration Nouvelle Vague, objet documentaire radical, météore des utopies ciné-sociales et aventure expérimentale : Déjà s'envole la fleur maigre est aux confluents des précipités de son époque... » (Olivier Seguret) Le Monde (Pascal Mérigeau), place Paul Meyer aux côtés des plus grands, Rossellini, Visconti, Bunuel. Le Nouvel Observateur parle d'un « film devenu mythique par sa rareté », ce qui, probablement, en sa sobriété, est l'hommage le plus fort... Dans Télérama, Joshka Schidlow parle de Ken Loach et de De Sica....
La question de la culture wallonne
Déjà s'envole la fleur maigre est-il un film wallon ? Le moins qu'on puisse dire est que « poser la question » ce n'est certainement pas « y répondre », parce que cette interrogation semble provenir d'un part pris chauvin. Parce que la Wallonie qui a quelque peine, reconnaissons-le, à valoriser ses artistes, se les voit parfois disputer étrangement. On a encore en mémoire une récente dispute à propos du musicien montois Roland de Lassus, sans doute le plus grand musicien du XVIe siècle. Dans un pays où personne ne se pose la question de savoir pourquoi on baptise « Concours Reine Elisabeth » une des plus prestigieuses manifestations musicales, née en fait de l'effervescence de concours et de créations musicales dans la première moitié de ce siècle et du musicien wallon Eugène Isaÿe, la question, malheureusement, doit être posée. Au nom de tout et de n'importe qui on conteste à la Wallonie sa culture. Nous nous souviendrons longtemps encore de la gifle reçue à la lecture du journal Le Soir qui appelait une « publicité n'engageant pas la rédaction », le fameux placard où Guy Spitaels, maladroitement peut-être, rappelait la richesse du patrimoine wallon pour susciter à la confiance d'un peuple en lui-même. Sans doute n'était-ce pas cette « confiance d'un peuple en lui-même » dont jle journal voulait se démarquer. Mais...
Le Borinage
Mais le procédé consistant à faire appel à la culture pour valoriser une ville, un lieu, un homme - et aussi un pays, pourquoi pas ? - c'est ce qu'il y a de plus légitime. Les firmes commerciales qui exploitent cette veine ne sont pas aussi fortement fustigées que les malheureux hommes politiques d'aujourd'hui... Nous laisserons les Cahiers du Cinéma trancher la question du « caractère wallon » (qu'en termes malheureux, ces choses-là sont dites). « Lorsque » écrit Joël Magny à propos du film dans la prestigieuse revue,« la caméra parcourt l'ensemble du Borinage du haut d'un mont, suivant à la fois la description du vieil ouvrier italien, Domenico et le regard de l'enfant à qui il transmet cette vision, elle découvre un monde en voie de disparition, signe de douleur, d'exploitation, de morts engloutis par la mine, mais aussi le monde où vivront les nouveaux arrivés. Déjà s'envole la fleur maigre est à l'image de ces paysages et de ces terrils, une idée rendue concrète, celle du temps de la vie sans cesse renaissante : sur cette terre dont on a arraché toute l'énergie possible, repoussent les herbes, les buissons les arbres, la vivifiant à nouveau, comme l'imagination des gosses les régale des bonbons invisibles de Domenico. Plus qu'un Germinal, Déjà s'envole la fleur maigre serait un Floréal, si le film pouvait s'enfermer dans un cadre définitif. Mais un homme usé part , une nouvelle famille arrive, tout peut recommencer autrement... » Le « mont » dont parle la revue parisienne est un terril, soulignons-le...
Vouloir se revendiquer d'ue culture wallonne n'implique pas que l'on puisse ne trouver d'éloges qu'à l'intérieur de son territoire. Cela n'implique pas non plus le rejet de l'autre, puisque le film de Meyer est tout entier consacré à ces Italiens (bien décrits dans Rue des Italiens de Santocono), sans lesquels la Wallonie ne serait pas la Wallonie. Se revendiquer d'une culture wallonne, c'est aussi une attitude qui doit être constamment critique. Y compris chez nous, personne ou presque n'a parlé, lors de la sortie de Germinal, de celui qui reste, parmi les mineurs, celui qui témoigna le mieux, lui-même, de sa condition, allant du « pic à la plume », Constant Malva.
Il est courant de se plaindre des carences de la Wallonie et des Wallons, mais la première de ces carences, c'est sans aucun doute de se plaindre d'absences qui, souvent, n'existent qu'en raison de notre légèreté, de notre inexcusable inattention pour ceux qui « vivent et travaillent dans l'espace wallon ». Espérons que Paul Meyer, à l'instar de Constant Malva, ne sera pas oublié une xième fois (*).
(*) Il l'est par exemple dans Cent Wallons du siècle.
Già vola il fiore magro
Non sapro nulla della mia vita
oscuro monotono sangue.
Non sapro chi amavo, chi amo,
ora che qui stretto, ridotto alle mie
membra
nel guasto vento di marzo
enumero i mali dei giorni decifrati
Già vola li fiore magro
dai rami. E io attendo
la pazienza del suo volo irrevocabile.
Salvatore Quasimodo
Déjà s'envole la fleur maigre
Je ne saurai rien de ma vie
sang obscur et monotone.
Je ne saurai rien, qui j'aimais, qui j'aime
maintenant que replié, réduit à mes
membres,
dans le vent pourri de mars
j'énumère les maux des jours déchiffrés
Des branches
déjà s'envole la fleur maigre
Et moi j'attends
la patience de son vol irrévocable.