Un séparatisme wallon paradoxal

7 mai, 2012

[ Cet article daté du mois de novembre 2011 est paru en janvier 2012  dans la revue Economies et sociétés de l'ISMEA et fait partie d'un numéro hors-série intitulé L'après-Belgique. On peut se procurer l'ensemble de ce numéro au secrétariat de la revue, 59 boulevard V.Auriol, F-75703, Paris Cedex, 13. Adresse électronique perroux@univ-lv.fr.

Jules Gazon en a dirigé la rédaction et rédigé l'Introduction, Michel Quévit signe un texte intitulé La solidarité territoriale entre la Flandre et la Wallonie : les fondements économiques et culturel de la problématique. M.Mignolet signe Réformes de l'Etat et menaces de scission du pays : quelles conséquences sur l'économie wallonne? E.David évoque Les conséquences d'une éventuelle scission de la Belgique au regard du droit international, J.Gheude La scission de la Belgique est inéluctable, N.Thirion L'après-Belgique pour les francophones : de la nécessité de penser aux conséquences de l'impensable. M.Quévit signe encore un autre texte Belgique : le Pan B, un projet par précaitions. Eléments de réflexion. J. Lenain parle de L'union de la Wallonie et de Bruxelles avec la France : les trois conceptions possibles. Paul-Hentry Gendebien L'union de France-Wallonie-Bruxelles : conclusion logique de la fin de la Belgique. La revue TOUDI en ligne a évoqué le texte de Jacques Lenain tout en expliquant l'origine de l'ensemble de ce  numéro spécial. Voir Critique : Les trois rattachismes selon Jacques Lenain ]


Tirant parti de leur conflit, Flandre, Wallonie et Bruxelles bâtissent un système institutionnel sui generis.  Il répond à leurs besoins profonds et profondément différents. Il élargit trois indépendances, discrètes mais en perpétuelle croissance. Dans cet espace en gestation, en partie confédéral (au sens strict), depuis 1994, la Belgique s'altère progressivement. Malgré  ses problèmes économiques et financiers venus pour une grande part de ce que la Flandre domine la Wallonie démographiquement minoritaire , le pays wallon demeure un acteur capital de cet espace politique (et économique) qui pourrait un jour ne plus être belge et qui, en quelque mesure, a déjà - subtilement - cessé de l'être. Les deux auteurs pensent que cet espace est le seul qui garantisse la sécurité ontologique de la Wallonie.

Learning from their experiences in conflict, Flanders, Wallonia and Brussels are building an institutional system sui generis. This meets their deepest and most profoundly different needs. It expands three independencies that are discrete but in perpetual growth. In this shifting environment, partly confederalised, (in the literal meaning of the word confederal) since 1994, Belgium is progressively changing. Despite its economic and financial problems, partly due to Flanders' demographic domination, Wallonia remains a key player in this political (and economic) space which may one day no longer be Belgian and has, in a way, already subtly ceased to exist. Both authors believe that this space is the only one possible to guarantee Wallonia's ontological security.

Politiquement, économiquement, financièrement, l'intérêt d'une Wallonie, déjà en partie « indépendante », c'est l'union confédérale des trois grandes Régions belges (Bruxelles, Flandre, Wallonie), qui se substituent à l'actuel Royaume.1 Cet article entend le démontrer.

La dynamique des réformes de l'Etat belge depuis 40 ans - pas seulement liée à la question linguistique - trouve sa source dans la très ancienne dualité Flandre/Wallonie et corrige toutes les erreurs commises par la bourgeoisie qui fonda la Belgique en 1830 en ignorant cette dualité. Tout cela mène à la constitution de trois Etats quasiment souverains (la Flandre, la Wallonie, Bruxelles surajoutée à la dualité vu les 180 ans d'unité belge). L'expression « quasi souverains » étonnera, mais les meilleurs spécialistes le disent :  « Dans l'exercice de leurs compétences, les Communautés et les Régions sont souveraines. Exactement comme un Etat est tout à fait indépendant dans sa sphère de souveraineté, même s'il est par ailleurs membre d'une confédération. » [Vincent de Coorebyter, 2008, p. 40]. Pourtant, en fonction du caractère tout à fait unique des institutions belges (non pas « compliquées » mais sui generis), ce qui semble une logique de séparation, ne conduit nullement à un déchirement mais à une confédération d'Etats libres, en grande partie réalisée.  Au bout du processus en cours, les trois Etats ex-belges garderont des liens plus étroits qu'avec d'autres nations.

Le renforcement des liens de Bruxelles et de la Wallonie avec la France, souhaitable. ne peut impliquer une réunion à la République, pour des raisons de sécurité ontologique. Qu'entendons-nous par là ? Le  4 août 1914,  observe Brent J.Steele, la Belgique refusa de laisser passer l'armée allemande et la combattit durement, pour défendre cette sécurité ontologique au détriment de sa sécurité physique. Brent J.Steele  estime « that small states have a strong obligation to their sense of Self and that with such an obligation they can exercise an enormous amount of agency » (« que les petits Etats ont des obligations impérieuses en ce qui regarde leur honneur et qu'à cause de celles-ci, ils peuvent être des acteurs politiques très importants ») [Brent J.Steele, p. 14]. Steele estime que si la Belgique  n'a pas « nécessairement » (en fameux contraste avec l'historiographie française qui minimise le rôle de la Belgique en août 1914), contribué à la défaite de l'Allemagne, elle a permis aux Alliés de se mobiliser et de répondre à l'agression [Brent J.Steele, 2008, p. 15]. La population de Wallonie fut la principale victime du comportement allemand en réponse à cette défense de son honneur par la Belgique (l'Allemagne perçut la résistance militaire belge, comme un appui à la France)  :  en  Wallonie (même si la France et la Flandre furent également touchées),  région placée sur l'axe principal de l'invasion, du 5 au 26 août, les Allemands passèrent par les armes 5.000 civils dans plus de 100 localités différentes.  Plus  de 20.000 maisons furent détruites [Horne et Kramer, 2005].

Les conflits symboliques sont les plus difficiles à résoudre

Six partis politiques sont seulement en train de former un gouvernement en ce mois d'octobre 2011, alors que la crise qui avait amené la dissolution des Chambres date d'avril 2010, crise provoquée par le conflit sur  le statut de l'arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde.

 

Arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde

Arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde


 

Voici, ci-dessus la carte de l'arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) : Bruxelles est en rouge, la partie flamande de l'arrondissement en bleu et les six communes à « facilités », plus petites, en plusieurs points du pourtour de Bruxelles. La frontière linguistique a été tracée une première fois en 1932, définitivement fixée en 1963. Elle délimite le territoire de la Flandre, de la Wallonie et de Bruxelles, bilingue. Les trois Régions n'ont été instituées qu'en 1980 (1989 pour Bruxelles : nous ne parlerons pas ici des communautés). Plusieurs anciennes institutions belges ont continué à chevaucher cette frontière comme la province de Brabant finalement scindée en trois tronçons sans conflits : Brabant flamand, Brabant wallon, Région de Bruxelles reprenant toutes les compétences de la province pour ce qui est du territoire bruxellois (il est d'ailleurs possible que les autres Régions suppriment les provinces - ces décalques des départements français - au moins comme entités politiques). Restait l'arrondissement judiciaire et électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde, s'étendant à la fois en Flandre et à Bruxelles donc sur le territoire de deux Régions fédérées. Dans cet arrondissement (les provinces sont subdivisées en arrondissements administratifs qui peuvent être aussi judiciaires et électoraux), il y avait trois cas :  la Région bruxelloise ; les six communes dites « à facilités » où les francophones jouissent de plusieurs droits depuis le compromis de 1962 (des écoles entre autres), mais qui font partie du territoire de la Flandre, quoique à majorité écrasamment francophone (et gouvernées par des collèges échevinaux francophones pour la plupart) ; le reste de l'arrondissement avec des communes où les francophones sont en nombre important. L'accord de gouvernement prévoit la scission de BHV.  Les habitants des six communes « à facilités », en dépit de cette scission, pourront continuer à voter pour des candidats de Bruxelles. Faculté désormais refusée au reste des habitants francophones de BHV qui jouiront encore de droits spécifiques dans leurs rapports avec la Justice. La scission de BHV conforte la Flandre dans ses frontières linguistiques.

Certains disent que les francophones auraient capitulé. Mais ils le disent en fonction de leur rêve  de voir s'élargir Bruxelles à tout ou partie de BHV, ce qui aurait signifié la francisation rapide de cet arrondissement où les Flamands, défendant leur langue, agissent comme les Québécois à Montréal. Le poids énorme de la capitale belge (quasi entièrement francophone), est un facteur puissant de francisation (il ne reste que peu de Flamands résidant à Bruxelles) contre lequel la Flandre doit se défendre, comme le Québec contre l'anglais. En outre, les francophones les plus radicaux de Bruxelles, rassemblés dans le FDF ont souvent tenu des propos visant à élargir Bruxelles non seulement à la Flandre, mais aussi à la Wallonie. La Wallonie ne pouvait pas soutenir l'élargissement de Bruxelles, mené en faveur des Francophones habitant en Flandre dans des régions où villas et maisons peuvent atteindre 700.000  € alors que dans les deux grandes villes wallonnes, Liège et Charleroi, elles valent trois à cinq fois moins [L'Echo de la Bourse, 4 septembre 2010]. Il ne s'agit pas ici de dénier leurs droits à des gens qui font partie de la moyenne ou haute bourgeoisie mais de relativiser les problèmes d'une minorité francophone riche. D'autant plus que, comme on le verra, le contexte des conflits belges a affaibli économiquement la Wallonie où, dans les grandes villes, le chômage peut aller jusqu'à toucher  20 voire 30% de la population active.

De vieilles questions : responsabilités françaises et néerlandaises dans la crise belge

A notre sens, les droits des francophones de la périphérie sont  respectés par cet accord. L'élargissement de Bruxelles n'était une solution ni réaliste, ni respectueuse des droits de la Flandre, ni respectueuse des droits de la Wallonie.

Ces questions de langues sont plus anciennes que l'Etat belge lui-même. Lors de la Contre-Réforme catholique aux XVIe et XVIIe siècles, dans les Pays-Bas alors espagnols (préfiguration territoriale de la Belgique moderne), amputés des Provinces unies calvinistes à la suite de la longue lutte nationale et religieuse de la Hollande, des ordres religieux comme les capucins et les jésuites s'investirent massivement. Non seulement dans la prédication, le culte, mais aussi diverses tâches qui étaient celles de l'Eglise alors, comme l'assistance aux pauvres, aux malades, l'enseignement et même la lutte contre les incendies. L'ensemble de ces religieux (hommes et femmes, et sans le clergé séculier), formaient 3% de la population totale des Pays-Bas restés catholiques et espagnols [Jean-Marie Lacrosse, 1997, p. 19], soit l'actuelle Belgique moins la conquête de territoires que Louis XIV estimait nécessaire à sa « gloire », soit, en gros, l'actuel Nord-Pas-de-Calais. Face à la diversité linguistique de la population, les deux grands ordres religieux créèrent, au début du XVIIe siècle une « province de Wallonie » et une « province de Flandre », délimitant ainsi, non certes politiquement, mais à quelques égards administrativement et socialement, le territoire des deux plus grandes Régions belges actuelles [Jean-Marie Lacrosse, 1997, p. 17]. Ils se rendirent compte qu'il n'était pas possible de gérer de manière unitaire une seule province « belge » en raison de sa dualité linguistique (voir carte en annexe). Une dualité si ancienne que Fernand Braudel en fait même l'exemple emblématique de l' « événement de longue durée » : « le dépassement du Rhin au Ve siècle par des peuplades germaniques [...constitue] à des siècles et des siècles de distance, un trait contemporain vivant (voyez par exemple la Belgique coupée linguistiquement en deux). » [Fernand Braudel, 1986, p.14]

La politique linguistique de la République et de l'Empire puis du Roi de Hollande

La partie wallonne et la partie flamande de la Belgique se distinguaient aisément [Philippe Destatte, Marnix Beyen, 2011, pp. 33-34]. Lorsque la future Belgique fut française (1795-1815), la République puis l'Empire menèrent une politique de francisation en Flandre, non en  Wallonie : « Le décret du 8 pluviôse An II (...) ne prévoit pas d'envoyer des instituteurs dans la Wallonie romane (contre l'avis de Grégoire qui souhaitait une campagne linguistique couvrant tout le territoire). Les révolutionnaires eux-mêmes semblent donc considérer que la proximité entre le français et le wallon est suffisamment grande pour ne pas traiter la Wallonie comme la Bretagne, la Corse, l'Alsace ou la Flandre. » [Astrid Von Busekist, 1998, pp. 22-28]. Le wallon est la langue régionale principale de la Wallonie... Lorsqu'elle devint ensuite hollandaise (1815-1830), le roi de Hollande tenta seulement de préserver le caractère flamand ou néerlandais de la Flandre, créant en 1820 la première frontière linguistique à signification politique, pour reculer ensuite [Kenneth D. McRae, 1986 , p. 18].  Si la dualité linguistique a pris figure au XVIIe siècle, cette dualité n'a commencé à être conflictuelle qu'avec les puissances étrangères occupant le futur territoire belge de 1795 à 1830.

Dans l'Etat belge de 1830, les élites étaient toutes francophones, flamandes comme wallonnes. Elles allaient attiser le conflit linguistique car elles dominèrent en français toute la vie politique, économique et sociale, imposant de facto cette seule langue comme langue officielle du pays. On s'orientait vers une Belgique intégralement francophone (l'ancienne grande colonie belge, le Congo, le pays francophone le plus peuplé du monde - même si toute sa population ne parle pas le français - est un produit de cette situation). La langue parlée par les Flamands et  les Flamands eux-mêmes furent méprisés par ces élites dont la férocité exploiteuse dans les industries (en Wallonie plus particulièrement) a frappé des gens comme Marx ou le Professeur Martin Conway, pour qui, «cette industrialisation creuse des divisions profondes entre la classe ouvrière, qui endure des conditions de vie parmi les plus pénibles de l'Europe occidentale, et une bourgeoisie, principalement francophone, particulièrement confiante en elle-même. » [Martin Conway,  2005, p. 24].

La revanche flamande

Dès l'instauration du suffrage universel (à la suite d'une violente grève en Wallonie en 1893, qui fit notamment sept morts au lieu dit Pont-Canal, à Jemappes, la ville de la grande victoire révolutionnaire que les Wallons écrivent avec un seul m), la Flandre flamande ou flamingante reprit du poil de la bête : sa population a toujours été majoritaire en Belgique. Elle mit en place une patiente stratégie de revanche et de reflamandisation de la Flandre, à la faveur de son poids démographique qui lui permit d'occuper soit quasi tous les postes ministériels des gouvernements belges (situation de 1884 à 1914), soit les postes stratégiques principaux (économie, agriculture, finances) [Michel Quévit, 1978, pp. 79-108]. L'historien flamand Maarten Van Ginderachter a décrit  « Het ongenoegen over de Waalse verbanning uit het centrum van de macht - tussen 1884 en 1902 zat er maximaal één Waal in de regering » [Maarten Van Giderachter, 2005, p. 20] (« L'insatisfaction devant l'exclusion des Wallons du pouvoir central - entre  1884 et 1902 il n'y a au maximum qu'un Wallon dans le gouvernement... ») .

La Flandre visait, à travers toute cette stratégie, à renforcer sa langue. Cela parfois au détriment de la Wallonie dont n'émanaient cependant pas vraiment les élites qui la méprisaient (et dont les luttes pour  le suffrage universel, obtenu à la suite de grèves très dures, avait permis au fond à la Flandre de l'emporter). La prépondérance flamande permit d'empêcher la ville wallonne de Liège de conforter la position de son grand port fluvial (le troisième d'Europe) par des liaisons par voie d'eau avec Rotterdam, port hollandais rival du port flamand d'Anvers. Même si les difficultés de la Wallonie ont aussi des causes internes, le professeur Quévit (qui explique longuement dans son livre la manière dont on a bloqué trente ans l'expansion du port fluvial de Liège [Quévit, 2010]), a pu montrer que la prépondérance de la Flandre, animée par cette volonté (certes légitime) de renforcer sa langue, allait causer à la Wallonie de graves mécomptes, la Flandre s'adjugeant l'essentiel des ressources de son développement au détriment de la Wallonie [Quévit, 2010, Daniel Seiler, 1982.]. Le professeur Quévit retient sept dossiers 1) le développement  maritime et l'expansion des ports flamands 2) le développement des infrastructures de communication (chemins de fer et autoroutes),  3) les interventions de l'Etat belge dans l'économie au 19e siècle, 4) les charbonnages de Campine et les charbonnages wallons, 5) les lois d'expansion économique de 1959, 6) l'aide aux secteurs nationaux , 7) les fonds structurels européens. Dans ces sept domaines qui couvrent à peu près tout ce qui compte dans une économie comme la Belgique, la Flandre a détourné une grande part des ressources publiques à son profit.

Les ports flamands ont bénéficié d'investissements colossaux. On a été préoccupé en Flandre de les relier à Liège, quand l'industrie wallonne était encore puissante, par crainte de la possibilité qu'avait la ville wallonne de se relier aussi à Rotterdam, ce qui était son intérêt,  comme port fluvial notamment. Les liaisons de Liège vers Rotterdam ont, par contre été bloquées de 1930 à 1960 [Paul Delforge, pp. 173-177]. Alors que la Wallonie est en plein déclin industriel, un nouveau port se crée à Zeebruges dans les années 1970 à coup de dizaines de milliards de FB [Michel Quévit 2010, p.45].  La ligne Bruxelles-Anvers est électrifiée en 1935, la ligne Liège-Namur, 35 ans plus tard seulement. Même inégalité dans le développement des autoroutes : Bruxelles-Ostende est terminée en 1956, l'autoroute de Wallonie 16 ans plus tard [Quévit 2010, p. 56]. Les charbonnages du Borinage sont brutalement fermés à la fin des années 50, début des années 60, car décrétés non rentables. Les charbonnages flamands, également non rentables ou non compétitifs, seront maintenus trente ans encore en vie [Michel Quévit, 2010, pages 77 et suivantes], des centaines de milliards de FB y étant investis. L'Etat belge décide dans les années 1970 et 1980 d'aider les secteurs industriels en difficultés quasi exclusivement situés en Wallonie. Mais durant de nombreuses années, la Flandre parvient à imposer une clé de répartition des aides 77% pour la Flandre/23% pour la Wallonie : « Une fois de plus, les aides aux secteurs nationaux ont été réparties de sorte qu'elles stimulaient l'économie flamande qui n'avait pourtant aucun problème structurel. » [Michel Quévit, 2010, p.96]. Et pourtant, à partir de 1981, une violente campagne se développa en Flandre avec comme slogan « Plus un franc flamand pour la sidérurgie wallonne ! ». A la suite de cette campagne, le gouvernement fédéral décida de faire porter le poids de l'aide à la sidérurgie wallonne sur les seules capacités wallonnes de financement public : le Gouvernement décida « la régionalisation du financement de la sidérurgie wallonne par retrait des droits de succession de la liste des impôts ristournables pour la Wallonie, en échange d'une intervention dans les charges du passé des régions et des communautés. » [Philippe Desttate, p. 357]. De 1989 à 2016, les fonds structurels européens dont la vocation est de venir en aide aux régions en difficultés selon divers critères (chômage, PIB par habitant etc.), se répartissent de plus en plus de manière favorable à la Flandre (qui normalement ne devrait pas en bénéficier), au point qu'elle s'adjuge pour la dernière période (2007-2013), près de 60% des aides [Michel Quévit, 2010, p. 104). Dès 1982, Daniel L.Seiler pouvait synthétiser ces constatations d'un point de vue politique et économique : « La politique d'équipement pratiquée en Belgique - routes, chemins de fer, canaux - articula l'économie du pays sur un axe Nord-Sud, centré sur Bruxelles - avec tout ce que comporte le statut de capitale d'un Etat centralisé - et sur Anvers, centre des affaires. Grâce à l'ouverture du canal de Gand-Terneuzen, l'ancienne capitale du comté de Flandre [Gand] devint progressivement un vase d'expansion portuaire pour Anvers; elle deviendrait après la seconde guerre un centre important. La Wallonie poursuivait grâce à ses houillères une expansion industrielle intense autour de différents bassins - Liège, Charleroi, Mons le Borinage etc. Cependant ce développement correspond au modèle qu'Hechter propose de l'industrialisation dépendante. Les décisions se prennent ailleurs: les bassins industriels, non reliés entre eux, dépendent de Bruxelles. Liège ex-capitale d'un Etat souverain [La Principauté de Liège, 989-1795], se trouve progressivement marginalisée; elle qui domina la Belgique de 1830-1840, se mua en un chef-lieu d'une agglomération industrielle. Des projets présentés comme la favorisant bénéficièrent surtout à Anvers. Au moment où éclate la  « crise de l'Unité belge », celle-ci s'articule autour du triangle Bruxelles-Anvers-Gand. La Flandre va progressivement dominer le système économique créé par le centralisme. Déjà bien pourvue dans le secteur commercial et financier, elle va bénéficier de l'implantation des industries de pointe - automobile, chimie, pétrole et nouvelle sidérurgie -, alors que la Wallonie souffre du vieillissement industriel. En revanche, le géant économique qui grandit en Flandre se double d'un nain politique et culturel.  Le pouvoir appartient à la bourgeoisie belge et francophone. De là naîtra la crise qui mine le Belgique.» [Daniel L.Seiler, 1982, p. 86].

L'échec de la grève générale autonomiste de 1960

C'est face à cela qu'est née la revendication du fédéralisme en Wallonie, déjà fortement exprimée en 1945, lors du Congrès National Wallon de 1945 et durant la grève contre Léopold III en juillet 1950. Mais principalement durant la grande grève de 1960-1961, durement réprimée par un gouvernement à prépondérance flamande qui fit pratiquement occuper la Wallonie par des dizaines de milliers de militaires (la gendarmerie, police d'Etat, et les soldats proprement dits). La gendarmerie belge faisait  partie de l'armée et comptait 18.000 hommes. Les jeunes qui y avaient fait leur service militaire furent rappelés. Le gouvernement mobilisa en outre 18.000 soldats. Dans la seule journée du 6 janvier 1961, il y eut deux morts et 75 blessés graves à Liège. La gendarmerie procéda à l'arrestation de 2000 personnes condamnées à plusieurs mois de prison ferme. La grève dura six longues semaines. La reprise du mot d'ordre autonomiste par le Mouvement Populaire Wallon (MPW) relança l'action, mais le parti socialiste belge (alors encore unitaire), exclut de ses rangs les militants du MPW. Il subit ensuite une grave défaite électorale en Wallonie en 1965. Les gendarmes tuèrent, blessèrent et emprisonnèrent, cassant la revendication autonomiste wallonne [Els Witte, Jan Craeybeckx, Alain Meynen, 2009]. Quelques années plus tard, la Flandre dépassait économiquement la Wallonie en termes de PIB par habitant [Cycle de séminaires de la Chaire Max Bastin sur le développement de l'économie wallonne, 2008, p. 1]. Mais la Flandre ne parvient pas à rejoindre le peloton de tête des régions européennes riches : « Le fait d'avoir des difficultés à atteindre le peloton de tête expliquerait en partie le durcissement du discours communautaire. »  [Cycle de séminaires de la Chaire Max Bastin sur le développement de l'économie wallonne, 2008, p. 2].  Le dépassement de la Wallonie par la Flandre ne fut connu qu'au début des années 1970 en raison d'une certaine lenteur dans l'élaboration des statistiques. Dès 1979, la Flandre fit valoir que la Wallonie lui coûtait trop cher : il n'avait pas fallu attendre longtemps pour qu'elle exploite son avantage au plan symbolique [Le Soir, 2 avril 2009]. Sans aucune chance de se redresser dans l'Etat unitaire, les Wallons, malgré l'échec de la grève de 1960, réclamèrent, dans la foulée de celle-ci, au moment du dépassement flamand en termes de PIB/habitants, l'autonomie économique de la Wallonie obtenue seulement en 1980, et, de manière substantielle, seulement au milieu des années 90.  A ce moment, l'écart entre la Flandre et la Wallonie s'était profondément creusé. C'est alors  que les gouvernements wallons successifs purent lancer enfin des plans de redressement dont l'actuel baptisé « Plan Marshall » (politique à long terme), semble porter ses fruits [Christophe Ernaelsteen, Marcus Dejardin, Béatrice Van Haeperen, Anne-Marie Pirlot, mai-juin 2009.], [Anne de Vlaeminck,  Muriel Ruo, Francis Biesmans, Xavier Dupret, Michel Paquot, Stéphane Balthazar, janvier 2011].

Les Flamands se plaignent de payer pour une Wallonie qu'ils ont affaiblie

Les Flamands continuent cependant à se plaindre du fait que d'importants transferts (via les impôts et la sécurité sociale), continuent à s'opérer vers une Wallonie qu'ils ont contribué cependant à appauvrir. Cette théorie des transferts est bien exposée dans un dossier réalisé par trois chercheurs de l'université de Mons. Ils la définissent comme « La somme qu'une Région reçoit en plus (ou en moins) que ce qu'elle recevrait si sa part dans les dépenses était égale à sa contribution aux recettes. » [Giuseppe Pagano, Miguel Verbeke, Aurélien Accaputo, 2006].  Ils admettent que ces transferts s'opèrent en matière de Sécurité sociale, de dépenses de l'Etat fédéral et des mécanismes de solidarité prévus par le fédéralisme belge. Mais ils critiquent la façon dont certains estiment que cela joue aussi en matière de charge de la dette.

La Wallonie dépendante financièrement de la Flandre ?

Il faut  relativiser l'idée d'une Wallonie dépendante de la Flandre  via ces transferts: d'abord la Flandre ne peut pas se permettre de perdre Bruxelles et une indépendance de la Flandre déclarée unilatéralement, rompant par le fait même avec les principes de la solidarité belge, lui ferait « perdre » la capitale belge dont les communes sont gouvernées quasi exclusivement par des Bruxellois francophones, ceux-ci étant prépondérants dans le gouvernement de la Région de Bruxelles : « Subjectivement, ils [Les Flamands], ne peuvent pas partir sans Bruxelles et objectivement, ils ne peuvent partir que sans Bruxelles. » [Charles-Etienne Lagasse, 2004, p. 14]. En outre la crise financière endémique dont souffre l'Europe et le monde mène les Flamands les plus radicaux à envisager l'indépendance flamande, mais de façon modérée (et prudente), par la seule voie possible : celle de la négociation. Tout le processus de transformation (dissolution ?) de l'Etat belge démontre -  comme la longue crise qu'il vient de subir - que la Flandre ne pourra jamais avancer vers l'indépendance (si tant est que ce soit son véritable objectif immédiat), qu'en négociant avec ses adversaires qui désirent eux aussi avancer sur la voie de l'autonomie, mais pas aux conditions flamandes unilatéralement imposées. L'accord entre les six partis vers lequel on s'oriente prévoit d'importants transferts de compétences vers les Régions, donc aussi vers la Wallonie. D'ores et déjà, Charles-Etienne Lagasse  considère que, hors le service de la dette publique, l'Etat fédéral ne gère plus que 49% des compétences étatiques [Charles-Etienne Lagasse, 2003, pp. 288-289.] 2. Cette proportion va se réduire (à 40 %, sans doute moins), avec l'accord gouvernemental actuel.  On  évalue à 17 milliards d'€ les ressources transférées aux Régions et Communautés avec les compétences qui y correspondent. La Wallonie disposera d'instruments encore plus importants pour opérer son redressement et réduire les trop graves poches de chômage des régions de vieille industrialisation (allant jusqu'à 30% de la population active dans certaines grosses agglomérations).

La Wallonie a en effet, elle aussi, besoin de plus d'autonomie. La FGTB wallonne pose la question de savoir si la politique, imposée par la Flandre ou du moins au fédéral, de réductions des cotisations patronales (plus d'un milliard d'€ par an pour la seule Wallonie [Form'Action André Renard, 2007], peut-être la politique à mener dans une région riche comme la Flandre, est celle qu'il faudrait mener dans une région qui subit des difficultés économiques. D'autres politiques de réductions des impôts sont aussi menées sans véritable stratégie adaptée à la Wallonie, comme les intérêts dits « notionnels » (les entreprises investissant sur leurs fonds propres bénéficient de remboursements comme si elles empruntaient). Enfin l'épargne des ménages wallons est très élevée, l'une des plus élevées d'Europe (160% du PIB régional), mais elle n'est pas collectée par des organismes de crédit public qui auraient une politique de développement wallon. [Xavier Dupret, 2011, p. 45].

L'épargne des ménages wallons

Un long développement [Xavier Dupret, 2011] (que le lecteur ne nous en tienne pas rigueur) s'impose à ce sujet. On peut estimer, grâce à l'Institut des comptes nationaux, le PIB wallon et le revenu des Wallons à partir du Produit régional brut (PRB). « Le Produit intérieur brut mesure la contribution productive d'une région. Le concept est territorial. N'interviennent dans le PIB que les activités qui sont localisées dans la région (...). Le Produit régional brut fournit un éclairage complémentaire. Il mesure les revenus du travail et du capital perçus par les Bruxellois, les Flamands et les Wallons quelle que soit la localisation de la production. Le concept ici met l'accent sur le lieu de résidence des facteurs de production. » [M. Mignolet et M.-E. Hoet-Mulquin, 2005, p. 5] Les données, prévalant en matière de PIB et PRB en Wallonie, s'établissent comme on verra dans le tableau ci-dessous. On remarquera que la Région bruxelloise concentre 19,2% de l'activité économique de la Belgique, mais la production attribuable aux facteurs de production résidant à Bruxelles n'équivaut qu'à 12,8% du PNB de la Belgique (données 2005). Bruxelles fonctionne, à cet égard, comme un bassin de richesse pour les deux autres régions du pays. Ainsi, alors que les PIB de la Flandre et de la Wallonie pèsent respectivement pour 57,5 et 23,3% de l'agrégat national, leurs PRB en représentent 60,6 et 26,6%. La Banque nationale de Belgique, contrairement à la Banque de France, ne fournit pas de données régionales concernant l'épargne et le crédit aux ménages. Les données fournies par Eurostat mesurent l'épargne et la dette des ménages par rapport au PIB (données 2010). Or, l'épargne et l'endettement sont davantage déterminés par le revenu. On estimera, tout d'abord, l'épargne et l'endettement wallon à partir des données PIB établies pour la Belgique par Eurostat. Eurostat nous indique que l'épargne des ménages belges équivaut à 266,35% du PIB tandis que leurs dettes représentent 54,73% du PIB. On peut émettre l'hypothèse que plus un territoire engendre du revenu, plus il est facile pour ses habitants de limiter le recours à l'endettement. Dans le cas contraire, l'endettement a tendance à croître. On observera que les Wallons représentent 31,5% de la population et 23,3% du PIB belge. Si prévalait une équivalence stricte entre ces deux variables, on retrouverait les mêmes proportions d'épargne et de dettes pour la population wallonne que pour la Belgique. On peut établir que la proportion d'épargne wallonne représente 74% (23,3/31,5) des montants établis par Eurostat pour la Belgique, soit 197% du PIB 3 Ce qui n'est pas une donnée négligeable. De plus, puisque la Wallonie produit moins de richesses, on peut postuler que les ménages wallons ont davantage recours à l'emprunt. On peut établir que la proportion de l'endettement wallon, par rapport à son PIB, est 1,35 fois supérieure (31,5/23,3) à la moyenne établie à la Belgique. Ce calcul permet d'établir un endettement des ménages wallons équivalent à 73,89% (1,35 fois 54,73) du PIB régional.

Ces données sont établies en lien avec le PIB. Comme si les ménages wallons ne tiraient leurs revenus que de l'activité productive enregistrée sur le seul territoire de la Wallonie. Or, la réalité est évidemment tout autre. Nous signalions plus avant que des Wallons tiraient un revenu de l'activité économique engendrée sur d'autres territoires (navetteurs en Région bruxelloise et transfrontaliers). Et c'est ce constat qui a motivé la mise au point du PRB. L'optique « revenu » du PRB est de nature à mieux cerner les capacités d'épargne ainsi que les nécessités de recours à l'endettement des ménages. Contentons-nous d'établir que, pour la Wallonie, le PRB est 1,14 fois supérieur au PIB (26,6/23,3). Le revenu des Wallons étant plus élevé que le revenu généré par le territoire sur lequel ils habitent, ce fait ne peut qu'amener à revoir à la hausse les capacités d'épargne et à la baisse la nécessité d'emprunter des ménages de Wallonie. Au total, on estimera que la part de l'épargne dans le PIB est supérieure à 224% du PIB (197 fois 1,14). Quant à la nécessité de recourir à l'emprunt des ménages wallons, elle est inversement proportionnelle au supplément de revenu que les Wallons tirent de l'activité économique d'autres territoires. Ce qui amène à revoir à la baisse les dettes des ménages wallons d'environ  87,6% (213,3/26,6). Ce qui donne un endettement des ménages wallons équivalant à 64% (73,89 fois 0,876). Les ménages wallons épargnent beaucoup et ne sont pas spécialement endettés. Pour s'en convaincre, on fera la comparaison avec un certain nombre de pays européens (voir les deux tableaux, plus loin,  ci-dessous). On constatera que l'épargne wallonne n'a rien à envier avec ce qui existe dans les pays avoisinants. En cette matière, ni l'Italie ni l'Allemagne ne feraient mieux que la Wallonie. Et avec un taux d'endettement des ménages de l'ordre de 64% de son PIB, la Wallonie ne fait pas moins bien que l'Allemagne. En outre, si l'on établit la solvabilité des ménages en déduisant leurs dettes de leur épargne, on s'apercevra que les ménages wallons sont, dans l'ensemble, plus solvables que ceux des Pays-Bas. La solvabilité des ménages wallons s'établit aux alentours de 160% (224% - 64%) du PIB local contre 153% aux Pays-Bas (283% - 150%) et 130% en Allemagne (193,92% - 63,59%).

On ne peut qu'être frappé par un fait étrange. Malgré l'existence d'un tel matelas financier, il n'y a jamais eu, en Wallonie, d'entreprise visant à se doter d'un appareil bancaire avec l'objectif de faire fructifier l'épargne des résidents au sein du tissu économique régional. D'autres peuples, au cours de leur histoire, ont fait le pari de stratégies de développement basées sur la mobilisation de l'épargne locale pour s'émanciper d'un « centre » jugé étouffant. Ainsi, le Québec où, aujourd'hui encore, les caisses Desjardins occupent une place privilégiée dans le paysage financier. Les caisses Desjardins sont des banques coopératives. Or, il apparaît aujourd'hui difficile de miser sur le mouvement coopératif pour mobiliser l'épargne des Wallons. La création de coopératives dans le secteur bancaire est directement liée au mouvement d'intégration, au cours du XXe siècle, des classes populaires au système bancaire. Il serait, à tout le moins, difficile d'imaginer que de telles formes de mobilisation de l'épargne populaire puissent aujourd'hui voir le jour alors que tout le monde à accès aux services bancaires. Et c'est ici qu'au passage, nous revaliderons une des propositions fondamentales du « renardisme » (du nom d'André Renard leader de la grève autonomiste de 1960). À savoir la mise sous tutelle publique des banques et institutions de crédit. On pouvait croire cette revendication passée par pertes et profits depuis la libéralisation financière et commerciale des années 1990. Or, il se trouve que, de nos jours, des voix pas spécialement révolutionnaires redonnent un tonus au projet formulé par le renardisme au sujet des institutions financières. Laissons la parole à l'économiste américain Nouriel Roubini, professeur à l'université de New York : « La question de savoir ce qu'il fallait faire avec les actifs dangereux des banques s'était posée dès le début de la crise (...). La proposition la plus prometteuse consistait à soumettre les banques à une lourde intervention chirurgicale. Il s'agissait de prendre une banque en difficulté et de la diviser en deux : une "bonne" banque qui disposerait de tous les actifs de bonne qualité et une "mauvaise" banque à qui on confierait tout le reste. La bonne banque pourrait recommencer à consentir des prêts, à attirer de l'argent et des capitaux et à faire des affaires ». [N. Roubini et St. Mihm, 2010, p. 241]. En cas d'adoption d'un plan Roubini, les actionnaires de la banque et ses créanciers dépourvus de garanties sont les premiers à subir des pertes proportionnelles aux actifs confiés à la mauvaise banque. Comme on peut le voir, la dénonciation de la toute-puissance du marché a quitté l'underground où elle était cantonnée depuis des décennies. Dans cette optique, la délégitimation du discours néolibéral et le processus de réforme de l'État en cours ne peuvent qu'encourager à accorder une attention renouvelée à certains éléments du renardisme.

Des difficultés financières en Wallonie qui ne sont pas insurmontables

Certes [La Libre Belgique, 3 mai 2011 pour ce qui suit], les intérêts de la dette publique fédérale belge  atteignaient en 2010 12,2 milliards d'€ en 2010. Or, en 2010, le solde primaire - la différence entre recettes et dépenses, hors intérêts de la dette -  de la Wallonie a atteint -6,2 milliards d'euros, selon le Centre de recherches en économie régionale et politique économique (CERPE) des Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur. Ce déficit primaire wallon s'est dégradé en 2009 et 2010  à cause de la crise économique. Il est   de 6,9 milliard d'€ en 2009 et de 6,2 milliards d'€ en 2010 selon le CERPE. En 2006, le déficit primaire wallon était seulement de 1,7 milliard d'€. La Flandre et Bruxelles ont quant à elles enregistré en 2010 un surplus primaire de 4,3 milliards d'€ (Flandre) et 276 millions d'€ (Bruxelles). En 2010, la Belgique, affichait un déficit primaire de 1,6 milliard d'€. Les  transferts interrégionaux sont restés relativement stables et profitent à la Wallonie à hauteur de plus de 5 milliards d'€ par an. La charge budgétaire qui incomberait à la Wallonie en cas de scission du pays semble plus pertinente à calculer en se référant au solde primaire plutôt qu'au montant des transferts selon le CERPE. « Ne confondons pas montant auquel une région devrait faire face en cas de scission et transferts interrégionaux », résume Michel Mignolet [Michel Mignolet, 2011], directeur du CERPE. En cas de partition du pays, la Wallonie devrait donc faire face à des charges budgétaires comprenant le solde primaire qui lui reviendrait à la suite de la défédéralisation des recettes primaires et des dépenses de l'entité I (Etat fédéral + sécurité sociale), auquel s'ajouteraient les intérêts de la dette publique fédérale qui lui seraient imputés après négociation. Les intérêts de la dette publique fédérale atteignaient quant à eux... 12,2 milliards d'€ en 2010.

Mais, il nous faut mentionner que tous ces éléments chiffrés relèvent de la projection. La charge d'intérêt pour la Wallonie, en cas d'adoption d'un modèle confédéral, peut varier selon que le poids de la dette soit réparti en fonction du poids de la Wallonie dans la population belge ou dans le PIB de l'économie belge. Selon le cas de figure envisagé, la Wallonie emportera avec elle un bon tiers (sa part dans la population belge totale) ou moins d'un quart de la dette belge. De plus, l'hypothèse d'une scission immédiate et brutale du pays est peu vraisemblable. Il est donc plus que probable que si la Wallonie devait commencer à se financer elle-même, ce serait dans un tout autre contexte. Et, de toute façon, pas avant longtemps. En outre, la question se pose de savoir comment mesurer les capacités de la Wallonie, en termes de PIB ou de PRB ? En termes de PIB, les parts de BXL, Flandre et Wallonie sont respectivement 19,2%, 57,5 % et 23,3%, mais en termes de PRB 12,8 %, 60,6% et 26,6%. Or, la région bruxelloise est en réalité le principal bassin d'emplois wallons [Xavier Dupret, 2011].

Des diminutions de charges sociales contestables

Par ailleurs, s'il est vrai que le drame du chômage wallon engendrerait une série de surcoûts pour des finances publiques wallonnes totalement « responsabilisées », il reste, dans ce contexte difficile, des marges de manœuvre pour la Wallonie. A condition de ne pas reproduire certaines politiques mises en œuvre au niveau fédéral en matière de sécurité sociale. En 1995, les plans d'allégement de charges équivalaient à un peu plus d'un milliard d'€. En 2003, ce volume avait quasiment quadruplé et frôlait les quatre milliards d'€. Sous l'intitulé « bas salaires et réductions structurelles », on place les réductions de cotisations patronales octroyées sans aucune condition d'embauche ni limitation de l'exonération dans le temps. Les réductions patronales conditionnelles étaient, quant à elles, fonction du nombre d'engagements et limitées dans le temps. Les réductions personnelles désignent des allégements de cotisations sociales personnelles destinées aux travailleurs à bas salaires. Entre 1995 et 2003, elles ont oscillé entre 2,5 et 3,5% du montant total des réductions de cotisations. Au cours des années 2000, les mesures de réduction des cotisations patronales ont continué à aller dans le sens d'une inconditionnalité croissante comme le prouve le tableau suivant.

 

Progression des réductions de cotisation de sécurité sociale entre 2004 et 2005 (milliards d'€)

Tableau réduction cotisations sociales

Tableau réduction cotisations sociales

Source : ONSS dans INFORFEB, n° 14, 19 avril 2007.

Entre 2004 et 2007, les réductions de cotisations inconditionnelles vont ainsi passer de 3,3 à près de 4 milliards d'€ alors que les conditionnelles croissent de 1 à 1,5 milliard d'€ sur la même période. S'il est vrai que les réductions de cotisations conditionnelles connaissent une très légère progression en termes relatifs (en 2004, elles représentaient quelque 22% du montant total des réductions de cotisations contre un peu plus de 27% en 2007), leur poids financier est nettement moins frappant quand on le compare à celui des réductions de cotisations inconditionnelles: « Quelques ordres de grandeur permettent de situer l'effort. En 2004, le PIB de notre pays s'est élevé à 283 milliards d'€. Cette année-là, la somme totale des allégements de cotisations patronales représentait [...] 1,6% du PIB. A titre de comparaison, selon les perspectives de l'emploi de l'OCDE parues en 2005, la Belgique consacrait 0,75% du PIB aux préretraites. » [Bart Cockx, Henri Sneesens et Bruno Vander Linden, 2005, p. 585.] Pour mémoire, 3,9 milliards d'€ en 2007 équivalaient 1,25% du PIB de l'époque. Vu les sommes globales mobilisées, il convient de souligner le coût financier modeste des réductions de cotisations personnelles. Entre 2000 et 2007, elles sont passées de 100 à 600 millions d'€ comme le montre le graphique ci-après.

Evolution des réductions de cotisations des employeurs et des travailleurs, en milliards d'€

Evolution des réductions de cotisations sociales des employeurs et travailleurs

Evolution des réductions de cotisations sociales des employeurs et travailleurs

Source : ONSS dans INFORFEB La Newsletter pour décideurs, n° 14, 19 avril 2007.

Dès 2004, des analystes s'interrogèrent sur la manière dont les plans de réduction de cotisations patronales avaient fonctionné en Belgique. Ils en conclurent que « en absence de ciblage, comme dans le cas d'une baisse généralisée des cotisations sociales, le travailleur serait souvent embauché même en absence de l'aide ». [Bart Cockx, Henri Sneesens et Bruno Vander Linden, 2004, pp. 55-58] C'est ce qu'on appelle un effet d'aubaine. Leurs conclusions confirmaient, au passage, une recommandation déjà ancienne : « La priorité doit être donnée à la création de postes de travail pour les personnes moins qualifiées. Dès lors, les allégements de charges patronales devraient être concentrés sur une fourchette assez étroite de travailleurs à bas salaires pour avoir le plus d'effet au moindre coût. » [Pierre Picard, 1998, p. 418]. Une réforme en matière de politique d'emploi vit le jour en mars 2005. A cette époque, le Conseil européen prit la décision d'orienter davantage la Stratégie de Lisbonne sur les politiques d'emploi. Dans ce cadre, les Etats membres ont établi un Programme national de réforme (PNR) afin de transposer les objectifs européens au niveau national. Suite à l'adoption de son Plan national de réforme (PNR), le gouvernement belge indiqua entre autres choses que les charges pesant sur le travail devraient être réduites de l'équivalent de 2,2% du PIB entre 2005 et 2010 [D. Bassiliere, F. Bossier, I. Lebrun et P. Stockman, 2007, p. 9]. A partir de 2008, les engagements du gouvernement belge tels que prévus dans son PNR se matérialisèrent par un abaissement des cotisations sociales des travailleurs pour les salaires les plus bas. Cette réforme est présentée comme une stratégie privilégiée d'incitation au travail [Stratégie de Lisbonne, Programme national de réforme 2008-2010, Belgique. Slnd, pp. 29-30]. Objectivement, il y a lieu de questionner l'efficience des mesures de réduction de cotisations patronales ciblées sur les bas salaires en examinant des cas de figure étrangers. Aux Pays-Bas, on note l'existence d'un programme similaire : le Specifieke afdrachtskorting lage lonen (SPAK). Ce programme de « réduction spécifique des cotisations à bas salaires » a été introduit en 1996. Il crée une réduction des cotisations patronales à la sécurité sociale pour les employeurs qui embauchent des travailleurs dont le salaire n'excède pas 115% du salaire minimum légal. 72% des entreprises bataves entrant en ligne de compte ont eu recours au SPAK dans le passé [Ive Marx, 2007].

On notera le caractère relativement similaire du SPAK et des mesures bas salaires mises en œuvre en Belgique 4. Enfin, le dispositif est centré sur une fourchette de bas salaires dans les deux pays. Ces similitudes légitiment plusieurs comparaisons à partir du concept de « perte sèche »(deadweight loss en anglais). Dans le cas des politiques de réduction des cotisations, il y a deadweight loss lorsque « un grand nombre d'individus subventionnés auraient [...] trouvé un emploi si la subvention [...] n'avait pas été mise en œuvre. » [Ive Marx, 2007] Dans le cas du SPAK, la perte sèche avoisine 93% [Ive Marx, 2007]. En d'autres mots, 93 emplois sur cent subsidiés auraient de toute façon été créés quand bien même le SPAK n'aurait pas existé aux Pays-Bas. Par analogie, on devrait retrouver un taux de pertes sèches du même ordre en Belgique. Une révision, dans un cadre wallon (et ce n'est pas pour tout de suite), de ce type de politique permettrait de gagner 2,2% du PIB chaque année. C'est-à-dire, à l'échelle du PIB wallon (73 milliards d'€ environ), 1,7 milliard par an. Grosso modo, une économie, pour un tel montant, aurait ramené le solde primaire wallon de - 6,2 milliards (8,5% du PIB) à - 4,5 milliards d'€ (6,2%). Ce qui est inférieur au déficit public de la France en 2010 (8% du PIB). Pour être tout à fait franc, la question de la soutenabilité de la dette doit être posée en dehors du cadre « statonational » auquel nous renvoie le débat « Wallonie libre versus Wallonie réunie à la France ». Or, dans le cadre du système de la finance libéralisée, tant la dette de l'Etat belge que celle de la République Française sont appelées à connaître bien des tourments. La méfiance structurelle, en régime libéralisé, des institutions financières à l'égard des dettes publiques finit par revêtir un caractère de prophétie autoréalisatrice. Plus les banques, à la recherche de rendements élevés pour satisfaire les appétits de leurs actionnaires et pour effacer un certain nombre de dépréciations liées à des actifs toxiques présents dans leurs bilans, rejettent les obligations souveraines, plus celles-ci finissent par revenir cher aux Etats qui les émettent. Dès lors, la dette publique finit par peser de plus en plus lourd pour les Etats concernés. On pourrait remédier à cette situation en réactivant autant que faire se peut, entre autres réorientations économiques, certains circuits courts (c'est-à-dire nationaux) de valorisation de l'épargne sous forme de financement interne des pouvoirs publics. Plus les titres de la dette publique seront demandés, moins ils coûteront cher à l'Etat et plus ce dernier sera en position de solvabilité face aux institutions financières. Ce débat aussi nécessaire pour la France (dont la dette est menacée de dégradation par les agences de notation) que pour la Wallonie, c'est la crise de l'euro aujourd'hui patente qui, faisons le pari, l'imposera.

La Wallonie est le meilleur client des produits flamands

En outre, la Wallonie demeure parmi tous les pays du monde, le meilleur client des produits flamands, ce qui, on en conviendra, relativise fort la dépendance de la Wallonie à l'égard de la Flandre. C'est d'ailleurs ce que fait remarquer l'économiste Giuseppe Pagano : « Le nord n'aurait d'ailleurs aucun intérêt à se réjouir de l'appauvrissement du sud, puisque la Wallonie reste son premier partenaire économique. » [Giuseppe Pagano, 4 septembre 2010] A supposer que l'initiative de la scission serait prise par la Flandre seule (hypothèse peu probable) ou en tout cas unilatéralement, celle-ci n'y regarderait-elle pas à deux fois avant de mettre en difficultés graves son meilleur client ? Politiquement, cette nécessité dans laquelle la Wallonie se trouverait de faire face, seule, à ses besoins de financement n'est donc pas une question d'actualité. Les partis flamands, même les plus radicaux ne songent pas à une scission immédiate du pays et ils savent pertinemment qu'il faudra en négocier, le cas échéant, les conditions avec Bruxelles et la Wallonie. En outre, la Wallonie a engagé depuis 2005 un plan de redressement à long terme qui semble donner des résultats probants appelé « Plan Marshall ». Ce plan de redressement est soutenu, soulignons-le, par l'ensemble des forces sociales organisées en Wallonie : le Patronat regroupé dans l'UWE (Union wallonne des entreprises), les syndicats de travailleurs - CSC (syndicats chrétiens) et FGTB (syndicats socialistes) - traditionnellement très puissants en Wallonie, les PME regroupées dans l'UCM (Union des classes moyennes), les agriculteurs dans la FWA (Fédération wallonne de l'agriculture), les trois universités wallonnes (Liège, Louvain et l'ULB bruxelloise), de même que  l'ensemble du monde politique.  Et on a déjà vu que les résultats en sont probants. Il est difficile de dire quand  la Wallonie se retrouverait vraiment dans la situation ou l'obligation de se financer seule. Au minimum dans dix ans, sans aucun doute beaucoup plus.

Situation de la Wallonie en Europe

 

Carte géopolitique de la Wallonie

 

La Meuse, est un des plus importants fleuves d'Europe. Sur les 36.000 kilomètres carrés de son bassin versant, le tiers se trouve en Wallonie, recouvrant la plus grande partie du territoire. Carte à comparer avec celle de la Provincia Walloniae du XVIIe siècle (en annexe). La grande ville wallonne de Liège, à l'est de cette carte, est le troisième port fluvial européen et possède le 8e aéroport européen pour le fret. A l'ouest l'autre grande ville wallonne, Charleroi, possède le deuxième aéroport belge pour le transport des voyageurs. 40 millions de tonnes de marchandises sont transportées par voie d'eau en Wallonie. La région compte, avec Bruxelles,  trois universités francophones complètes (Liège, Bruxelles et Louvain-la-Neuve).  On compte 40 entreprises wallonnes leaders mondiales dans le domaine de leur production (informatique, chimie fine, espace, construction d'avions,  biotechnologies etc.).

 

La solution : la Wallonie indépendante dans une Belgique confédérale

Contrairement aux possibles graves problèmes que poserait une scission pure et simple de la Belgique ou encore une réunion de la Wallonie à la France, le système institutionnel belge actuel permettrait sans aucun heurt, sans aucun déchirement, de combiner une indépendance maximale pour les entités fédérées actuelles sans poser de problèmes ni à l'Europe, ni aux voisins d'une Belgique qui pourrait d'ailleurs changer de nom, ni finalement à la Wallonie ni ses autres partenaires belges. Il faut savoir que chaque fois qu'une compétence est transférée de l'Etat fédéral aux entités fédérées, cette compétence est transférée totalement. La répartition des compétences est globale : en d'autres termes, si un niveau de pouvoir est compétent pour une matière, il l'est non seulement pour la « fonction normative », mais également « exécutive », « budgétaire », et, de surcroît, pour « les relations internationales » [Charles-Étienne Lagasse, 2003, p. 119]. A ce caractère exclusif des compétences transférées aux Régions (typique des Etats fédéraux, mais fortement mises en causes dans certains comme le Canada où l'Etat dispose de son fameux « pouvoir de dépenser » qui met en cause l'autonomie du Québec), s'ajoute l'équipollence des normes, soit l'égalité absolue en droit de la norme fédérale et de la norme fédérée.  Que les compétences internes des  Régions se prolongent sur la scène internationale, Charles-Étienne Lagasse, le commente et justifie comme suit: « il n'eût pas été cohérent (...) que leur autonomie s'arrêtât à leurs frontières, d'autant moins que la vie des États s'inscrit chaque jour davantage dans un contexte international »   [Charles-Étienne Lagasse, 2003, p. 143]. C'est important à souligner : il y a effectivement dans le modèle institutionnel belge, tous les éléments qui adaptent la Belgique divisée (ou apparemment divisée tout dépend du modèle auquel on se réfère), à la situation internationale actuelle, dont on peut imaginer que son caractère interétatique et international s'accentuera encore. C'est un important atout. Les Régions compétentes pour signer des traités dans les domaines de leurs compétences [Philippe Suinen, 1995, pp. 453-454], se heurtent à des limites constitutionnelles, certes, mais purement théoriques au nombre de quatre : elles ne peuvent pas signer des traités, 1) lorsque la Belgique n'a pas reconnu la partie cocontractante ; 2) lorsqu'elle n'entretient pas de relations avec l'État concerné ; 3) lorsque les relations diplomatiques avec cet État ont été rompues,  suspendues ou compromises gravement ; 4) lorsque le traité envisagé est en opposition avec les obligations internationales de la Belgique. Des cas de ce genre ne se rencontrent jamais.

Les Régions siègent au Conseil des ministres européens, comme par exemple en matière agricole, les ministres wallon et flamand de l'agriculture (il n'existe pas de ministère de l'agriculture à Bruxelles), siègent alors en fonction des opportunités. Ils se concertent sur la position préalablement sur la position à défendre en commun. En cas d'accord sur celle-ci, elle est défendue comme étant la position de la Belgique. En cas de désaccord on s'abstient. Dans la pratique, on connaît très peu de cas où une position commune n'ait pas pu être définie. Des principes similaires régissent la manière dont les Régions sont représentées dans les instances internationales comme l' UNESCO, l'Organisation des Nations unies, l' Organisation internationale de la Francophonie, etc. L'unicité du siège de la Belgique dans ces institutions n'est pas mise en cause, mais, dans les domaines de leur compétences, les entités fédérées « se concertent entre elles pour harmoniser leurs vues et déterminer laquelle s'exprimera ou votera au nom de la Belgique » [Charles-Etienne Lagasse, 2003 p. 145].  On pourrait imaginer que, hormis, par exemple, la défense nationale et la solidarité sociale (idéalement parlé, elle pourrait devenir même européenne), Wallonie, Flandre et Bruxelles, sous le couvert de cette unicité du siège belge, se partagent en réalité l'ensemble du pouvoir étatique belge. Les trois Régions exerceront si la réforme de l'Etat en projet est exécutée (ce qui est fort probable), sans doute plus de 60% des anciennes compétences étatiques belges, alors que ce pourcentage était pratiquement nul en 1980. Toutes  ces dispositions sont uniques au monde. Aucune autre entité fédérée au monde ne jouit de cette capacité d'agir sur le plan international soit seule, soit en coopération avec les autres [Philippe Suinen, 2000]. Il faut en tenir compte avant de proposer des solutions qui s'écarteraient de ce système en place depuis 1993.

Conclusions

Même s'il n'y a jamais eu d'entité politique belge avant 1830, Jean-Marie Lacrosse a pu écrire à propos de la « Belgique » (ou de sa préfiguration) du début du XVIIe siècle : l'important, c'est que voilà la nation belge constituée « aussi bien dans son unité que dans sa division » [Jean-Marie Lacrosse, 1997, p. 19]. On a le sentiment en effet que la Belgique a toujours été divisée, profondément et que ce qui pourrait finalement être considéré comme anormal, c'est l'instauration d'un Etat unitaire faisant fi des disparités dont avaient tenu compte les grands ordres religieux comme les capucins ou les jésuites dans leur manière d'organiser leur province « Belgique » peu après 1600.  Cet Etat unitaire belge qui a imposé  à l'ensemble du pays une langue unique, le français, provoquant les pires difficultés. L'expansion industrielle formidable de la Wallonie au XIXe siècle, l'immigration forcée (économiquement et socialement) des Flamands en Wallonie, le fait que tout ce processus s'est fait sous la gouverne d'une classe dirigeante francophone, méprisant le peuple flamand, a fait naître bien des rancœurs  que n'ont pas payées nécessairement les auteurs de ces dédains et qui continuent à blesser l'âme de la Flandre. Un Wallon peut comprendre, en effet, que  les Flamands se soient évertués, depuis, à trouver une revanche pour leur langue et à asseoir la force de celle-ci sur une prospérité économique retrouvée à tout prix. Mais peut difficilement admettre que cela se soit fait au détriment de la Wallonie. C'est la raison pour laquelle la force sociale la plus agissante et d'une certaine manière, alors, la plus puissante en Wallonie - la classe ouvrière organisée - a voulu sauver l'économie régionale en tentant d'obtenir le plus rapidement possible le fédéralisme. L'histoire a montré que ce qu'ambitionnait André Renard en 1960-1961 n'a pu se réaliser rapidement. L'histoire a montré également que suite à la grande grève, la domination flamande s'est encore accentuée, devenant d'autant plus insupportable que la Wallonie allait souffrir, dans une conjoncture mondiale délabrée après 1970, non seulement de cette crise, mais aussi - et surtout -  de l'affaissement structurel des points forts de son économie (le charbon et l'acier). Sans pouvoir mener la politique qui convenait à une situation de ce genre et en continuant à subir la domination flamande.

Par ailleurs, la Flandre ne peut pas s'estimer satisfaite des résultats obtenus dans la lutte séculaire pour sa langue. La Flandre et la Wallonie ont intérêt à renforcer  leur autonomie, l'une pour parfaire l'enracinement du néerlandais en Flandre, l'autre pour ressaisir la maîtrise de son destin économique. Il nous semble que nous avons montré que ni la Flandre, ni la Wallonie ne sont à même d'aboutir immédiatement à ces deux objectifs vitaux pour elles. Il nous paraît aussi que malgré les conflits, d'évidents liens existent entre la Flandre et la Wallonie, non seulement du fait de l'histoire, mais aussi du fait du passé belge et des dépendances réciproques sur le plan économique entre la Flandre et la Wallonie. La solution à trouver pour la Wallonie, de concert avec la Flandre (et avec Bruxelles), ce serait, nous semble-t-il, d'aller jusqu'au bout d'autonomies recherchées et acquises à la suite de durs combats, de part et d'autre, mais d'autonomies qui peuvent s'accommoder d'un vivre ensemble assez lâche sans doute, dans un cadre confédéral au sein duquel coopéreraient trois Etats souverains au sens où ils le sont d'ores et déjà, du fait du caractère très particulier du fédéralisme belge qui est en réalité une structure déjà confédérale [Vincent de Coorebyter, 2008, p. 40].

Hors l'armée et la solidarité sociale, tout le reste des compétences étatiques belges peut être transféré aux Régions souveraines, y compris la politique étrangère qui au sein de la confédération belge ou de la Confédération Flandre-Wallonie-Bruxelles, pourra très bien s'élaborer comme elle s'élabore déjà en partie aujourd'hui entre Flamands, Wallons et Bruxellois ; à la façon dont elle  s'élabore déjà en grande partie entre nations européennes. C'est peut-être d'ailleurs quand la séparation aura atteint ainsi son maximum, sans pour autant briser l'entente entre les nations séparées de Flandre et de Wallonie, avec la Ville Libre de Bruxelles, que le pays d'ici sera devenu un vrai modèle pour l'Europe, ce qu'il n'est certes pas aujourd'hui. C'est toute l'étrangeté du séparatisme paradoxal de la Belgique dans lequel la Wallonie doit forger une indépendance réelle sans rupture avec ses voisins ex-belges.

Xavier Dupret (Chercheur au GRESEA, Groupe de Recherche pour une Stratégie économique alternative)

José Fontaine (Directeur de la revue TOUDI)

Sources

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Cycle de séminaires de la Chaire Max Bastin sur le développement de l'économie wallonne,

Rapport du séminaire du 22 mai 2008 de 8h30 à 11h30 à Louvain-la-Neuve, (Salle Vaes, Place Rabelais). Thème: La situation structurelle de la Wallonie.

Bart Cockx, Henri Sneesens et Bruno Vander Linden, "Allégement de charges sociales : une mesure à promouvoir mais à réformer" in Reflets et perspectives de la vie économique, XLIII, 2004 (1).

 

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Philippe Destatte, Marnix Beyen, La Belgique va-t-elle disparaître ?, éditions de l'aube, La Tour d'Aigues, 2011.

Anne de Vlaeminck,  Muriel Ruo, Francis Biesmans, Xavier Dupret, Michel Paquot, Stéphane Balthazar, Henri Houben  Marshall en Wallonie, in Politique, revue de débats, janvier 2011, pp. 18-46.

Xavier Dupret, Stimulation = politique de crédit in Marshall en Wallonie, in Politique revue de débats, janvier 2011, pp. 43-46.

Christophe Ernaelsteen, Marcus Dejardin, Béatrice Van Haeperen, Anne-Marie Pirlot, in La Revue Nouvelle mai-juin 2009 (dossier spécial sur le Plan Marshall)

Form'action André Renard (Centre  d'études de la FGTB wallonne, le principal syndicat wallon de travailleurs) documents pédagogiques manuscrits intitulés Evolutions institutionnelles, 2007. Voir aussi la revue TOUDI en ligne  La Belgique qui meurt, l'obsession du projet francophone, 4 août 2010. http://www.larevuetoudi.org/fr/story/la-belgique-qui-meurt-i-lobsession-du-projet-francophone (consultée le 11 octobre 2011).

Jean Germain, La préhistoire latine du mot Wallonie in  Luc Courtois, Jean-Pierre Delville, Françoise Rosart & Guy Zélis (directeurs), Images et paysages mentaux des XIXe et XXe siècles de la Wallonie à l'Outre-Mer, Hommage au professeur  Jean Pirotte à l'occasion de son éméritat, Academia Bruylant, Presses Universitaires de l'UCL, Louvain-la-Neuve, 2007, pp. 35-48.

Horne et Kramer, Les atrocités allemandes, Tallandier, Paris, 2005.

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Els Witte,Jan Craeybeckx,Alain Meynen, Political History of Belgium: From 1830 Onwards, Academic and Scentific Publishers, Brussels, 2009.

 

 

Annexe

 

Provincia Walloniae

Provincia Walloniae


 

La Provincia Walloniae vers 1650

Cette « Provincia Walloniae » (Province de Wallonie) des Capucins vers 1620 est simplement la Wallonie d'aujourd'hui moins (en gros) une grande partie du Nord-Pas-de-Calais, conquête française de Louis XIV un peu plus tard. Le problème linguistique est ancien... [Jean Germain, 2007, pp. 35-48.] Pirenne, pourtant le grand historien de la Belgique unitaire, faisait le même constat mais évoque les appellations des jésuites : «  La Province Belgique était devenue si considérable qu'il fallut en 1612 la scinder en deux. On ne tint compte (...) ni des divisions administratives ni même des divisions politiques. Destinée à agir sur le peuple, la Compagnie répartit ses cadres suivant la frontière linguistique  qui coupait le pays en deux parties presque égales. Toute la région flamande, tant des Pays-Bas  que de la Principauté de Liège, forma la Province Flandro-Belge, tandis que la Province Gallo-Belge engloba la région wallonne [Henri Pirenne, 1927, p. 369] .

 

 


  1. 1. La Communauté germanophone, avec ses 70.000 habitants de langue allemande même si elle est proche de Liège et du coeur des Liégeois entend s'assumer également selon ses capacités et intérêts.
  2. 2. Plus précisément : les recettes du budget fédéral représentent (hors service de la dette), 48,40 % de l'ensemble des recettes budgétaires des trois niveaux de pouvoir, Etat fédéral, Régions et Communautés.
  3. 3. L'évaluation de l'épargne et de l'endettement des ménages wallons qui suivra ne peut être tenue pour une représentations absolumement fidèle de la réalité : en l'absence de chiffres officiels, les auteurs en ont été réduits à esquisser un certain nombre d'hypothèses fortes au sujet de l'épargne en Wallonie.
  4. 4. Remarque capitale : d'un côté comme de l'autre, les travailleurs déjà sous contrat de travail sont concernés.