Vers un au-delà de la Belgique ? Un point de vue régionaliste wallon
[Jean Pirotte est Professeur émérite de l'Université catholique de Louvain, directeur de recherche émérite au Fonds National de la recherche scientifique et président de la Fondation wallonne Pierre-Marie et Jean-François Humblet (Louvain-la-Neuve) 1.
Luc Courtois est Professeur à l'Université catholique de Louvain et directeur de la Fondation wallonne Pierre-Marie et Jean-François Humblet (Louvain-la-Neuve).]
Ce travail est destiné au groupe Re-Bel dont nous avons déjà parlé dans la revue 2
Concevoir l'au-delà de la Belgique, peut apparaître comme un exercice de politique-fiction. S'il semble clair que l'État belge est entré depuis une cinquantaine d'année dans une phase de restructuration permanente, avec des phases de crise aiguë, il n'est pas évident que ce processus doive nécessairement aboutir au démantèlement de cet État. Le point de vue wallon développé ici se veut ancré dans le pragmatisme. On se situe non pas dans une « Après-Belgique » radicale (Qui sait si et quand elle viendra ?), mais dans le cadre de ce qui est prévisible à moyen terme : une Wallonie contrainte d'émerger en période de difficultés économiques, dans une Belgique qui se disloque, sans doute, mais qui risque de ne pas disparaître de si tôt 3
L'observateur de la vie politique belge sait que les ressorts de beaucoup de ces réaménagements successifs se situent en Flandre. Or, la Flandre, actuel moteur économique dans l'État belge, si elle a exigé et exige encore des réformes institutionnelles, hésite entre deux stratégies : soit obtenir une autonomie de plus en plus large avec, à l'horizon, la constitution d'un État souverain ; soit conserver son leadership dans une Belgique qui peut encore servir son épanouissement. Et il est vraisemblable que l'hésitation durera aussi longtemps que la question bruxelloise n'aura pas trouvé une solution satisfaisante aux yeux des Flamands, pour lesquels l'indépendance de la Flandre ne peut s'obtenir au prix d'un abandon de Bruxelles.
Le point de vue régionaliste wallon développé ici sur la question belge se veut aussi ouvert et irénique que possible, en évitant toute polémique virulente, avec un maximum de compréhension pour les thèses flamandes. Pour souhaiter le meilleur épanouissement de la communauté humaine qui nous porte et nous fait vivre, on ne devient pas nécessairement l'adversaire de la communauté voisine.
Par ailleurs, une distinction fondamentale s'impose d'emblée. Un point de vue régionaliste wallon n'est pas nécessairement réductible à un point de vue belge francophone, comme si la composante linguistique officielle épuisait toute la réalité wallonne, comme si les combats pour survivre de la Wallonie et Bruxelles étaient identiques. La communauté humaine diversifiée vivant en Wallonie ne se définit pas uniquement par la langue officielle. Au contraire de certains de nos voisins flamands, nous ne reprenons pas à notre compte la formule : « De taal is gansch het volk » 4
Ces réflexions s'articulent en quatre points. Tout d'abord, il faut rappeler quelques jalons de l'histoire de la Belgique et de la montée des mouvements flamand et wallon dans le contexte des nationalismes européens. Le deuxième point est une réflexion sur les données du présent. Le troisième point évoque des solutions illusoires au malaise belge ; il referme quelques portes débouchant sur des impasses. Le quatrième point tente de définir des options réalistes pour l'avenir wallon et pour la reconstruction d'un État belge permettant l'épanouissement de ses composantes régionales.
A. Jalons de l'histoire
1. Les nations et le nationalisme
Chacun sait que les États sont des formes transitoires de l'organisation des êtres humains en société. Tous les États ont un commencement et une fin, ils ne vivent que sur la moyenne durée. La Belgique ne sera sans doute pas la seule à échapper à ce destin.
L'État belge est une création du 19e siècle. Cette création en 1830 a bénéficié d'une conjoncture internationale ; certains ont affirmé qu'elle fut voulue par les Anglais dans le contexte de rivalités avec la France et dans le contexte des équilibres européens. Peu de personnes croyaient à l'époque à sa viabilité, pas même le premier roi des Belges qui écrivait, vingt-huit ans encore après être monté sur le trône : « La Belgique n'a pas de nationalité et vu le caractère de ses habitants ne pourra jamais en avoir » 5
Les nationalismes européens sont nés au 19e siècle, dans la foulée de la prise de conscience de la souveraineté du peuple, prise de conscience issue de la philosophie des Lumières, de la Révolution française et de la montée des démocraties. La souveraineté appartient au peuple et l'on a proclamé le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les nationalismes ont été attisés par le courant romantique au 19e siècle, exaltant l'idée de patrie. Les poètes et historiens nationaux ont inventé et exalté l'« âme » des peuples. Les grands nationalismes européens remontent à cette époque : la Pologne, la Russie, la Serbie, etc. L'empire austro-hongrois qui s'étendait sur tout le centre de l'Europe a été littéralement miné au 19e siècle par les poussées nationalistes et s'est effondré au 20e siècle. L'Allemagne, par contre, s'est unifiée à la même époque sur la base du nationalisme germanique.
Pour sa construction nationaliste, la Belgique a également bénéficié de la conjoncture romantique : ses historiens ont façonné une « âme belge » qui, remontant de l'Antiquité, aurait traversé les siècles 6. Les deux pères de l'historiographie belge, Godefroid Kurth et Henri Pirenne vont exercer une forte influence sur la conscience nationale belge, dont l'unitarisme s'appuiera sur une Flandre bilingue, microcosme de la Belgique et de l'Europe (rencontre des cultures germanique et latine) 7 Après 1918, au lendemain de la Première Guerre, la victoire et le nationalisme ambiant donneront à ces théories une vigueur nouvelle. Plus globalement, les nationalismes se sont exaspérés au cours des deux guerres mondiales, qui ont développé, au nom de la patrie, une véritable culture, presque une sacralité de la violence.
2. Naissance et épanouissement du mouvement flamand
Le mouvement flamand est né au milieu du 19e siècle dans la foulée du même courant romantique qui exaltait les peuples. Mais, alors qu'en Wallonie ce courant jouait dans le sens de l'exaltation de la Belgique, il va jouer en Flandre dans le sens de l'exaltation de la Flandre. Pourquoi ? Parce que le romantisme flamand s'appuie sur un mouvement populaire né en réaction à une triple situation d'infériorité.
Une infériorité économique d'abord. La Flandre, qui fut prospère au Moyen-âge, vivait au milieu du 19e siècle un déclin économique sans précédent. Les crises du lin et de la pomme de terre furent catastrophiques pour ces régions essentiellement agricoles. Chassés par la misère, beaucoup de Flamands ont alors trouvé de l'embauche définitive dans la Wallonie industrielle prospère.
Une infériorité culturelle, ensuite. Le flamand en tant que langue était alors divisé en une multitude de dialectes, dont l'unification ne se fera que beaucoup plus tard. Pour accéder à la culture, il avait alors nécessité, de passer par l'apprentissage d'une autre langue, en l'occurrence le français. Or, la bourgeoisie, en Flandre même, s'était francisée depuis longtemps ; le peuple parlant les dialectes flamands était donc coupé de ses élites.
Une infériorité politique, enfin. La démocratie belge née en 1830 était au départ très incomplète. Tous les citoyens n'avaient pas le droit de vote ; dans le régime électoral censitaire alors en vigueur, seuls votaient ceux qui payaient une quantité d'impôts très importante. Or cette petite minorité (c'est-à-dire les grands bourgeois), en Flandre même, étaient francisés de longue date (Fransquillons). Il s'ensuit que les élus au Parlement, tant wallons que flamands, étaient tous des francophones. La Belgique légale donnait ainsi l'impression d'un pays francophone recouvrant deux types de dialectes populaires : les dialectes flamands au nord du pays, les dialectes wallons au sud.
Remarquons que la population wallonne n'était pas en cause, comme on l'entend dire parfois, dans cette situation de minorisation du peuple flamand ; celui-ci était surtout victime de sa propre classe dirigeante.
L'année 1840 marque le départ du mouvement flamand. C'est la date du Pétitionnement en faveur de la langue flamande, lancé par quelques intellectuels, pour promouvoir la reconnaissance du flamand comme langue ; ce pétitionnement ne rencontre que le mépris des bourgeois flamands, francisés depuis longtemps. Par contre, le mouvement rencontre un succès dans le bas clergé proche du peuple et chez les littérateurs romantiques. Le romancier Hendrik Conscience (De Leu van Viandèrent, 1838), le poète Guido Gezelle, entre autres, comptent parmi les éveilleurs d'une mystique nationale flamande. D'autres, tel le libéral JR. Willems (1793-1846) luttent pour la place du flamand dans la vie publique 8 Le mouvement s'étend peu à peu et rencontre l'assentiment d'un petit peuple minorisé et victime d'une injustice culturelle. Le 19e siècle est marqué par la montée en puissance de ce mouvement qui va de conquête en conquête pour faire reconnaître ses droits : usage du flamand en matière judiciaire (1873), dans l'administration (1878), dans l'enseignement moyen officiel (1883), dans la procédure répressive (1889), dans les actes législatifs (loi De Vriendt-Coremans, 1898), etc.
Les deux guerres mondiales, particulièrement, ont enflammé le sentiment flamand et fait croître le fossé entre les deux parties du pays. Durant la Première Guerre, l'occupant met en place une politique de faveur à la Flandre connue sous le nom de Flamenpolitik. Au front, dans les tranchées, naît le mouvement frontiste (Frontbeweging) parmi les soldats flamands mécontents d'être commandés en français. Au cours de la Seconde Guerre, l'Allemagne nazie renoue avec sa politique de faveur à la Flandre ; par exemple, en 1940, 106 000 prisonniers de guerre flamands sont rapatriés, tandis que 65 000 prisonniers francophones restent en captivité jusqu'en 1945. Par ailleurs, la collaboration avec l'occupant semble avoir reposé sur un consentement plus populaire au nord qu'au sud ; ainsi, l'UTMI, syndicat basé sur les principes de l'Ordre Nouveau, fondé pendant la guerre par H. De Man, ne compte que 17 000 adhérents wallons sur un total de 109 000 ; autre exemple, pendant l'occupation, sur 11 500 résistants de presse, 9 400 sont wallons. Il faut dire que, depuis l'Entre-deux-guerres, une partie du mouvement flamand avait été contaminée par l'idéologie fasciste, notamment avec la naissance du Verdinaso fondé par Joris van Severen en 1931 et surtout du VNV (Vlaams Nationaal Verbond), parti créé par Staf De Clercq en 1933. Cette contamination est encore perceptible dans l'actuel Vlaams Belang.
Culturel au départ, le mouvement flamand devient politique, puis économique : on a là tous les ingrédients d'un nationalisme romantique et intégral qui s'est modernisé avec la montée en puissance économique de la Flandre après les années 1960. Actuellement, région économiquement forte, la Flandre politique revendique une autonomie de plus en plus grande, s'affirme comme nation et se dote d'une symbolique de plus en plus étatique.
3. Une Wallonie nostalgique de la Belgique
En Wallonie, la question des langues était perçue autrement. Une situation analogue de domination par des élites francophones conduisit à des positions radicalement divergentes par rapport aux régions flamandes. On a vu comment la partie flamande avait réagi en unifiant ses dialectes et en promouvant sa langue dans la vie publique. En Wallonie, romanisée depuis l'Antiquité, les dialectes romans (le wallon, principalement, mais aussi le picard, le lorrain et dans une moindre mesure le champenois) restaient confinés dans le domaine des échanges privés sans qu'il soit vraiment question de les faire émerger dans la vie officielle. La vie publique était dominée par les élites francophones, de la richesse, du pouvoir et du savoir.
Il est vrai que la Wallonie avait été également touchée par le courant romantique européen, qui de la Frise à la Catalogne, en passant par la Flandre et la Bretagne, avait provoqué la floraison au milieu du 19e siècle d'associations cherchant à valoriser les traditions des peuples, leur patrimoine dialectal et historique. La plus célèbre de ces initiatives est le Félibrige né en Occitanie en 1854 9 La fondation en 1856 de la Société liégeoise de littérature wallonne (depuis 1909, Société de langue et de littérature wallonnes) marque la volonté de cultiver ce que les Wallons ont en propre : leur langue et leurs traditions. D'autres initiatives s'inscrivent dans cette ligne : en 1889, E. Monseur et G. Doutrepont créent à Liège une Société de folklore wallon ; de 1893 à 1914, paraît à Liège la revue Wallonia, animée par O. Colson, J. Defrecheux et G. Willame ; l'orthographe du wallon est fixée en 1899 par J. Feller. Le nom même de « Wallonie » remontre d'ailleurs à cette période 10 Toutefois, jamais ces mouvements n'envisagèrent de hisser les dialectes de Wallonie au rang d'une langue unifiée rivale du français et de l'imposer en Belgique comme langue officielle.
En fait, la frustration du petit peuple des régions wallonnes ne va pas porter sur les questions de langues mais sur les revendications sociales. C'est vers les conquêtes sociales que les populations ouvrières de Wallonie orienteront leur combativité. Pourtant, les locuteurs wallons étaient souvent aussi mal à l'aise devant un patron maniant correctement le français que devant un juge ignorant les dialectes. Ce hiatus est grave et l'on peut se demander si les historiens ont bien perçu la portée de cette aliénation. Dans le passé plus lointain, a-t-on déjà tenté de mesurer de quel poids pesa sur la créativité culturelle wallonne cette situation de rupture entre un peuple et ses élites ? La nécessité de changer de langue pour accéder à la culture et au pouvoir, se combinant avec les développements de l'enseignement en français, aboutit à une régression nette au 20e siècle du wallon parlé. Dans la pratique quotidienne, jusqu'au milieu du 20e siècle, l'école a contribué à culpabiliser et à inhiber les Wallons depuis l'enfance en réprimant les expressions et accents régionaux comme incorrects ou grossiers. Les parlers wallons ont depuis un siècle entamé une vie souterraine, se réservant le monde de l'intimité et s'effaçant d'eux-mêmes dans les domaines publics ou culturels.
En Wallonie, à la différence des régions flamandes, l'idéologie belge avait pénétré les esprits en profondeur. Le montage historien et la théorie de l'« âme belge » ont bien fonctionné et furent diffusés par l'école. En outre, les régions industrielles du sillon wallon étaient depuis le 19e siècle le moteur économique de cette Belgique à la réussite de laquelle les élites de Wallonie étaient flattées de s'identifier.
Aussi, lorsque naît le mouvement flamand, il est perçu en Wallonie et à Bruxelles comme un diviseur de la patrie belge. En réaction, le premier mouvement wallon qui naît à la fin du 19e siècle n'est pas du tout autonomiste wallon, mais il est centré sur la défense de la Belgique contre les menées flamandes. Ce n'est que progressivement, au cours du 20e siècle, que le mouvement wallon va prendre la mesure de l'importance du fait flamand et s'orientera, non sans ambiguïté, vers ce qu'on appelait alors la « séparation administrative » du nord et du sud de la Belgique.
Toutefois, il faudra attendre les années 1960 et la perception du crépuscule de l'industrie lourde de Wallonie pour que le mouvement d'éveil de la conscience wallonne, jusqu'alors plutôt cantonné dans les milieux bourgeois ou intellectuels, pénètre vraiment dans la population. Face au déclin industriel, face aussi à une Flandre qui se réveille et semble devenir hégémonique en Belgique, le mouvement wallon va davantage se centrer sur l'obtention d'une capacité décisionnelle en matière économique. Dans cette prise de conscience, le rôle de la grande grève de l'hiver 1960-61 a été marquant, avec l'action du leader syndical liégeois André Renard, fondateur du Mouvement populaire wallon.
Nous ne rappellerons pas ici les innombrables péripéties qui, au cours des crises politiques du demi-siècle écoulé, ont amené la Belgique de l'État unitaire vers un statut d'État fédéral. Un des premiers jalons fut, en 1962, le « clichage » de la frontière linguistique, ligne mobile jusqu'alors, et de plus en plus considérée par les Flamands comme intangible à l'égal d'une frontière d'État. Fruit de compromis et d'une ingénierie institutionnelle complexe mise au point dans le stress de crises aiguës, le fédéralisme à la belge ainsi mis au point pendant un demi-siècle se révèle un hybride (une chimère au sens premier) peu compréhensible. Après différentes phases d'ajustement, une révision de la Constitution et le vote des lois de réforme furent acquis au Parlement le 14 juillet 1993 11. Désormais, l'article 1er de la Constitution affirme clairement : « La Belgique est un État fédéral qui se compose de communautés et de régions ». Pourtant, l'architecture institutionnelle de cette Belgique fédérale demeure compliquée ; des institutions peu lisibles par le citoyen se chevauchent, entretenant une insatisfaction chronique.
Quant à la conscience wallonne, malgré une percée de plus en plus nette, malgré aussi l'aiguillon des victoires du mouvement flamand (comme le déménagement de l'université francophone de Leuven vers le Brabant wallon acquis en 1968), malgré enfin la mise en place progressive à la fin du 20e siècle d'institutions régionales wallonnes et communautaires francophones, il faut dire que le sentiment d'appartenance à la Wallonie demeure plutôt faible par rapport au sentiment belge. Alors qu'un grand nombre de Flamands se montrent soucieux de la mise en valeur de leur patrimoine propre, beaucoup de Wallons par contre rapportent à la Belgique tous les éléments de leur patrimoine. Maintenant encore, les Wallons accolent assez spontanément l'épithète « wallon » aux entreprises en difficulté ou aux séquelles douloureuses de leur passé industriel, mais rarement aux exploits des sportifs, aux inventions des savants, aux œuvres des artistes, qui viennent ainsi enrichir naturellement le patrimoine belge. Les médias reflètent d'ailleurs souvent cet usage et contribuent à l'ancrer davantage, malgré l'existence actuelle d'une réalité wallonne de plus en plus perceptible dans le paysage institutionnel.
Le peuple wallon serait-il coupé de sa mémoire, comme d'aucuns l'affirment ? Il ignorerait les richesses de l'orfèvrerie mosane des 12e et 13e siècles, la brillante école musicale qui va de Roland de Lassus à Guillaume Lekeu ou encore l'apport des littérateurs et peintres, hennuyers notamment, au courant surréaliste. Il ignorerait la brillante épopée des forgerons wallons de Suède au 17e siècle, créant dans ce pays une métallurgie des plus performantes à cette époque et s'y taillant une réputation toujours vivace de dynamisme 12Un grand nombre de mécanismes plus ou moins inconscients, complexes et malaisés à définir, ne sont-ils pas à l'œuvre pour occulter le patrimoine wallon ? Faut-il mettre en cause un enseignement de l'histoire mettant peu en valeur les richesses culturelles wallonnes ? Ou l'absence d'un grand centre culturel attractif dans le périmètre wallon ? Ou bien une attitude spontanée de réserve des Wallons laissant leurs créations dans une ombre pudique ? Ou enfin une désaffection des élites et des gens de plume, méprisant les réalités wallonnes comme étriquées et provinciales ? Un fait est certain, et nous y reviendrons, l'absence de compétences culturelles des institutions wallonnes contribue fortement au manque de visibilité de la Wallonie et à ce déficit symbolique 13.
Il convient d'ajouter un élément capital dans cette absence d'image forte, absence paradoxale lorsque l'on songe que la Wallonie fut le moteur économique de la Belgique à l'époque de sa prospérité. C'est que très rapidement les élites économiques wallonnes s'établirent à Bruxelles, où elles furent en quelque sorte « belgicisée », perdant leur ancrage wallon et promouvant une industrialisation sans réel développement 14. C'est à Bruxelles, dans des institutions financières « belges », plus soucieuses de diversification internationale que de dynamisation régionale, que se concentrèrent les capitaux : la richesse produite en Wallonie n'y fut pas suffisamment réinvestie, alors que la bourgeoisie flamande adoptait une attitude inverse. Très rapidement, en effet, le mouvement flamand enrichit son combat linguistique d'une vision sociale d'ensemble intégrant développement intellectuel (avec la question de la flamandisation de l'Université de Gand) et promotion d'un « flamingantisme économique » (dont Lodewijk De Raedt peut-être regardé, au tournant des 19e et 20e siècle, comme le fondateur), mis au service d'une émancipation intégrale du peuple flamand. C'est ce mouvement qui conduira la Flandre à se doter de puissants instruments de développement, avec notamment le Vlaams Economisch Verbond (1926), la Kredietbank (1935), etc. Dans le même ordre d'idée, l'absence, en Wallonie, d'un « centre » politico-financier - rôle joué par Bruxelles - a également nourri un sous-régionalisme qui a fait longtemps écran à une prise de conscience du destin économique de la région dans son ensemble. Domination d'une bourgeoisie belge « acculturée » (« nous ne sommes de nulle part ») en Wallonie et émergence d'une bourgeoisie flamande forte, conduisent également à privilégier la Flandre en termes d'investissements, tant publics que privés.
Pour clôturer ce point d'histoire, on peut dire que la Wallonie, confiante en la Belgique, ayant tout misé sur elle, ayant refusé de voir à temps que la Flandre devenue entre-temps prospère se retirait du jeu, la Wallonie donc se retrouve dans un dénuement symbolique profond, dans une solitude qu'elle n'a pas vu venir et qu'elle continue souvent encore à nier. Elle a été phagocytée par sa mère Belgique.
B. Les données du présent
Depuis les élections de 2007, le présent institutionnel et politique de la Belgique est largement conditionné par les tensions dites communautaires : une opinion politique flamande majoritaire exige des ajustements institutionnels importants en vue d'accroître les compétences et, par là, l'autonomie de la Flandre et aussi de responsabiliser davantage les régions ; l'opinion politique wallonne refuse majoritairement de tels ajustements, dont certains seraient défavorables aux francophones de la périphérie bruxelloise, d'autres pourraient déséquilibrer le système de sécurité sociale, voire mettre en péril l'équilibre belge. Formulons trois considérations sur le présent institutionnel belge.
1. Le mouvement flamand ne désarme pas
L'attachement sentimental persistant de nombre de citoyens de Wallonie au projet belge leur fait parfois refuser de prendre la mesure du fait flamand. Pour eux, chaque phase d'apaisement s'interprète alors comme un arrêt dans la marche du mouvement flamand, prélude à un retour à ce qu'ils considèrent comme l'harmonie d'antan, celle de la Belgique unitaire.
S'il est vrai que le passé ne permet pas de tracer avec précision les lignes de l'avenir, quelques faits méritent réflexion. Le mouvement flamand, né comme une petite graine en 1840, a derrière lui 170 années de croissance. Il s'est amplifié sans cesse, a diversifié ses objectifs, passant de la phase de revendications linguistiques à la phase culturelle, puis à la phase économique, puis à une phase plus politique de leadership dans l'État belge, pour en venir enfin à la phase plus globale d'une autonomie accrue en vue d'un destin national flamand. Malgré des divergences notoires entre les tendances, le Vlaamse Beweging a réussi à toujours redéfinir une plate-forme commune de revendications. Malgré des replis tactiques imposés par les circonstances, il est parvenu à toujours faire progresser vers le haut cette plate-forme. La Flandre accroît irrésistiblement sa visibilité externe et parachève sa construction symbolique (jusque dans la signalisation routière en noir et jaune, les couleurs de la Flandre).
Il ne peut être question ici de jeter l'anathème sur le mouvement flamand. On ne tentera pas non plus de culpabiliser les dirigeants économiques et politiques en stigmatisant leur mémoire courte. À l'heure où l'on parle de transferts de richesses entre le nord et le sud au profit de la Wallonie, a-t-on jamais vu un historien ou un économiste comptabiliser avec rigueur les transferts qui s'opérèrent jadis en sens inverse à l'époque de la grave crise que traversèrent les régions flamandes au 19e siècle ? Au temps de la prospérité wallonne, ce sont les populations wallonnes du sillon industriel qui ont accueilli bon nombre d'ouvriers venant du nord, comme en témoigne le grand nombre de patronymes flamands en Hainaut et à Liège 15 Ni l'économie ni la politique ne sont d'abord affaires de bons sentiments.
Cherchons simplement à comprendre la dynamique du mouvement flamand dans ses rapports dialectiques avec l'opinion wallonne. Depuis 170 ans, bien des dirigeants politiques wallons, après satisfaction accordée aux exigences flamandes, ont cru naïvement que cette demande serait la dernière. Lors de la longue crise gouvernementale qui a suivi les élections du 10 juin 2007 (149 jours sans gouvernement puis formation, le 19 décembre, d'un gouvernement « intérimaire » par Guy Verhofstadt...), plusieurs d'entre eux ont affirmé n'avoir rien vu venir auparavant ; pourtant, le Vlaamse Raad avait défini une position claire et largement majoritaire sur toutes les revendications. Beaucoup de dirigeants politiques wallons se sont leurrés parce que l'on refuse souvent de voir en face les vérités qui dérangent. Il est plus simple de s'aveugler en remettant les revendications flamandes sur le dos de politiciens avides de succès électoraux et trompant leur bon peuple, plutôt que de se rendre à l'évidence : le projet autonomiste flamand, loin de n'être que quelques ridules de surface, est porté par une lame de fond populaire. Le nier relève de l'aveuglement, de la naïveté ou de la mauvaise foi.
L'accalmie communautaire de l'année 2009 n'est pas définitive. Elle est sans doute due aux urgences des crises bancaires et économiques. Une doctrine qui fait actuellement son chemin en Flandre est basée sur l'usure du temps : laisser s'enliser des dossiers que les francophones considèrent comme importants, laisser se dégrader la situation économique de Bruxelles et de la Wallonie, pour contraindre les responsables politiques de ces régions à entamer des négociations donnant-donnant : les moyens de la survie wallonne, contre une autonomie accrue de la Flandre.
2. La Belgique se vide de sa substance
La question de la scission de l'arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde, est depuis 2007 le point de focalisation des revendications flamandes et des résistances francophones. Un nouvel accès de fièvre est annoncé pour le printemps 2010. Quelle que soit la façon dont l'abcès sera vidé, il est certain que ce dossier brûlant ne sera pas le dernier et que l'État belge continuera sa progression vers un accroissement des compétences des entités fédérées. La Flandre politique demande avec insistance cet approfondissement des compétences. La sécurité sociale apparaît comme le dernier bastion de la solidarité entre les régions, bastion jusqu'ici défendu avec âpreté par les francophones. On prévoit pourtant que des aménagements interviendront en douce.
Dans bon nombre de dossiers litigieux, à la longue et en bonne démocratie, les représentants des francophones belges (40 % de la population du pays) ne pourront indéfiniment s'opposer à une volonté émancipatrice d'une majorité des représentants élus flamands (60 % de la population). Le refus obstiné de rendre justice à leurs revendications institutionnelles ne fera qu'humilier les Flamands, les exaspérer et gonfler les rangs des indépendantistes. Il serait suicidaire de mépriser à ce point la volonté des Flamands. Des blessures nationalistes sentimentales peuvent s'infecter méchamment. On ne pose pas un couvercle lourd sur un pot en ébullition. La Yougoslavie de Tito avait voulu imposer une chape sur les divers nationalismes yougoslaves ; le pays a explosé dans la violence.
Souvent avancé par les politiques flamands, le mot « confédération » désigne le statut constitutionnel vers lequel d'aucuns souhaitent s'orienter. Il est inutile d'entrer ici dans les précisions juridiques sur les différences entre un État fédéral et des États confédérés. Chacun sait que, dans le premier cas, un État subsiste avec des compétences importantes et que, dans le second cas, ce sont des États souverains différents qui s'unissent pour confier à la confédération un nombre déterminé de compétences. Ne retenons que l'essentiel : si les compétences des entités fédérées s'accroissent fortement, l'État belge finira par ressembler à une coquille vide. Sans faire des pronostics et tirer des traites sur un avenir inconnu, bornons nous à constater que les deux grandes communautés culturelles de Belgique s'ignorent de plus en plus et prennent des voies divergentes.
Remarquons que la montée de la Flandre et de ses exigences n'implique pas nécessairement la disparition de la Belgique. D'une part, les nationalistes flamands pourraient peut-être se satisfaire d'une autonomie de plus en plus large, car l'indépendance totale impliquerait vraisemblablement pour eux la perte de Bruxelles. D'autre part, et paradoxalement, il faut tenir compte d'une certaine stabilité politique de la Belgique : alors que, au cours des deux derniers siècles, la plupart des pays voisins ont changé plusieurs fois de régime et de constitution (France, Allemagne, Italie, Espagne, Portugal, Autriche, Grèce), la Belgique vit toujours de la Constitution de 1830, modifiée certes à plusieurs reprises, mais jamais abandonnée. État plus faible politiquement, la Belgique a toujours privilégié une culture du compromis, idéologique, politique, linguistique. À l'affrontement direct, elle a souvent privilégié la créativité institutionnelle, une ingénierie complexe qui ne fait perdre la face à aucun partenaire.
L'État belge a donc des chances de se maintenir, même avec des compétences fédérales réduites. L'éclatement n'est sans doute pas encore pour demain et, plutôt que vers le divorce, la Belgique pourrait s'orienter vers une séparation de biens sous un régime hybride. Que ferait d'ailleurs chacun des partenaires s'il devait se départir de la dialectique affrontement-compromis, un habitus, ancré depuis deux siècles ?
3. La Wallonie est mal servie par ses institutions
C'est dans cette incertitude politique que la Région wallonne, appelée à l'existence depuis la révision constitutionnelle de 1971 doit émerger et cela dans un environnement économique et social dégradé. Or, les institutions actuelles ne favorisent pas un redéploiement wallon. Dépourvue de compétences culturelles, la Wallonie est privée des moyens symboliques de se construire une image valorisante et dynamique 16. La population d'une Wallonie en déclin économique depuis un demi-siècle est peu sûre d'elle et a bien intégré à sa propre représentation l'image d'un peuple paresseux et décadent que lui renvoie souvent une presse flamande triomphaliste. Injustice de l'histoire, pour une région qui fit jusqu'au milieu du 20e siècle la prospérité de la Belgique industrielle !...Comment sortir du cercle vicieux sans mettre en œuvre les ressources culturelles et mentales ? Envisagerait-on une entreprise obligée de se lancer sur le marché, privée de ses moyens symboliques : un en-tête, un logo, une image de marque ?
Un petit rappel est ici nécessaire. Née la même année et peu avant la Région wallonne compétente en matière économique, la Communauté française de Belgique a reçu des compétences dans les matières culturelles et « personnalisables » 17. Fruit d'un laborieux compromis, la Constitution fut révisée en 1971 dans un sens semi-fédéral. Il s'agissait d'un compromis entre un fédéralisme à deux (Flandre-Wallonie) et un fédéralisme à trois (Flandre-Wallonie-Bruxelles). Globalement, l'autonomie culturelle des communautés répondait davantage aux vœux des Flamands (fédéralisme basé sur deux grandes communautés culturelles) ; l'autonomie économique des régions correspondait davantage aux souhaits des Wallons (fédéralisme basé sur trois régions économiques). C'est dans ce contexte que fut également créée la Communauté germanophone de Belgique (Deutschsprachige Gemeinschaft Belgiens), qui exerce les compétences communautaires sur neuf communes majoritairement germanophones appartenant à la « région de langue allemande » et intégrées par ailleurs à la Région wallonne pour ce qui est des compétences régionales 18
Si l'on fait abstraction un instant - nous allons y revenir - de cette Communauté germanophone, de telles institutions bicéphales (communauté et région), qui devraient concourir à la construction de la Wallonie, la desservent en fait. Les territoires et les intérêts de ces deux institutions ne se recouvrent pas entièrement et leurs intérêts ne sont pas toujours convergents 19. Pour un entreprendre redressement économique, la Région wallonne ne peut ni utiliser le levier culturel ni tabler sur le capital symbolique. Cette dualité institutionnelle n'est pas faite pour clarifier le paysage symbolique d'une Wallonie en mal de compréhension d'elle-même. En 1983 et en 2003, deux Manifestes wallons ont mis le doigt dans la plaie... sans succès, car la Communauté française de Belgique bénéficie du soutien de l'establishment culturel belge francophone 20
Indépendamment du lien nécessaire de solidarité qu'elle préserve entre les régions wallonne et bruxelloise, la Communauté française de Belgique, entretient un dessein culturel mort-né. Cette institution exprime la visée des héritiers de la bourgeoisie de 1830 qui a jadis construit l'État belge unitaire sur une base francophone. Les Flamands ayant refusé de s'intégrer à ce modèle, la Communauté française poursuit le rêve belge sans eux. Cet État résiduaire compte ainsi une capitale, Bruxelles, et une province, la Wallonie, dont le nom et les aspirations s'effacent. L'establishment francophone a sécrété son idéologie : la « belgitude », courant lancé au cours des années 1970 dans les milieux bruxellois francophones. Représentation fourre-tout et narcissique, fonctionnant à usage exclusif de la partie francophone de la Belgique, cette « belgitude » n'est qu'un concept de repli...
La cohérence nécessaire entre les questions économiques, sociales et culturelles, de même que la clarté et la visibilité des institutions imposent que la Belgique se recompose autour de ses composantes régionales : la Flandre, la Wallonie et Bruxelles, sans oublier la Communauté germanophone, qui pourrait hériter des compétences régionales wallonnes pour la « région de langue allemande » déjà définie par la loi pour l'exercice de ses compétences communautaires... Chacune de ces régions disposerait ainsi de « paquets » de compétences homogènes et complémentaires. Il faut rappeler que, historiquement, le mouvement wallon a privilégié cette forme de fédéralisme.
C. Mirages et impasses
Avant de tracer quelques pistes pragmatiques pour l'avenir wallon, il importe au préalable de refermer quelques portes qui semblent ne déboucher que sur des mirages ou des impasses.
1. Les solutions de la nostalgie
On a suffisamment démontré qu'un retour pur et simple à la case départ, le « paradis perdu » de la Belgique unitaire, était irréaliste. Cette solution n'est d'ailleurs plus envisagée que par un petit nombre de nostalgiques peu au courant des évolutions réelles. Par contre, des déclinaisons mitigées de cette solution font régulièrement surface : le bilinguisme belge généralisé ; le bilinguisme de la province du Brabant ; la circonscription électorale unique pour une partie des élus au Parlement fédéral. En gros, de tels avatars édulcorés peu réalistes relèvent du simplisme « il n'y aurait qu'à ». Pourtant, il n'y a pas de salut dans la nostalgie. Les nostalgiques belges n'auront sans doute pas d'autre choix que de se convertir au nouveau type de civisme induit par la régionalisation.
- Le bilinguisme belge généralisé. On entend parfois dire que le bilinguisme généralisé règlerait tous les problèmes belges, comme si ce bilinguisme généralisé était simplement possible et comme si le mal belge n'était que linguistique. Et, dans la foulée, on culpabilise les Wallons en leur imputant la responsabilité du rejet de ce bilinguisme, lors du vote des lois sur l'emploi des langues en 1932, ce qui procède à notre sens d'une occultation de la réalité historique wallonne et, à l'analyse, d'un raisonnement paradoxal 21
Si tout le monde est d'accord pour dire que la connaissance des langues est un atout et même une nécessité impérieuse à certains niveaux de responsabilité, l'idée d'un « bilinguisme généralisé » nous paraît d'un angélisme surprenant. Sans remonter au mythe de la tour de Babel, toute l'histoire des langues démontre que le bilinguisme intégral est toujours - et ne peut-être - que « diglossique » 22 Historiquement parlant, la cohabitation généralisée de deux langues a toujours été le résultat d'une « nécessité », qui amène une population a devoir apprendre un autre idiome que son parler d'origine, avec comme corrolaire un incontournable rapport de domination : la langue apprise l'est parce que « dominante », l'autre est menacée à terme parce que « dominée ». Cela a été le cas des parlers wallons, à peu près éradiqués aujourd'hui, et ce l'eût été des parlers thiois si les Flamands ne s'y étaient pas opposés... Il est quand même surprenant de devoir rappeler, dans le débat qui nous occupe, l'exemple de la Flandre ! Dans un premier temps, le mouvement flamand, dérireux de sauver sa langue et sa culture, a revendiqué l'usage de la langue du peuple, parallèlement au français : c'est le temps du bilinguisme, qui s'exprime par exemple, dans la création de l'Université bilingue de Gand (Loi Nolf, 1923). Dans un second temps, on en arrive - presqu'immédiatement - à la nécessaire revendication de l'unilinguisme... Dans la société belge de l'époque, en effet, la reconnaissance du flamand comme langue officielle en Flandre, à côté du français, ne change rien : le français, langue dominante, continue à s'imposer à tout qui veut légitiment « s'élever » dans la société, et les parlers flamands continuent leur lente relégation dans l'espace privé. Il en a été de même au Canada. Le bilinguisme officiel de la Fédération n'a jamais trompé personne : seuls les francophones sont réellement bilingues et si les Québécois n'avaient pas voté la loi 101 (26 août 1977), l'érosion continue du français s'y fût poursuivie inéluctablement. Appliqué à la Belgique d'aujourd'hui, où les Flamands sont démographiquement, économiquement, politiquement et socialement dominants, le choix du bilinguisme généralisé conduirait nécessairement à faire du français, en Wallonie - il l'est déjà dans toutes les instances bilingues, tant publiques que privées -, une langue dominée condamnée à s'étomper lentement avant de disparaître.
L'idée de bilinguisme généralisé, soulève une autre objection. S'il mettrait incontestablement un peu d'huile dans les rouages, il ne règlerait cependant rien. Il ne pourrait enrayer la montée du nationalisme flamand ni la quête identitaire en cours depuis 170 ans. Contrairement à ce que l'on le dit souvent, le mal-être belge n'est pas une simple question linguistique, il est bien plus important : il est économique, sociologique, comportemental, culturel au sens le plus profond. L'historien français Jules Michelet l'avait déjà noté aux débuts de la Belgique indépendante. Dès son premier voyage, en 1832, il se montre sensible, certes à la réalité de la frontière linguistique : « Waterloo, belle route par la forêt de Soignes aux hautes futaies. La langue française commence après Bruxelles. La route de Liège à Bruxelles fait la séparation des langues, selon notre conducteur. Waterloo, nom flamand, à côté de Mont-Saint Jean, nom français » 23 !). Mais dans son esprit, cette dualité n'est pas que linguistique : à propos d'une aubergiste d'Ypres, il note qu'« elle représentait à merveille l'universalité pratique de cette ancienne population des Pays-Bas, ardente comme wallonne, laborieuse comme flamande » 24. On est bien dans le stéréotype, déjà, mais aussi dans l'appartenance culturelle. Il y a mieux : l'expression précoce de préoccupations économiques communautaires : « Parti à onze heure de Bruges pour Lille [...] Resté deux heures à Courtrai. Lu les journaux [en français, donc] : les Flamands se plaignent de ce que les Wallons sont exclusivement favorisés dans les routes, etc., que fait faire le gouvernement » 25 Rien de nouveau sous le soleil, donc, et rien de linguistique...
L'idée de bilinguisme généralisé n'est pas seulement une vue de l'esprit ou une réponse erronnée (linguistique) à une question (communautaire). Lors d'un entretien accordé au Journal Le Soir au cours de la crise gouvernementale de 2007, Jean-Luc Dehaene, ancien premier ministre, en a tiré argument pour rendre les Wallons responsables du mal belge actuel : « Si, en 1932, la Wallonie avait accepté le régime du bilinguisme, la Belgique ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui. » 26.
En fait, cette accusation ne tient pas compte des réalités historiques, systématiquement occultées, à commencer par la bourgeoisie francophone belge unitaire sensée défendre l'intérêt de Wallons qu'elle a en fait toujours ignoré, tout autant que les Flamands : le projet belge de 1830, c'est bien de « belgiciser » sous la domination idéologique des élites francophones les couches populaires, tant flamandes que wallonnes, qui à l'époque, ne parlaient pas français. De ce point de vue, les situations linguistiques de la Wallonie et de la Flandre n'étaient guère différentes : des élites francisées des deux côtés, le peuple parlant, ici des dialectes romans, là des dialectes thiois. Avec une différence notable cependant : alors que dès le Moyen-Âge, le pays wallon participe à l'unification linguistique du domaine de langue d'oïl qui donne naissance au français (d'usage généralisé en Wallonie pour tout ce qui est écrit dès le 16e siècle), les guerres de religions vont couper les dialectes thiois du mouvement d'unification du néerlandais (mais en continuant à noter ces langues dans les usages écrits). Le résultat, en 1830, est donc asymétrique : si le peuple wallon parle ses dialectes dans la vie quotidienne, il est redevable depuis des siècles du français pour tous les usages écrits (et de là un phénomène de diglossie) ; si le peuple flamand parle les siens, il a une longue tradition scribale dans ses parlers (et de là, sans doute, une réaction différente à la francisation). Sur cette asymétrie linguistique se greffe alors une réaction de classes, elle aussi différente : en Flandre, restée rurale, l'opposition des couches populaires à la bourgeoisie francophone se joue sur le terrain de la langue ; en Wallonie, l'industrialisation conduit à une opposition de nature sociale, où le français, de surcroit, langue de la Révolution et des droits de l'homme, apparaît comme un outil d'émancipation.
En 1932, le petit peuple wallon était en réalité toujours confronté au problème de l'apprentissage laborieux de la langue française orale et écrite, qu'il maîtrisait peu à l'époque : lors de l'enquête menée en novembre 1920 par l'Assemblée wallonne, par exemple, auprès des juges de paix (62 % de réponses), 76 % des interrogés déclaraient « que le juge dois comprendre le wallon », et 65 % ajoutaient « que le juge doit savoir parler wallon »). L'obligation scolaire, votée en 1914, était encore loin d'avoir inculqué une connaissance suffisamment fluide et correcte de la langue officielle. La Seconde Guerre mondiale est souvent citée comme moment d'un clivage générationnel : l'oralité va basculer du wallon parlé vers le français. Comment, dans ces conditions, aurait-il été possible d'imposer à tous les Wallons en 1932, en même temps que l'apprentissage du français, l'apprentissage d'une autre langue, le néerlandais, qui d'ailleurs à ce moment n'avait pas terminé son processus d'unification ? C'est d'autant plus vrai que, ici aussi, les héritages historiques étaient différents : le français a été pratiqué en Flandre dès le Moyen-Âge (avec un mouvement de francisation spontanée des « élites », qui s'est accentué au 18e siècle), alors que le flamand en Wallonie n'y a été introduit que depuis quelques décennies, à travers l'enseignement uniquement.
Enfin, on ne manquera pas de s'étonner du caractère paradoxal, dans le chef de Jean-Luc Dehaene, d'une telle invocation des lois de 1932. Car revenons aux faits. Quel était l'objectif des lois de 1932 pour le mouvement flamand ? Précisément mettre fin au bilinguisme français-flamand en Flandre, qui - diglossie oblige - ne parvenait pas à enrayer l'érosion des parlers thiois, et y imposer l'unilinguisme flamand, seul capable de sauver la langue du peuple. Comment peut-on alors reprocher à la Wallonie de pas avoir fait ce contre quoi les Flamands, précisément, se battaient ? Et que se serait-il passé dans l'hypothèse d'un bilinguisme belge ? Simplement, le début d'un mouvement lent et ixexorable d'unification linguistique au profit de la langue dominante : sans doute le français dans un premier temps (ce qui aurait provoqué une réaction flamande), puis, avec la montée en puissance de la Flandre, le Flamand (ce qui aurait provoqué une réaction wallonne)...
- Le bilinguisme brabançon. Petite sœur du bilinguisme généralisé, celui de l'ancienne Province de Brabant pose les mêmes problèmes et ne semble guère plus réaliste. Imagine-t-on dans le Brabant d'imposer de but en blanc le bilinguisme dans tous les emplois publics, même les plus subalternes ? Quelle en serait l'utilité réelle et quel type d'examen linguistique faudrait-il faire passer, même pour un emploi public modeste non qualifié ? Concrètement - et sans parler des pompiers de Wavre que l'on arrivera plus à recruter comme c'est le cas à Bruxelles -, il faudra nous expliquer comment, par exemple, on « bilinguisera » les cadres de l'administration communale d'Ottignies-Louvain-la-Neuve. Peut-être en engageant des fonctionnaires flamands, réputés meilleurs bilingues que les Wallons (ce qui s'explique par le contexte historique et se vérifie cependant de moins en moins) ? De là à ce que les comptes bancaires communaux soient à la Kredietbank ou que les policiers viennent d'Alost ou d'Hasselt tous les matins, il n'y a - ne nous leurrons pas - qu'un pas facile à franchir...
- Une circonscription électorale unique. Créer en Belgique une circonscription électorale unique pour désigner une partie des parlementaires fédéraux est une solution qui est parfois envisagée et qui fut même discutée publiquement lors de la crise de 2007 27.Une partie des représentants seraient ainsi élus par l'ensemble du corps électoral belge (néerlandophones, francophones et germanophones confondus dans le même ensemble). Vue de Sirius, cette solution pourrait paraître adéquate pour injecter un peu de ciment entre les différentes entités belges : il créerait une instance fédérale « centripète », tempérant un fédéralisme que tous les politologues reconnaissent « centrifuge ».
Il faut toutefois se demander s'il est opportun de compliquer encore le paysage institutionnel par de tels montages électoraux pour recoller des communautés humaines qui s'éloignent de toute façon. La colle risque de ne pas prendre. Les Flamands, avides d'une autonomie accrue, accepteraient-ils ce retour en arrière qui les garrotterait davantage à la Wallonie ? Quant aux Wallons conscients des problèmes de manque de visibilité de leur région, connaissant la nostalgie de nombreux francophones pour la Belgique, accepteraient-ils de voir une part de l'électorat wallon orienter son choix électoral vers des personnalités politiques flamandes, au risque d'aggraver la minorisation de la Wallonie ? Et enfin, comment se comporteraient ces élus nationaux de cette circonscription fédérale lors des inévitables conflits d'intérêts opposant le nord et le sud ? C'est la distanciation de fait des communautés qui a conduit à l'éclatement des partis nationaux, puis à la fédéralisation « centrifuge » du pays, et non l'inverse. Autrement dit, le conflit communautaire n'est pas la conséquence d'un système fédéral centripète : ce n'est donc pas en « corrigeant » le système, qu'on va changer la réalité préexistente. Dictée par de bons sentiments belges, mais compliquée et tenant peu compte des réalités des terrains, cette solution apparaît comme illusoire.
2. La Fédération Wallonie-Bruxelles
L'apellation courante « Wallo-brux » désigne une Fédération plus poussée de deux régions : la bruxelloise et la wallonne. Préconiser une telle solution a l'avantage de proclamer des liens forts entre la Wallonie et Bruxelles. Elle a aussi l'avantage de proclamer une région bruxelloise forte, jouissant de la capacité de se fédérer avec la Région wallonne.
Par contre, cette hypothèse présente le gros inconvénient d'apparaître comme une union des francophones, union plus basée sur des visées culturelles que sur les réalités économiques et sociales. On subodore chez certains partisans une volonté de continuer le rêve belge sans la Flandre qui n'en voudrait plus. Cette solution souffre d'un énorme désavantage, celui de recomposer l'État belge sur la base de deux grandes communautés qui risquent de s'affronter en permanence, plutôt que sur la base de trois régions économiquement et socialement différentes. Une union forte de la Wallonie et de Bruxelles apparaît à cet égard comme une source inépuisable de conflits potentiels.
D'un point de vue wallon, par ailleurs, que deviendra la Wallonie dans cette Fédération que l'on peut qualifier de « Belgique sans les Flamands » ? Ce qu'elle a toujours été dans l'État belge : une province dépourvue de sens par elle-même, au service d'un centre, Bruxelles, sensé capitaliser dans l'intérêt général les « richesses » de l'ensemble. Ce projet de Fédération est en quelque sorte un recyclage « francophone » du modèle unitaire belge, qui est en fait à l'origine du déclin wallon. Le mécanisme de production d'une élite « belge », en effet, implique non seulement la francisation des populations, mais aussi un processus de centralisation - visant (sur le modèle lointain de Versailles) à attirer en un centre les « élites » francisées des deux régions, de façon à créer une classe dominante « belge » qui transcende les « élites » traditionnelles en voie de « provincialisation ». La conséquence en sera l'absence de bourgeoisie wallonne, à laquelle s'est d'emblée substituée une bourgeoisie belge dont le « topos » est Bruxelles, qui se préoccupe certes de la Belgique, mais en rien de la Wallonie. Les Flamands n'en ayant pas voulu, la tentation est grande de continuer la Belgique sans eux, sans rien changer : c'est la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans laquelle Bruxelles continue à « capitaliser » (dans les deux sens du terme...) au détriment de sa « province » wallonne.
Enfin, notons que, dans l'hypothèse d'une dislocation de la Belgique, la Flandre laisserait difficilement tomber Bruxelles. Si elle décidait de quitter cet État belge qu'elle domine politiquement et économiquement, la Flandre prendrait évidemment toutes ses dispositions pour verrouiller, tant au niveau belge qu'international, une situation où ses prérogatives seraient sauvegardées et cadenassées. Rêver d'une fédération Wallonie-Bruxelles, forte et reconnue, semble actuellement relever de la fiction.
3. La solution française
Amarrer la Wallonie à la France pourrait apparaître comme une solution attrayante, ayant comme atouts une communauté culturelle et l'ancrage économique à un grand pays. En gros, les partisans de cette hypothèse se répartissent autour de deux options : soit rattacher de façon pure et simple à la France les actuelles provinces wallonnes, devenues autant de départements français ; soit négocier avec la France une association préservant une certaine autonomie wallonne, possibilité prévue par la Constitution de la Ve République.
On peut d'abord s'interroger sur certains postulats justifiant pareille hypothèse, qui semblent s'imposer avec évidence, mais qui en réalité, posent sérieusement question. N'est-ce pas manquer de confiance en la Wallonie, en son existence réelle et en ses potentialités, que de présenter sa dissolution, partielle ou totale, dans un autre État, comme une solution enviable ? Le malade est en convalescence, et ce qu'on lui propose, c'est un « traitement symptomatique » ! Par ailleurs, s'il est vrai que, depuis des siècles, la Wallonie partage avec la France plus que sa langue, il nous paraît réducteur d'assimiler purement et simplement, comme certains le font parfois, communauté de langue et « communauté culturelle ». La « culture » d'une communauté humaine - au sens large d'une façon partagée de sentir et d'agir - s'explique aussi par un enracinement spatial et historique. L'art mosan, par exemple, ne peut pas être qualifié de création « francophone », mais s'inscrit dans une dynamique territoriale spécifique et ouverte, le cas échéant, à de multiples influences, qui ne sont pas que françaises. Et les conceptions de la laïcité, par exemple, qui se sont élaborées de part et d'autre de la frontière dans des cadres institutionnels et des héritages historiques différents, ne coïncident pas, malgré un débat qui, communauté de langue autorise, fut lui largement partagé.
Concrètement quel serait l'avenir wallon dans un scénario français. La question est loin d'être simple ! Il est évident que si elle se posait vraiment, la réponse qui y serait donnée serait le fruit d'un vaste marchandage, belge et international, avec d'épineux problèmes à résoudre, comme celui du sort de Bruxelles, de la reprise de la dette publique, etc. Les solutions négociées se situeraient nécessairement entre les deux hypothèses évoquées plus haut. Dans l'hypothèse d'une association avec un régime d'autonomie, l'alternative pourrait être celle-ci : soit la Wallonie s'en tire toute seule et elle n'a en réalité pas besoin de la France ; soit elle en a « besoin » et son autonomie sera d'autant plus faible que son besoin sera grand, ce qui nous ramène en fait, si la Wallonie ne se prend pas en main elle-même, au scénario d'une absorption pure et simple. Et dans cette seconde hypothèse ? Concrètement, on peut se demander si les tenants de cette solution s'en sont jamais enquis sérieusement et si leur position ne s'inscrit pas simplement dans le prolongement du Congrés wallon de 1945 portant sur l'avenir de la Wallonie, où les organisateurs avaient prévu un vote en deux temps, « sentimental », d'abord (qui donna une majorité pour le rattachement à la France), et « réaliste » ensuite (qui se prononça à la quasi unanimité pour une « autonomie wallonne dans un cadre belge ») 28? Si l'absoption de la Wallonie par la France procurerait incontestablement à ses habitants les avantages, en termes d'ouverture, de mobilités, etc., d'un grand pays, elle signifierait aussi a terme l'érosion de leur identité, avec le risque - réel malgré l'émergence en France de véritables régions - d'une perpétuation du processus de « provincialisation ».
Ceci dit, quelles qu'en seraient ses modalités, cette solution ne pourrait se réaliser que si, préalablement, l'État belge disparaissait. Or, cet éclatement n'est peut-être pas pour demain et, par ailleurs, un tel amarrage à la France ne pourrait se faire qu'avec un large assentiment des populations wallonnes. Compte tenu de l'attachement sentimental de beaucoup de Wallons à la Belgique (irrationnel peut-être, mais réel), il semble illusoire de chercher actuellement à faire pénétrer en profondeur cette hypothèse dans les mentalités.
En outre, la solution française se heurte à d'énormes résistances, instinctives mais fortes, dans de larges couches de la population wallonne nourrissant un complexe de petit voisin par rapport à la France. Ce mélange d'amour et de répulsion est sans doute en partie conditionné par un sentiment d'insécurité linguistique bien analysé par les socio-linguistes 29 Ces réticences s'alimentent aussi à tous les stéréotypes sur « le » Français, proclamé chauvin, jacobin, condescendant. Les partisans de la solution française minimisent systématiquement cet aspect psychologique. Pourtant, suivant une expression que l'on prête à Einstein, il est plus difficile de désintégrer un préjugé qu'un atome.
Il semble donc illusoire, tant que la Belgique survit et que la Wallonie n'est pas placée au pied du mur, de rêver d'un amarrage institutionnel de la Wallonie à la France ou même de négocier avec la République un statut consacrant une large autonomie wallonne. Comment mobiliser les masses pour résoudre une question qui ne se pose pas, qui ne se posera peut-être pas avant très longtemps, qui ne se posera peut-être jamais ?
Un des principaux reproches que les militants wallons font parfois aux partisans d'une solution française est d'avoir les yeux tournés davantage vers la France que vers les populations wallonnes. Pour arriver à leur fin, certains militants pro-français iraient, dit-on, jusqu'à espérer le pire pour les Wallons : une dégradation totale de la situation wallonne dans un État belge délabré, pour mieux manifester la pertinence de leur proposition. Un attachement passionnel à la France ne peut justifier de plonger les populations wallonnes dans la débâcle sociale. Il y aurait une certaine irresponsabilité dans les circonstances que traverse la Wallonie depuis plus de quarante ans à accélérer le processus de désintégration de la Belgique.
Enfin, dans le domaine de la culture, l'intégration des populations francophones de Belgique dans la République française réduirait d'une unité le nombre de pays partiellement de langue française, ce qui déforcerait inévitablement la position de la francophonie dans le monde.
D. Les options de l'avenir
Nul ne connaît l'avenir. L'option wallonne dont on tente ici de poser des jalons se veut réaliste, au sens où elle se fonde sur ce qui existe actuellement et ce qui est relativement maîtrisable dans un proche avenir. Après la définition de deux axes d'action qui devraient être prioritaires, on esquissera quelques traits de l'architecture future de la Wallonie dans le cadre d'une Belgique de moins en moins unitaire. Si la Flandre ne figure pas dans cet organigramme, c'est tout simplement parce qu'il n'appartient pas à des Wallons de présenter leurs options pour une région voisine. C'est aux Flamands qu'il appartient de déterminer leur avenir.
1. Deux axes d'action
- Combler un déficit symbolique évident. Il y a un déséquilibre flagrant dans l'État belge entre une Flandre consciente d'elle-même et promouvant sa propre image et une Wallonie dont les populations restent dans le veuvage d'une Belgique unitaire qui s'estompe. Pour les Wallons, l'importance d'une prise de possession symbolique saute aux yeux. On a démontré plus haut combien l'absence de compétences culturelles était nuisible pour la Région wallonne. Pour une société, la possibilité de retrouver sa capacité de créer et la maîtrise de son avenir passe par la construction d'une image d'elle-même intégrant de façon cohérente, passé, présent et visions d'avenir. Privée des moyens symboliques de se construire une image valorisante, la Wallonie devient seulement perceptible par les avatars d'une laborieuse reconversion économique et nullement par les fleurons de son savoir-faire passé et présent. L'urgence est de travailler le mental des Wallons, de réconcilier les Wallons avec eux-mêmes et avec leur région. On peut réfléchir à un principe d'Antonio Gramsci, pour qui il ne peut y avoir de prise de pouvoir politique sans prise préalable du pouvoir culturel. Il est donc impératif que la Région wallonne soit en possession de compétences culturelles.
- Construire une plate-forme commune. L'histoire du mouvement wallon est jalonnée de fractures, alors que mouvement flamand, malgré des dissensions, a eu la sagesse de revendiquer sur base de plate-forme commune, en mettant à chaque succès la barre un peu plus haut. Si les Wallons veulent conjurer ce sort de leurs dissensions militantes, il importe de cesser les anathèmes qui fusent parfois entre régionalistes, indépendantistes et francophiles. Il serait suicidaire d'engager le mouvement wallon dans ces lignes de fracture, alors que la Wallonie en tant que région ne jouit pas d'une reconnaissance plus épanouie de la part des Wallons eux-mêmes. La raison imposerait une union tactique autour de l'émergence de la Wallonie, afin de développer ses potentialités pour qu'elle jouisse des moyens pléniers de son épanouissement, sur les deux axes de l'économique et du culturel.
Une plate-forme commune serait pourtant simple à dessiner : quel que soit le cadre politique futur, obtenir le maximum pour la Wallonie, en faire une région forte et cohérente. Le but serait de valoriser au mieux les potentialités réelles d'autonomie que donnent les institutions actuelles et aussi celles que les réformes futures donneront. Dans ce sens, il est impératif de pousser les Wallons à réinvestir la scène politique, à redevenir les acteurs à part entière du développement de la Wallonie, les acteurs premiers de leur devenir.
Si les Wallons n'ont pas l'intelligence, le courage, le simple bon sens de faire taire leurs dissensions, alors l'avenir est gravement compromis. Si les Wallons ne parviennent pas à faire comprendre à leurs gens de plume, à leurs gens de pouvoir, à leurs entrepreneurs de cesser de s'autodénigrer, alors l'avenir risque d'être sombre : la région deviendra le jouet insignifiant d'une Flandre de plus en plus sûre d'elle.
Quel que soit l'avenir à long terme de la Wallonie, la nécessité du court terme est de travailler à un réveil wallon, à un « vivre ensemble » harmonieux sur un espace commun. Ce « vivre ensemble » n'est pas une question ethnique, il concerne tous les citoyens vivant dans l'espace institutionnel wallon, quelles que soient leurs origines. Il ne s'agit pas de nationalisme wallon, mais de réalisme politique, de prise de conscience du sens de l'histoire : les habitants de Wallonie, de vieille souche ou de migration récente, doivent impérativement inventer un « vivre ensemble » dynamique et attractif. Ils doivent tirer les leçons des évolutions récentes et, plutôt que de regarder fixement sur le fantôme d'une Belgique qui s'évapore d'année en année, ils doivent réinventer des solidarités nouvelles, se tourner résolument vers le monde.
2. L'option institutionnelle wallonne
Arrivés au terme de cette démonstration, risquons une esquisse institutionnelle sur la base de l'option régionale wallonne dans l'hypothèse du maintien de la Belgique fédérale. Il importe en effet de clarifier les institutions belges et de leur donner davantage de cohérence et de clarté.
- L'accent sur les régions. Seules les institutions dites régionales, ayant un territoire délimité sur lequel elles peuvent exercer leurs compétences, sont aptes à opérer cette clarification. Une fusion des institutions ne peut se réaliser sur la base des communautés culturelles, car cela induirait tôt ou tard des affrontements culturels entre les deux grandes communautés du pays (la « nation francophone » dressée contre la nation flamande) et perpétuerait la provincialisation de la Wallonie et son déclin. Il en va autrement des institutions régionales, centrées sur le développement économique et humain des citoyens vivant dans leur espace, quelles que soient leurs origines ou leur langue. Le souhait de l'actuel premier ministre wallon, Rudy Demotte, formulé au printemps 2010, de rebaptiser l'actuelle Communauté française « Fédération Wallonie-Bruxelles » semble aller dans le sens d'une reconnaissance de deux entités autonomes, mais associées.
- Un région wallonne maîtresse de sa culture. Pour émerger, la Wallonie doit récupérer dans ses compétences ce qui touche à son image symbolique, à sa culture. La proposition de Rudy Demotte de changer, parallèlement au nom de la Communauté française, celui de la Région wallonne, n'est pas une simple fantaisie lexicale : parler de « Wallonie » au lieu de « Région wallonne » s'inscrit en fait dans la perspective d'effacer les connotations mesquines liées au terme « région » et de donner une image plus valorisante de soi. Comment la Wallonie pourrait-elle se relever en s'appuyant sur l'économique seul, sans pouvoir utiliser le levier du culturel ? Créer un « vivre ensemble démocratique sur un territoire commun » demande la mobilisation de toutes les énergies. Comment un renouveau économique viendrait-il fleurir dans une région en difficulté qui n'a pas dans ses mains les outils culturels de sa propre image de marque ? Par rapport à la Flandre polissant sans cesse son image de marque au niveau international, la Wallonie est pénalisée car elle ne dispose pas des outils de sa visibilité.
On a démontré ci-dessus, comment la Communauté française de Belgique, institution hétéroclite, peu en phase avec les réalités de terrain, n'était pas à même de remplir sa fonction et occultait les réalités wallonnes. Par ailleurs, elle a le mérite de maintenir un lien culturel entre les Wallons et les Bruxellois francophones. Sans nécessairement détruire ce qui existe, on peut réduire la voilure de cette institution. La supprimer serait peut-être nuisible et nécessiterait de longues négociations politiques au fédéral. La solution la moins coûteuse serait de procéder, soit à des transferts de compétences culturelles entre la Communauté française et les Régions wallonne et bruxelloise (comme cela s'est déjà pratiqué pour les questions de patrimoine ou de l'aide sociale, davantage liées à un territoire), ou à des « délégations » de compétences (dans le domaine de l'enseignement par exemple, le budget, le statut des personnels, etc., resteraient pour une large part communs, mais la Région wallonne et la Commission communautaire française (Cocof) 30 exercerait ces compétences en toute autonomie dans leur région.
- Une Région bruxelloise à part entière. Il en va de même de la Région de Bruxelles-capitale. Ses citoyens doivent disposer de tous les atouts pour construire une « Région-capitale », pluriculturelle et démocratique. Cela n'implique nullement l'abandon des formes de solidarités librement consenties entre les deux régions, Bruxelles et la Wallonie. L'opération de recépage de la Communauté française de Belgique, tout en maintenant des liens entre la Wallonie et Bruxelles, permettrait également à la région bruxelloise de se présenter comme une région à part entière, tout en profilant mieux son image spécifique de capitale européenne. La Cocof est apte à gérer pour la région bruxelloise les compétences culturelles récupérés de la Communauté française.
- Une Région germanophone libre de ses choix. Petite communauté souvent négligée dans les débats communautaires, la Communauté germanophone doit évidemment conserver la maîtrise de son épanouissement culturel. Faisant actuellement partie intégrante de la Wallonie pour les questions économiques, elle est reconnue comme disposant de droits culturels égaux à ceux des deux autres grandes communautés. Le choix de leur destin, dans la Wallonie ou hors d'elle, doit être laissé aux habitants de cette communauté. Il y a gros à parier que, dans le contexte belge, la Communauté germanophone optera pour une Région de langue allemande où s'exerceront à la fois ses compétences actuelles et les compétences territoriales de la Région wallonne. Ce qui se dessine, dans cette perspective, c'est une Belgique à quatre régions définies sur une base territoriale, la seule viable à notre sens : la République (Res publica) ne connaît que des territoires où les lois s'appliquent de manière égale ; un droit qui s'applique aux personnes est toujours de nature féodale... Le débat qui oppose ici les tenants d'un « droit du sol » aux partisans d'un « droit des gens » est en réalité abscons : les Flamands, qui ont défendu le droit du sol en matière linguistique, ont été par ailleurs les promoteurs du concept de « communauté » qui leur permettaient d'englober les néerlandophones de Bruxelles ; les Wallons qui étaient promoteurs du concept de « région » en vue de leur redressement économique, sont finalement entrés dans une logique de création d'une Communauté « française » susceptible de défendre les intérêts des « francophones », face aux intérêts « néerlandophones » 31
Communauté qui cependant, reproduit les structures de domination de la Belgique unitaire ! Il n'y a que le territoire qui puisse garantir le principe, fondamental en démocratie, de l'égalité devant l'impôt et de la responsabilité politique qui en découle : « je paie, je décide ; je décide, je paie ». Le projet mort-né, parce qu'impraticable, de la Communauté française d'introduire une taxe communautaire à Bruxelles, sous l'Exécutif présidé par Bernard Anselme (1992-1993), l'illustre parfaitement. Dans le même ordre d'idées - mais c'est un autre débat - on comprend l'énervement des Flamands devant certaines bizareries de notre État actuel : c'est le fédéral qui paie le chômage, mais ce sont les régions qui sont responsable des politiques de l'emploi...
Ce point de vue régionaliste wallon se veut pragmatique et réaliste : il tient compte des données politiques actuelles et des susceptibilités de chaque composante de la Belgique, il ne demande que peu d'aménagements institutionnels. Et pourtant le chemin semble long, car le vrai gros obstacle à surmonter est d'ordre mental. Plutôt que de s'épuiser dans une résistance aux poussées flamandes en cherchant à sauver un rêve belge unitaire, Wallons et Bruxellois auraient avantage à construire leur propre image, une image positive, attractive et ouverte. Les Wallons doivent commencer par se nommer eux-mêmes avec sympathie. Ce qui ne se nomme pas n'a pas d'existence. Dans leur immense majorité, les médias qui font l'opinion ne sont pas pensés en Wallonie. Le conformisme actuel des gens de parole et de plume consiste à ironiser sur une Wallonie qui peine à se relever, mais qui pourtant les fait vivre. Sans doute ne se grandissent-ils pas en accablant de sarcasmes un peuple qui souffre du chômage mais parvient à relever la tête. Il faudrait leur faire entendre que la Wallonie a aussi besoin de leur solidarité et de leurs talents.
La Wallonie est assise entre deux chaises : la Belgique unitaire ne reviendra pas, mais l'« après-Belgique » n'a pas encore commencé. Nul ne sait si cet « après-Belgique » viendra. Aujourd'hui, dans cette situation instable, la seule chose certaine c'est que les Wallons (et les Bruxellois pour leur « Région-capitale ») doivent s'organiser pour réinventer leur région, la rendre opérationnelle et cohérente, lui profiler une image dynamique et ouverte sur le monde.
- 1. Fondation Wallonne Pierre-Marie et Jean-François Humblet.
- 2. Réunion de Re-Bel le 17 décembre Repenser la Belgique.
- 3. Le point de vue développé ici est daté de mars 2010. Les négociations politiques ultérieures peuvent évidemment changer la donne.
- 4. La langue c'est tout le peuple.
- 5. Lettre de Léopold Ier à Jules van Praet, 19 novembre 1859.
- 6. C'est Edmond Picard (1836-1924), juriste et parlementaire socialiste, créateur des Pandectes belges, qui découvre l'« âme belge », issue de l'amalgame de deux cultures.
- 7. Godefroid Kurth (1847-1916), admirateur de l'école historique allemande, introduit dans nos universités les séminaires de recherche. En ce qui concerne notre propos, il prône le bilinguisme et voit dans le Brabant la préfiguration de la Belgique, par sa résistance à l'influence française (La nationalité belge, Namur, 1913). Le plus connu, Henri Pirenne (1862-1935) publie de 1900 à 1932 son Histoire de Belgique en sept volumes, vaste fresque dans laquelle la Flandre prestigieuse joue un rôle principal (importance de la bataille des éperons d'or en 1302, qui marque le refus de l'influence française). La formation de la Belgique contemporaine n'est pas fortuite, mais est l'aboutissement naturel d'une longue évolution (finalisme belge). Les intérêts économiques ont poussé les principautés à se rapprocher, ont créé une communauté : leur réunion sous les ducs de Bourgogne et l'évolution ultérieure vont consolider cet ensemble. Cette brillante construction de Pirenne ne tient pas suffisamment compte de diverses réalités comme la résistance et la particularité de la principauté de Liège, ou encore le rôle de la Révolution française, qui fait exploser les cadres de l'ancien régime et prépare l'unification du pays. Elle est en outre orientée par une conception nationaliste.
- 8. Création du Willemsfonds en 1851. Du côté catholique, création du Davidsfonds en 1875.
- 9. Fondé près d'Avignon par sept poètes, dont Frédéric Mistral, le Félibrige voulait stimuler la renaissance de la langue et de la littérature occitanes. Parmi les autres associations, citons : Association bretonne, 1843 ; Selskip for Frysker Tael, 1844 ; Willemsfonds en Flandre, 1851 ; Jeux floraux de Barcelone, 1859.
- 10. Si le mot « Wallon » est plus ancien, le mot « Wallonie » date de 1844 (François Grandgagnage), mais reste confiné dans les milieux des philologues. Le mot « Wallonie » n'entre vraiment dans le domaine public qu'en 1886, avec la création de la revue d'Albert Mockel, La Wallonie, qui appartient au courant poétique symboliste de langue française. Voir A. Henry, Histoire des mots « Wallon » et « Wallonie », 3e éd., Mont-sur-Marchienne, 1990.
- 11. En février 1994, un toilettage de la Constitution révisée a amené une nouvelle numérotation des articles.
- 12. Voir De fer et de feu. L'émigration wallonne vers la Suède au XVIIe siècle. Histoire et mémoire (XVIIe-XXIe siècles), (Publications de la Fondation Wallonne P.-M. et J.-F. Humblet. Série Recherche, t. V), sous la dir. de L. Courtois, avec la collaboration de M. Dorban et J. Pirotte, Louvain-la-Neuve, 2003, et De Fer et de feu. L'émigration wallonne vers la Suède. Histoire et mémoire (XVIIe-XXIe siècles). Exposition au Parlement Wallon, Namur, 19-29 février 2008 (Publications de la Fondation Wallonne P.-M. et J.-F. Humblet. Série Études et documents, t. V), édité par L. Courtois et C. Sappia, Louvain-la-Neuve, 2008.
- 13. Voir Luc Courtois et Jean Pirotte (dir.), L'imaginaire wallon. Jalons pour une identité qui se construit, Louvain-la-Neuve, Fondation Wallonne P.-M. et J.-F. Humblet, 1994.
- 14. M. Quévit, Les causes du déclin wallon. L'influence du pouvoir politique et des groupes financiers sur le développement régional, Bruxelles, 1978, et Id., La Wallonie : l'indispensable autonomie (Collection Minorités), Paris, 1982. Voir également F. Bismans, Une odyssée économique, dans Wallonie. Atouts et références d'une Région, sous la dir. de F. Joris, Namur, 1995, p. 145-175, et Ph. Boveroux, P. Gilissen et F.-L. Thoreau, 50 ans d'histoire économique de la Wallonie, Liège, 2004.
- 15. Sur l'émigration flamande en Wallonie aux 19e et 20e siècles voir Y. Quairiaux, L'image du flamand en Wallonie (1830-1914) : essai d'analyse sociale et politique, Bruxelles, 2006.
- 16. Les compétences des régions s'exercent sur un territoire bien délimité et concernent davantage les aspects économiques : économie et crédit, commerce extérieur, aménagement du territoire et urbanisme, logement, environnement, rénovation rurale, agriculture, politique de l'eau, tutelle sur les provinces et les communes, emploi, travaux publics, transports, énergie, recherche scientifique, ainsi que les relations internationales pour ces différentes matières. En outre, certaines compétences de la Communauté française ont été transférées à la Région wallonne (politique de la santé et d'aide aux personnes).
- 17. Emploi des langues, culture, enseignement, audiovisuel, médecine, protection de la jeunesse, recherche scientifique ainsi que les relations internationales pour ces différentes matières.
- 18. En fait, la réalité est plus complexe qu'on ne le pense souvent : 1) les communes de la région de langue allemande doivent, en matière administrative, proposer des facilités linguistiques pour la minorité francophone vivant en Communauté germanophone ; 2) les communes limitrophes situées en région de langue française doivent offrir certaines facilités pour le citoyens germanophones : soit deux communes avec véritables facilités en allemand (Malmédy et Waimes) et trois communes avec facilités en allemand et en néerlandais uniquement en matière d'enseignement (Baelen, Plombières et Welkenraedt) ; 3) la Communauté germanophone exerce en outre sur la région de langue allemande certaines compétences transférées par la Région wallonne : les monuments et sites (1995), la politique de l'emploi et les fouilles archéologiques (2001), la tutelle sur les communes et les zones de police (et, depuis 2009, sur les intercommunales), la mise en œuvre des travaux subsidiés, le financement des communes, les fabriques d'église et établissements assimilés, les funérailles et les sépultures (2005).
- 19. La Communauté française a comme défaut un manque de précision quant aux limites territoriales, du fait que Bruxelles est une région bilingue. Elle souffre également de n'avoir pas de compétences économiques. Par ailleurs, le pouvoir fiscal propre de la Communauté française n'est guère applicable, car à Bruxelles les deux communautés (néerlandophone et française) sont compétentes sur un même territoire. Enfin, composée de façon artificielle par deux régions socialement et économiquement très différentes (Bruxelles et la Wallonie), unies simplement entre elles par la langue, la Communauté se révèle un hybride peu mobilisateur pour les populations.
- 20. Manifeste pour la culture wallonne (1983) et Manifeste pour une Wallonie maîtresse de sa culture, de son éducation et de sa recherche (2003).
- 21. Voir M. Libon, Lois linguistiques, dans Encyclopédie du mouvement wallon, sous la dir. de P. Delforge, Ph. Destatte et M. Libon, t. II, 942-959, plus spécialement p. 945-948.
- 22. Le mot diglossie a d'abord été synonyme de bilinguisme, avant d'être utilisé par les socio-linguistes pour caractériser un système linguistique où deux langues cohabitent sur un même territoire et finissent par entrer en concurrence, souvent fatale pour l'une d'entre elle. C'est une des sources de l'« insécurité linguistique », dont nous reparlerons plus loin. Outre les références citées note 27, voir, pour le français : G. Lüdi, Französische : Diglossie und Polyglossie, dans Lexikon der Romanistischen Linguistik, sous la dir. de G. Holtus, M. Metzeltin et Ch. Schmitt, t. V, 1, Le français, Tübingen, 1990, p. 307-334.
- 23. J. Michelet, Journal, éd. par P. Viallaneix, t. I, (1828-1848), Paris, 5e éd., 1959, p. 107 (7 septembre 1832). Et ajoute d'ailleurs, par rapport aux réalités linguistiques des populations wallonnes : « Cependant, le guide de Waterloo dit que le français qu'on y parle [à Waterloo] est du vrai français, et qu'on y comprend pas les Liégeois [les patoisants] »...
- 24. Ibid., p. 338 (26 juillet 1840).
- 25. Ibid., p. 249 (16 juillet 1837).
- 26. Le Soir, 3 août 2007.
- 27. Voir, par exemple, K. Deschouwer et Ph. Van Parijs, Une circonscription fédérale pour tous les belges, dans La Revue Nouvelle, 2007, n° 4, avril, p. 12-23. On trouvera tous les éléments de la discussion sur <http://www.paviagroup.be>.
- 28. Voir Ph. Raxhon, Histoire du Congrès wallon d'octobre 1945. Un Avenir politique pour la Wallonie ?, Charleroi, 1995.
- 29. Le groupe de recherche Valibel, créé au sein de l'UCL à Louvain-la-Neuve, a bien analysé depuis des années ce sentiment d'insécurité linguistique de nombreux locuteurs wallons par rapport aux Français, censés s'exprimer en français de façon plus fluide et correcte. Voir, entre autres : M. Francard, avec la coll. de J. Lambert et F. Masuy, L'insécurité linguistique en Communauté française de Belgique (collection « Français et Société », n° 6), Bruxelles, 1993 ; M. Francard, G. Geron et R. Wilmet, L'insécurité linguistique dans les communautés francophones périphériques (Cahiers de l'Institut Linguistique de Louvain, 19-20), Louvain-la-Neuve, 1993-1994 ; etc.
- 30. La Commission communautaire française est compétente pour les institutions monocommunautaires francophones de la Région bruxelloise, en matières culturelles, d'enseignement et personnalisables. Depuis le 1er janvier 1994, elle exerce en outre, comme la Région wallonne, les compétences qui lui sont déléguées par le Conseil de la Communauté française (infrastructures privées pour l'éducation physique, sports et vie en plein air, tourisme, promotion sociale, reconversion et recyclage professionnels, transport scolaire, politique de la santé et aide aux personnes).
- 31. On soulignera ici le problème posé par le nom de nos institutions : si l'on a choisi Communauté « française », pourquoi, dans cette « logique », n'avoir pas opter pour Communauté « néerlandaise » et Communauté « allemande » ? C'est bien plus qu'une question de « terminologie »... Lire à ce sujet J.-M. Klinkenberg, Citoyenneté. Des mots pour la dire, dans Toudi, t. VI, 1992, et Id, Enfin le temps des projets ? Quatre langages pour la Wallonie, dans Pour la Wallonie. Fondation wallonne P.-M. et J.-F. Humblet. Vingt ans d'action wallonne (1987-2007) (Publications de la Fondation wallonne P.-M. et J.-F. Humblet. Série Recherche, hors-série), Louvain-la-Neuve, 2008, p. 51-61.
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Commentaires
Le "raisonnement paradoxal" appelant la note de bas de page 21.