Disparition de l'Etat belge: divers chiffres

19 avril, 2011

A travers divers calculs parfois anciens, et d'autres plus récents en fonction des propositions faites autour de la table des négociations pré-gouvernementales, on voit bien se profiler la disparition de l'Etat belge du moins comme principale autorité publique belge puisque la Flandre et sans doute aussi la Wallonie disposeront de pouvoirs politiques et de moyens financiers plus importants, en dépit du fait qu'elles seront toujours contenues dans l'Etat belge. Ce qui pose entre autres la question de savoir en quel sens on peut encore faire passer le sentiment national belge avant tous les autres, du moins sur le plan concret et démocratique de la participation citoyenne.

S'inspirant du récent e-book publié par Re-bel 1, La Libre Belgique du 7 août 2010 2 estime que les Communautés et Régions assument 25% des dépenses totales de gouvernement. Mais y compris la Sécurité sociale qui, d'une certaine façon, est autonome par rapport au(x) gouvernement(s). Rappelons que Charles-Etienne Lagasse estimait en 2003 que, hors le service de la dette, sur l'ensemble des recettes budgétaires des trois niveaux de pouvoir, l'Etat fédéral ne représentait plus que 48,40%. Et que 87,8 % des agents des services publics relevaient des Etats fédérés 3.La Fondation André Renard 4, compare plutôt les différentes dépenses de tous les niveaux de gouvernance publique (y compris la Sécurité sociale): 39,8 milliards d'€ au fédéral (dont 14,3 milliards de charges d'intérêt), 19,7 milliards d'€ pour la Communauté flamande, 6,8 pour la Communauté Wallonie-Bruxelles, 5,4 pour la Wallonie, 2,3 pour Bruxelles, 17 pour l'ensemble des pouvoirs locaux et 52,4 milliards pour tous les secteurs de la Sécurité sociale.

Les calculs de Christian Behrendt

Le calcul récemmet effectué par le constitutionnaliste Christian Behrendt part d'autres données et se centre d'ailleurs seulement sur l'Etat fédéral en le comparant au budget de la Communauté flamande qu'il évalue pour cette année à 28 milliards et qu'il compare aux 89 milliards du budget fédéral. Christian Belhrendt estime 5 qu'il faut d'abord retrancher aujourd'hui 46,8 milliards de cet Etat fédéral « qui sont affectés à la dette publique et non au financement de politiques. Au fil des réformes de l'Etat, la dette n'a jamais été répartie entre le fédéral et les régions. » Il estime aussi qu'il faut retrancher de ce budget fédéral les 2,8 milliards « qui constituent les obligations financières de l'Etat fédéral à l'égard des institutions européennes. » Il retire aussi du budget fédéral les 8,2 milliards que l'Etat verse à la Sécurité sociale pour réduire son déficit à quoi il ajoute 8 milliards d'€ versés pour le financement des pensions publiques. Et il constate qu'il ne reste que 23,2 milliards à l'Etat fédéral « quand il a fait face à toutes ces obligations, avant d'avoir dépensé le moindre euro pour une politique ou pour une autre... » En retranchant encore de ce budget le financement des ambassades, le fonctionnement du poste de Premier ministre et d'autres dépenses obligatoires, il resterait selon lui 17 milliards d'euros disponibles pour la conduite des politiques fédérales.

Or il constate qu'Elio Di Rupo et Ricard Vande Lanotte parlent de 15 milliards de transferts de compétences aux Régions et Communautés, tandis que la NVA parle de 20 à 30 milliards à transférer. Pour C.Behrendt, les négociations financières ne se déroulent pas dans le bon ordre et, dit-il, « Cela rend les négociations difficiles car les partis ne savent jamais exactement de quel montant on parle. Ce qu'il faut faire, c'est d'abord identifier ce qu'on veut transférer (...) Et voir combien cela coûte. Après cela, on peut parler de modalités, comme le fameux crédit d'impôt ou le split rate. » 6 Il estime que la réalisation de la plus grande autonomie fiscale doit s'étaler dans le temps : « Il va falloir former les fonctionnaires et prévoir les logiciels, cela demande du temps. »

La note de Vande Lanotte

La note de Johan Vande Lanotte propose de transférer aux entités fédérées, dans le domaine de l'emploi et du marché du travail, les mesures d'activation, le permis de travail pour les étrangers (SOIT 4,5 MILLIARDS D'€), pour les soins de santé : la prévention pour l'essentiel, les soins de santé de première ligne, la lutte contre les assuétudes, les politiques pour les handicapés et les personnes âgées ( 3,3 MILLIARDS D'EUROS), les allocations familiales (le financement du système reste fédéral), de même que la politique de mobilité et la sécurité routière, la protection civile, le fonds des calamités, le programme des grandes villes, le fonds d'impulsion pour l'immigration. Régions et Communautés deviennent compétentes pour le statut administratif et pécuniaire de leurs agents (532 MILLIONS D'€).Dans le domaine de la Justice, le fédéral garde l'essentiel mais les maisons de justice, l'application des peines, les mesures à l'égard des mineurs sont régionalisées ou communautarisées tandis que la gestion des infrastructures fait coopérer fédéral et entités fédérées (614 MILLIONS D'€). 7

La note de Vande Lanotte ne prévoyait donc que 9 milliards d'€ de transferts. Mais tous les chiffres que l'on voit circuler indiquent bien que l'Etat belge va se réduire encore plus à une coquille presque vide. Or, à écouter les médias, les conversations dans la rue, on a toujours le sentiment que l'opinion en Wallonie, qui n'avait pas déjà bien mesuré les changements radicaux intervenus de 1970 à 2003, s'imagine toujours vive en Belgique. Il est vrai que le sentiment national ne se confond pas avec la manière dont l'Etat se structure mais ce sentiment ne peut pas flotter non plus dans l'espace sans quelque ancrage institutionnel. Et on peut déduire de tous les calculs faits ici que le citoyen dépendra en réalité bien plus des entités fédérées que de l'Etat fédéral. C'était déjà vrai au moment où Charles-Etienne Lagasse faisait les calculs que nous avons rappelés, mais ce sera de plus en plus vrai à l'avenir et il n'est pas fou de penser que les réformes actuelles qui prolongent 40 ans de transferts de l'autorité souveraine de la Belgique à la Flandre, la Wallonie et Bruxelles sont animés d'un dynamisme qui ne s'arrêtera plus et qui ira sans doute jusqu'à la disparition totale de la Belgique. L'opinion wallonne est-elle préparée à l'assumer ?


  1. 1. Towards a more efficient and fair funding of Belgium's regions?
  2. 2. Plaidoyer bilingue pour revoir la loi de financement
  3. 3. Les nouvelles institutions de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, p. 289.
  4. 4. Voir La Belgique qui meurt (I) (L'obsession du "projet francophone" ) un document manuscrit qui date de 2009
  5. 5. Le Soir du 18 avril 2011.
  6. 6. Voir Comprendre la régionalisation de la fiscalité
  7. 7. Crise nationale belge (5 janvier 2011- 11 avril 2011)