Critique (II) "Nous on peut" de Jacques Généreux ou "Vive la France!"

Un grand espoir
20 janvier, 2012

 

France/Allemagne : économie, social, démographie

France/Allemagne : économie, social, démographie

Infographie France/Info du 28 janvier 2011 que l'on peut consulter avant ou après avoir lu la page sur le document original plus lisible

Les crises dans l'économie dite « réelle » proviennent du fait que après une période d'expansion, l'économie se trouve en surproduction parce que l'on ne peut plus acheter étant donné le bas niveau des salaires. Les entreprises licencient, les revenus baissent encore  et la récession s'installe encore plus durablement. Puis quand la surproduction a été éliminée, on rentre à nouveau dans une phase d'expansion, de salaires plus élevés et ainsi de suite jusqu'à la prochaine crise. Dans la sphère financière, des bulles se forment pour finir par éclater. Les bulles financières signifient ceci  : les cours montent, certains spéculateurs s'endettent pour profiter des hausses futures. Les anticipations auto-réalisatrices font grimper les cours à des niveaux astronomiques, puis une mauvaise nouvelle les fait chuter ou de gros investisseurs, pour une raison ou pour une autre, vendent leurs titres en masse, ce qui a pour effet de ruiner ceux qui avaient emprunté  pour acheter des actions (le fameux « effet de levier »), ou même les banques auxquelles ils avaient emprunté. Dès le départ, tout le monde sait qu'il s'agit d'une bulle.

 

Pourquoi moins de crises durant les « Trente glorieuses »

Durant les Trente  glorieuses, les crises se raréfièrent parce que le pouvoir d'achat fondé sur les salaires progressait régulièrement, l'Etat distribuait des ressources supplémentaires notamment via la Sécurité sociale et au plan financier de strictes règles contrôlaient le mouvement des capitaux et la spéculation. C'est tout cela que le néolibéralisme a emporté. L'auteur énumère en outre d'autres raisons qui aggravent cette situation. 1) Le fait que les hauts cadres des entreprises  sont rémunérés en stock-options, bonus etc. Ce qui a comme conséquence que dans l'économie réelle, c'est la rentabilité financière qui est cherchée à tout prix, fût-ce au détriment d'une vision à long terme du développement de l'entreprise. 2) Les entreprises rachètent leurs propres actions, ce qui a comme effet d'accroître la part détenue par chaque actionnaire et en même temps de faire monter mécaniquement la valeur de ces actions, mais ces sommes utilisées pour faire monter les actions sont dépensées à cet effet au détriment du financement de l'emploi, de la recherche, des équipements des salaires et de toute façon avec la plus-value créée par les travailleurs. 3) Les opérations à découvert s'intensifient, elles consistent à emprunter pour acheter des actions qui vont monter, ce qui peut avoir comme conséquence la ruine des emprunteurs et des prêteurs. 4) Les CDS (« Credit Default Swaps »), consistant par exemple pour une banque à s'assurer contre les risques de non-remboursement par ceux à qui elle prête ou les risques courus par des investisseurs conseillés par elles sur telle out telle opération financière. C'est maximiser le risque couru par un autre contre lequel on s'assure : «  Des spéculateurs ont ainsi pu jouer sur la baisse des titres de la dette grecque, uniquement pour toucher leurs primes d'assurance contre la déprécation des titres grecs ! » (p. 78) 5) La titrisation permet aux prêteurs (par exemple à des ménages qui achètent des maisons), de se débarrasser immédiatement du risque couru en le revendant les créances comme des obligations sur le marché où l'on introduit le meilleur et le pire. Des banques, des fonds de pension ont acheté ces obligations qui étaient liées au risque que les emprunteurs américains ne puissent pas rembourser, ce qui s'est produit et qui a provoqué la crise de 2008. 6) La circulation mondiale des capitaux qui, également dans la crise de 2008, a provoqué des catastrophes.

D'où vient la crise contemporaine

La part des salaires dans le PNB est en constante diminution depuis le début des années 80 1. Cela s'allie à une baisse des impôts sur les revenus du capital et les hauts revenus, ce qui a comme conséquence que les revenus des salariés s'amenuisent et que la charge de la dette publique se reporte sur eux. On pourrait se dire que la progression des revenus des gens riches pourrait être utilisée pour réinvestir, mais c'est le contraire qui se passe, car la progression des profits sert surtout « à augmenter les dividendes distribués aux actionnaires ». (p.81) La bourse n'est plus « une source de financement des entreprises, mais une source d'appauvrissement : avec les dividendes et les rachats d'actions, les actionnaires ponctionnent plus ou autant de capitaux sur l'entreprise qu'ils ne lui en apportent. » (p. 82) On a calculé que sur l'ensemble des transactions financières mondiales, seulement 2% financent des opérations dans l'économie réelle (p. 82). Mais ces investissements sont ceux des gros actionnaires et des gestionnaires du capital qui exigent des rendements quatre fois plus élevés que dans les années 1960 et qui se font au détriment des investissements. Ce détournement de la plus-value, créée par les salariés, vers les actionnaires et la finance a comme conséquence que l'on a tenté de soutenir la demande globale par l'endettement des ménages, avec comme conséquence la crise financière, dans la mesure où ni les ménages, ni les administrations ne peuvent payer leurs dettes si leurs revenus ne progressent pas en proportion. Les Etats ont sauvé les banques et il fallait le faire pense J.Généreux. Mais le problème, c'est que rien n'a été fait pour empêcher que les marchés financiers reprennent leurs jeux fous, ce qu'ils ont fait, en déplaçant leur « terrain de jeu » (p. 84) sur les matières premières avec la conséquence d'une flambée des prix des denrées alimentaires puis, si l'on veut, sur la dette publique des Etats. Le public a sauvé les endettés du privé en s'endettant gravement, ce qui amène ce même « privé » à spéculer contre les bons du Trésor, donc contre son « sauveur ».

Ensuite, pour faire face à la dette publique, les Etats ont imposé « une rigueur budgétaire cruelle et insensée qui provoque une grave récession de l'économie » notamment en Grèce (p.87). Cela encourage les marchés à s'attaquer maintenant à d'autres Etats. Ce qui ne peut qu'enrichir encore les spéculateurs et ce qui amène Généreux à écrire : « les gouvernements en place ne veulent pas s'affranchir de la pression des spéculateurs » (p.87). Les néolibéraux qui n'ont plus de majorité politique en Europe tentent de parvenir à leurs fins (affaiblissement des Etats et suppression de l'Etat social en général), par ce biais. C'est ce qui a été montré dans la partie (I) (aller  vers « voir aussi » ci-dessous) de ce compte rendu avec l'insistance de l'Allemagne de faire contrôler les budgets étatiques européens par les marchés. Mais on sait que Standard & Poors a dégradé la dette de neuf pays européens le 12 janvier 2012 justement parce que les politiques de restriction aggravent la situation de ces dettes publiques. Généreux écrit (ou, plus exactement, écrivait avant  la motivation de sa cote par la célèbre agence de notation que nous venons de rappeler) : « Voilà donc les principaux Etats de l'UEM engagés dans un « concours de rigueur », dans un processus de désinflation compétitive, où chacun espère obtenir de meilleurs taux d'intérêts que ses concurrents, en « rassurant » les marchés financiers par sa détermination à saigner son propre pays !  C'est une absurdité que les marchés financiers finissent par sanctionner (...) une course générale à la rigueur ne rétablira jamais la solvabilité des Etats endettés : elle ne peut qu'entretenir la récession économique, comprimer les ressources fiscales, creuser plus encore la dette et ainsi de suite jusqu'à l'inéluctable cessation de payement des pays les plus endettés. Au bout de cette folie, de toute façon, il y aura l'annulation pure et simple d'une montagne de dettes qui ne pourront jamais être payées par personne. » (p. 89) 2

Comment gouverner autrement ?

Jacques Généreux écrit ici, il ne faut pas l'oublier, l'avant-programme de Jean-Luc Mélenchon. Selon lui, le système financier ne doit servir qu'au financement de l'économie et ne pas être un profit d'enrichissement en lui-même. Le programme qu'il propose découle directement de l'analyse qu'il a faite . Il estime donc que les pouvoirs publics doivent tout simplement interdire les pratiques que l'on vient d'énumérer. Il propose notamment, comme Francis Bismans l'a depuis longtemps proposé, la séparation des banques d'affaires et des banques de dépôts. Et d'autres mesures concrètes. Il s'attaque aussi à certaines idées reçues comme la gravité de la dette (alors que c'est ainsi que fonctionnent les entreprises). La dette privée comme la dette publique permet de surmonter des difficultés temporaires. La dette ne pèsera pas sur les générations futures puisqu'elle est au contraire un investissement pour l'avenir. Pour l'auteur, parler de faillite d'un Etat n'a aucun sens. Une dette illégitime, c'est celle qui a comme origine les dépenses fiscales en faveur des plus riches (les diminutions d'impôts).  Et il convient de prélever auprès des bénéficiaires d'une dette occasionnée par ces dépenses les sommes nécessaires à son remboursement. Il ne faut pas oublier non plus que ces personnes sont responsables des dépenses occasionnées lors des plans de sauvetage des banques ainsi que des attaques spéculatives lancées contre les dettes souveraines. Une partie de la dette doit être aussi effacée par la création monétaire directe. Il faut également refonder un secteur bancaire public, renationaliser le financement de la dette.

On doit prendre des mesures en vue de relancer l'activité comme la hausse des bas salaires, investir dans le social et l'écologique, mener des politiques sélectives du crédit, reconvertir l'agriculture en une agriculture durable, créer de nombreux emplois publics, développer les services publics. Il faut aussi ne pas craindre ni l'exode des talents (ceux des traders), ni l'exode des capitaux (les riches siphonnent les économies européennes), ni les mauvaises notes des agences de notations, ni la faible attractivité du territoire français qui ne se mesure pas seulement en termes de prix et de coûts.

Sortir de l'euro ou pas ?

« La crise actuelle de la zone euro et la réaction des gouvernements européens démontrent que l'union monétaire n'est pas aujourd'hui l'instrument de coopération qui renforce la capacité des peuples à surmonter la crises et à progresser de concert. Elle est au contraire un instrument de soumission des peuples à l'idéologie néolibérale largement partagée par les oligarchies au pouvoir. » (p.113)

Jacques Généreux ne presse pas de sortir de la zone euro, mais de la réformer de fond en comble en fonction de toutes les observations faites dans son livre et notamment repenser complètement le rôle de la Banque centrale européenne notamment dans son rôle de soutien à la politique des Etats, la possibilité pour chaque Etat  de parer à des problèmes économiques et sociaux notamment en s'endettant. On fera observer en passant que la politique néolibérale actuelle qui permet à tout le monde de s'endetter voudrait l'interdire aux seuls Etats. Il prône également l'harmonisation des politiques sociales et fiscale au sen de l'UE.  Toutes ses propositions se relient logiquement à tout ce qu'il dénonce comme à la source des problèmes que pose la folle dérégulation du néolibéralisme et la folie des marchés. Il pense malgré cela que l'Union monétaire est devenue l'instrument d'une formidable régression économique et sociale : «  Dépossédés de l'instrument des taux d'intérêt et du taux de change, contraints par le Pacte de stabilité en matière de politique budgétaire, livrés enfin à une libre concurrence exacerbée par l'élargissement de l'UE, les gouvernements ont instrumentalisé cet ensemble de contraintes pour justifier des politiques de désinflation compétitive fondées sur la compression des coûts salariaux, l'intensification du travail, l'exonération des prélèvements fiscaux et sociaux pesant sur les entreprises et les revenus du capital. Ce dumping fiscal et social, associé à l'hémorragie des ressources publiques qu'il engendre, a également servi à justifier la dégradation ou la privatisation des services publics. » (p. 117)  Face à la crise de 2008, les Etats et leurs gouvernements ont réagi en renflouant les banques et les spéculateurs et en faisant payer la crise aux citoyens. L'austérité compétitive ainsi instaurée mène à une régression économique fatale et inéluctable. Il insiste sur le fait que la crise de la dette publique n'a rien à voir directement avec l'euro, mais découle de la libre circulation des capitaux à l'intérieur du Monde. Le capitalisme financiarisé est une façon pour les gestionnaires de capitaux d'imposer leurs intérêts aux entreprises et aux Etats, ce qui a comme conséquence une répartition des revenus au bénéfice des plus riches.

Pour Jacques Généreux la question n'est donc pas de sortir ou non de la zone euro, mais de restaurer la souveraineté nationale sans sortir de l'UE. L'idée des nationalistes du type Front national, c'est que seule la BCE fabriquerait de la monnaie alors que ce sont les banques qui la créent, sauf les retraits en billets qui ne représentent que 10 à 15% de la monnaie créée par les prêts et les emprunts, par les banques.

La France devrait aider à faire changer l'Europe

Pour Jacques Généreux, dans le cadre actuel des institutions européennes, il est possible de réorienter une politique de crédit. La Banque de France est autorisée à concourir directement au financement des budgets publics, monétiser une partie de la dette excessive et consentir des conditions de refinancement à taux réduit pour des secteurs prioritaires : « Au total, si, d'une part, l'on a mieux que la dévaluation pour soutenir un progrès économique, écologique et social, si, d'autre part, on peut s'appuyer sur des banques publiques pour réorienter le financement de l'économie, alors la restauration d'une monnaie nationale n'est pas une condition nécessaire pour changer de politique. Il est nécessaire en revanche de s'affranchir unilatéralement de l'application d'un certain nombre de dispositions du traité de Lisbonne. Telle est la stratégie alternative. » (p.125) Le Compromis de Luxembourg adopté le 29 janvier 1966, permet à un Etat membre de l'UE d'opposer son veto à l'application d'une décision du Conseil des ministres de l'UE quand « des intérêts très importants sont en jeu » et ce fut le cas notamment en 1992 quand la France menaça d'y recourir lorsque l'on envisagea un accord agricole avec les USA 3. L'idée de Jacques Généreux n'est donc pas de sortir de l'euro ou de la zone euro ni de l'UE, mais d'obliger celle-ci, de l'intérieur, à changer de politique (c'est-à-dire à abandonner la politique néolibérale). Il pense que les pays qui soutiendraient cette politique en fonction des intérêts de sa population et avec le soutien de celle-ci, aurait non seulement pour lui la légalité européenne, mais, au surplus, obligerait les autres pays et notamment l'Allemagne à changer de politique, car c'est, selon lui, l'Allemagne qui a le plus intérêt au maintien de la zone euro : « S'affranchir du carcan néolibéral de l'UE, sortir de l'application intégrale du traité de Lisbonne, sans sortir de l'UE, c'est apporter la preuve concrète que l'on peut préserver l'acquis de 50 ans de construction européenne, tout en se débarrassant du poison néolibéral. Cette démonstration est un encouragement aux peuples européens pour qu'ils exercent à leur tour leur souveraineté en votant pour des gouvernants qui s'engagent à suivre l'exemple du peuple français. » (p.129) Au cas où l'exemple français ne serait pas suivi, ou n'engendrerait pas une politique différente au sein de l'UE, Jacques Généreux, propose des alternatives comme la constitution d'un nouveau SME tel qu'il a fonctionné de 1979 à 1985, voir d'un euro limité aux pays du sud de l'Europe. Il envisage aussi  une monnaie commune telle que les accords de 1944 l'avait créée sous l'influence de J.Keynes.

Conclusion : oui à l'Europe solidaire, non au nationalisme

Ainsi pourrait être résumée la conclusion de l'ouvrage de Jacques Généreux : « Renoncer à l'euro pour le seul et unique avantage immédiat de pouvoir dévaluer et soutenir nos exportations, c'est donner à croire que la concurrence des étrangers est notre souci fondamental ...Pour le plus grand bonheur des nationalistes qui eux aussi voudraient nous persuader que ce sont les Chinois ou les Arabes qui font le malheur des travailleurs « bien français » ! Notre seul vrai malheur est d'être sous la coupe d'une oligarchie qui donne les pleins pouvoirs aux gestionnaires des capitaux, qui taxe les plus pauvres pour gaver les riches, qui ferme des services publics pour laisser la place aux marchands. Ce n'est pas la Chine qui menace notre « modèle social », ce sont le capitalisme et les politiques néolibérales 4(...) En revanche, ne rien quitter, ne rien lâcher, ne sortir de nulle part  la tête basse, en vaincus, ne déserter aucune séance du Conseil [européen] ni aucune scène de l'affrontement politique, au contraire, relever la tête forts et fiers du mandat donné par le peuple, et dire paisiblement mais sans faillir à nos partenaires : «  Que cela vous fasse plaisir ou non, nous appliquerons notre programme », voilà qui crée le rapport de force nécessaire ! En brutalisant les puissants, certes, mais sans offenser les peuples. Car, en restant dans l'Union, nous manifestons clairement que notre coup de force n'est pas dirigé contre l'Europe et les Européens, mais contre la politique qui asservit les Européens et détruit l'unité et la solidarité de l'Europe. » (p. 136). Le système actuel est insoutenable, « La question est de savoir s'il va s'effondrer dans le chaos et la violence, ou  s'il sera déconstruit par une révolution citoyenne et démocratique. » (p.138).

Voir aussi Critique (I) : "Nous on peut " de Jacques Généreux


  1. 1. 1982-1992 : Dix ans d'austérité, qui en préparent dix de plus ?
  2. 2.  Critique : Le capitalisme à l'agonie (Paul Jorion)
  3. 3. J.Généreux, Nous on peut, p. 32, note 1.
  4. 4.  Travailleurs et allocataires sociaux sommés de payer la crise du capitalisme